« Vichy et la Shoah – Enquête sur le paradoxe français » de l’historien Alain Michel
Par Jacky Tronel | samedi 3 mars 2012 | Catégorie : ACTUALITÉS, Dernières parutions | 5 commentairesUn livre à paraître dans les tout prochains jours aborde le rôle controversé du régime de Vichy face à « la question juive » et montre que tout en collaborant, Vichy chercha à protéger les Juifs français au détriment des Juifs étrangers…
Quel rôle joua le régime de Vichy dans l’application de « la Solution finale de la question juive » ? Depuis trente ans, en France, l’affaire semble entendue : le régime de Vichy a été un complice actif du génocide perpétré par les nazis.
Pourtant, face à cette thèse officielle, des pierres d’achoppement subsistent : comment expliquer, en effet, que 75 % des Juifs vivant en France pendant la guerre aient pu échapper à la Shoah ? Et comment expliquer, aussi, que la France fut le pays d’Europe où les réseaux de sauvetage juifs furent les plus nombreux, les plus actifs et les plus efficaces ? Autant de « paradoxes français »…
À propos du livre… remarques inspirées par l’auteur :
Fort d’une première étude sur les Éclaireurs israélites de France pendant la Seconde Guerre mondiale et fin connaisseur des recherches internationales sur la Shoah, Alain Michel reprend le dossier à sa source. Il présente des chiffres et pose des questions qui dérangent.
Ainsi, l’antisémitisme de Vichy, qui distinguait juifs nationaux et juifs étrangers, a-t-il vraiment poursuivi les mêmes objectifs que les nazis ? L’existence même du gouvernement de Vichy a-t-elle permis, ou non, de ralentir la machine génocidaire ? Peut-on expliquer, comme le fit le président Jacques Chirac en juillet 1995, l’ampleur des sauvetages par la seule action courageuse des Français qui auraient pallié ainsi les errements de leur gouvernement ?
« Le paradoxe français », désigne le fait que la France de Vichy fut l’un des pays les plus collaborateurs, et que pourtant le bilan de la Shoah y est l’un des plus bas d’Europe en ce qui concerne le nombre des victimes. Reprenant les analyses de Léon Poliakov et de Raul Hilberg, l’auteur prétend montrer que si Vichy fut antisémite, et qu’il fut complice du crime, c’est justement cette complicité qui lui permit de mener une politique consistant à protéger les Juifs français au détriment des Juifs étrangers. Cette politique volontaire influenca considérablement l’application de la solution finale en France, tout d’abord sur les Juifs français eux-mêmes, dont moins de 10% ont été victimes de la Shoah, mais également sur le sort des Juifs étrangers, au moins de manière indirecte. Les différents éléments apportés dans le livre, statistiques inédites, nouvelles analyses, archives nouvelles et comparaisons européennes, montrent que cette politique a été déterminante dans la protection partielle des Juifs en France contre la volonté exterminatrice des nazis. Certes, les conditions géographiques, les actions de la résistance juive et des Justes des Nations ont amplifié les résultats de cette politique de Vichy, mais sans elle, le bilan de la Shoah en France aurait été bien plus catastrophique.
Sur le plan historiographique, Alain Michel montre que depuis les travaux de Richard Paxton et Michaël Marrus (Vichy et les Juifs, 1981) et ceux de Serge Klarsfeld (Vichy-Auschwitz, 1983-1985) une véritable « doxa » s’est imposée sur la manière dont la Solution finale est abordée en France. Ce « cadre obligatoire » pose par principe la culpabilité totale des acteurs du gouvernement de Vichy, sans nuance et sans distinction. C’est une histoire en noir et blanc qui nous est racontée, alors qu’il s’agit d’une période trouble, une « zone grise » pour reprendre l’expression de Primo Lévi. Il faut pour l’aborder mettre de côté nos idées reçues, ainsi que nos convictions idéologiques. Il faut aussi admettre les contraintes de la chronologie, comprendre qu’octobre 1940 n’est pas l’été 1942 (la solution finale ne commençant qu’à partir de juin 1941 sur le front de l’Est de l’Europe), ou même que fin juin 1942 est différent de septembre 1942 (notamment sur le plan de la connaissance et de la compréhension des intentions des nazis).
Enfin, il faut aborder cette histoire comme historien, c’est à dire comme un professionnel qui n’est pas là pour distribuer les bons et les mauvais points, ni pour émettre des jugements moraux, mais dont le travail consiste à tenter de reconstituer le passé tel qu’il a été, et non tel que nous voudrions qu’il se soit passé.
Le blog « Vichy et la Shoah » par Alain Michel
« Etant donné la sensibilité du sujet, et le fait qu’il remet en cause beaucoup d’idées reçues sur cette période, il m’a semblé important de donner la possibilité aux lecteurs de me poser des questions ou encore des demandes de précisions. Ce blog permettra également de publier certains documents liés au contenu du livre, soit qu’ils n’aient pas été mentionnés faute de place, soit qu’ils ne l’aient pas été dans leur totalité.
Le but n’est donc pas de faire de la polémique pour la polémique, ni de déraper vers le terrain idéologique-politique, qui est important mais n’a pas sa place dans ce qui reste une tentative d’approche scientifique et qui cherche à être le plus honnête possible. Mais il est bien évident que je ne suis pas à l’abri d’erreurs, de faits ou d’interprétations, et que je suis prêt à être à l’écoute de toute réaction, même si je suis en désaccord total avec elle, à condition que celle-ci reste courtoise et n’ait pour désir que de servir notre connaissance de cette époque. »
Adresse du blog : Vichy et la Shoah
Extrait de la conclusion du livre :
« En participant à l’arrestation et à la déportation des Juifs apatrides et étrangers, Laval, Bousquet et leurs proches collaborateurs ont participé à un crime. Mais leur intention d’en “ profiter ” pour sauver des Juifs français a-t-elle valeur de circonstance atténuante ? On le voit, l’historien peut montrer les faits, l’engrenage des situations, les choix possibles, mais en tant qu’historien il n’a aucune capacité pour juger véritablement du bien et du mal, ni de la responsabilité des hommes au regard de lois éthiques comme la définition du crime contre l’humanité. Il faut qu’il redevienne un simple citoyen pour donner son jugement sur ce plan. Mais le mélange des deux points de vue, celui du professionnel de l’histoire et celui du jugement moral, entraîne une déformation de la vérité historique que l’on retrouve, finalement, à la base même de cette “ doxa ” que j’ai tenté de dénoncer dans cet ouvrage comme obstacle principal d’une véritable compréhension du comportement de Vichy face à l’application de la Solution finale en France. Puisse ce livre permettre qu’un vrai débat s’instaure enfin. »
L’auteur : Alain Michel
Alain Michel est né en 1954 à Nancy (Meurthe et Moselle). Il fait des études d’histoire à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Doctorat soutenu en 1993 sur l’histoire du Mouvement des Éclaireuses et Éclaireurs Israélites de France (sous la direction d’Antoine Prost, président du jury : André Kaspi). Entre 1990 et 1994, il fait des études de Rabbinat à l’institut Shechter à Jérusalem. Marié, 4 enfants, il est installé en Israël depuis 1985 (à Jérusalem depuis 1986).
Principales étapes professionnelles d’Alain Michel : A enseigné en lycée l’histoire et le Judaïsme. Dernier établissement : le lycée des surdoués (IASA) à Jérusalem de 1998 à 2006. A dirigé le centre Yaïr d’études du Judaïsme créé et animé par le Rabbin Léon Askenazi (Manitou) de 1986 à 1990.
Rabbin de plusieurs communautés dans les années 1990 et au début des années 2000.
A créé et animé les séminaires en Français de Yad Vashem à partir de 1987, responsable du bureau pédagogique francophone de 2005 à 2009. Guide et formateur de guide pour les groupes de la Marche des Vivants en Pologne.
Quelques-unes de ces publications :
L’étoile et la francisque – des institutions juives sous Vichy, Le Cerf 1990.
Racines d’Israël – 1948, plongée dans 3000 ans d’histoire, Autrement, 1998, réédition 2003.
Bobrek, un sous-camp d’Auschwitz, Yad Vashem, 2010.
L’historienne Annette Becker me signale que « le paradoxe avait déjà été étudié par l’historien Asher Cohen, malheureusement décédé peu après, il n’a pu prolonger son travail »…
… à paraître prochainement
dans la revue « Arkheia »…
Je profite de l’occasion pour signaler la sortie prochaine du n° 25-26-27 de la revue d’Histoire Arkheia qui consacre son dossier à cette thématique, sous le thème : Enfance brisée, enfance cachée : Le sort des enfants juifs dans le Sud-Ouest (1940-1944)
Sommaire provisoire :
– Le travail de la CIMADE auprès des enfants juifs internés dans les camps du Sud-Ouest, par Geneviève Dreyfus-Armand (historienne, directrice émérite de la BDIC, Paris X Nanterre)
– Moissac : une ville « Juste parmi les Nations » qui s’ignore, par Max Lagarrigue (historien, journaliste à La Dépêche du Midi)
– Une ville juste : le cas unique du Chambon-sur-Lignon (titre provisoire), par Patrick Cabanel (université Toulouse II – Le Mirail)
– Adèle Kurzweil ou le destin brisé d’une famille juive entre Auvillar et Montauban, par Pascal Caïla (historien, directeur d’Odyssud, Blagnac).
– Enfants juifs cachés dans le Tarn et le Gers 1940-1944, par Limore Yagil (université d’Haïfa)
– Le sort des enfants juifs du Lot, Pascal Pallas (rédacteur en chef de La Voix du Midi, Toulouse)
– Le sort des Juifs pendant la guerre dans le village de Lectoure (Gers), par Geneviève Courtès (historienne, Lectoure)
– Les réseaux de l’OSE dans la région préfectorale de Limoges (1941-1944), par Simon Ostermann (université de Tours, CEHVI)
– Refuge et sauvetage en terre corrézienne, par Gilbert Beaubatie (IUFM, Tulle)
– Du camp d’Agde la Maison d’Izieu : sauvetage d’enfants juifs dans l’Hérault, par Hélène Chaubin (université Montpellier)
– L’enfance juive dans le Grand Sud-Ouest : du noir de l’Occupation au petit écran, par Floriane Schneider (agrégée et docteur en Histoire)
– Parcours croisés de deux enfants cachés dans le Sud-Ouest et la question du traumatisme, par Cédric Gruat (historien, conseiller historique pour la télévision)
Hors dossier :
– Les auxiliaires français de la Gestapo cadurcienne, par Cécile Vaissié (université de Rennes)
– Des français au camp de Gurs en 1940 : les « préventionnaires » et les « indésirables », par Jacky Tronel (attaché de recherches EHESS, Paris)
– L’accueil des républicains espagnols dans les Hautes-Pyrénées (1938-39), José Cubéro, historien.
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« Vichy et la Shoah, enquête sur le paradoxe français », Alain Michel, préface de Richard Prasquier, CLD éditions, 2012. Visuel de la première de couverture.
Oui.
Vichy fut en fait le facteur prépondérant du sort relativement plus clément de la communauté juive de France (Léon Poliakov, « Bréviaire de la haine », 1951, page 201) et sa « collaboration » fut un double jeu très habile qui peut tromper mais qui doit être interprété. La pièce maitresse de ce double jeu fut Laval. Par son éviction du gouvernement en décembre 40 il apparut aux yeux des allemands comme le parangon de la collaboration et il parvint à jouer ce rôle jusqu’au bout en entretenant des relations amicales avec Abetz et en prononçant son discours fameux du 22 juin 42 ( « Je souhaite la victoire de l’Allemagne… »). La défaite et les gages que l’Allemagne possédait contre nous obligèrent Vichy à une politique biaisée. Or, les apparences devraient disparaitre pour laisser la place aux faits. C’est grâce à cette politique d’esquive que les juifs de France furent massivement sauvés.
La doxa actuelle concernant Vichy et les Juifs est due principalement à deux auteurs Paxton et Klarsfeld.
Or, leurs oeuvres sont entachées de partialité.
Paxton est franc maçon et comme Vichy fut antimaçonnique et que la solidarité entre « frères » est une obligation statutaire de cette société secrète il prit donc naturellement le train dans la direction de venger ses frères.
Klarsfeld est le plaignant d’une cause qu’il a introduite en justice pour demander une réparation financière à l’Etat au bénéfice de l’association qu’il préside après l’avoir fondée, l’AFFDJF. Il a un besoin absolu de rendre Vichy responsable et coupable.
Comme il a obtenu gain de cause, une commission Mattéoli s’est réunie pour évaluer le montant de ces réparations.
Michel Boisbouvier est membre de l’Association pour la Défense de la Mémoire du Maréchal Pétain (ADMP). Il est l’auteur de l’ouvrage intitulé « Pétain, trahison ou sacrifice ».
Ses propos n’engagent que leur auteur…
Jacky Tronel, administrateur.
Six commentaires très orientés du même auteur, M. Boisbouvier, m’incitent à suspendre le fil…
Je ne souhaite pas offrir ici une tribune à un idéologue dont les propos sont inacceptables au regard de l’Histoire.
Extrait d’un commentaire censuré : « Or, quand on sait à quels périls nous avons échappé au vu de toutes les exactions et de tous les meurtres de masse opérés par les nazis dans toute l’Europe occupée on devrait être rempli d’admiration pour ces deux hommes Pétain et Laval qui ont su si bien nous en préserver. “ Jamais dans l’histoire des conflits humains autant d’hommes désarmés n’ont été sauvés par si peu ” » !
Le rôle de Vichy dans la répression n’est plus à démontrer, c’est un fait… Pétain a été profondément collaborationniste et, ce faisant, a fait le jeu des Allemands.
L’Histoire est écrite par les vivants en fonction de leurs intérêts.
Si je n’ai pas l’autorité, les compétences pour remettre en doute la version officielle, il est bien de pouvoir débattre de ce sujet.
N’ayant pas vécu cette période, comme beaucoup je me suis demandé ce que j’aurais fait : collaboré, résisté, essayer de rester à l’écart ?
L’impossibilité de répondre à cette question traduit mon désarroi. Et je pense, pour avoir recueilli des témoignages dans ma famille – un père chez les ‘Malgré-Nous’, une mère à l’école allemande – qui renforcent ce sentiment de malaise vis-à-vis d’une période où le manichéisme est un peu trop facile… a posteriori, décerner des médailles de vertus ou d’opprobres !…
Du reste, notre époque épouse de plus en plus des idéaux qu’elles voulaient dénoncer : vitalité, force, jeunesse qui correspondaient a des valeurs prônées par le nazisme, entre autre.
Donc, gardons-nous de l’Histoire officielle et utilisons notre esprit critique pour rester mesuré et en retenue face à une période ou le gris l’emportait, surtout au dépens du blanc ou du noir.