Polémique autour de la plaque commémorative du camp du Sablou
Par Jacky Tronel | vendredi 10 décembre 2010 | Catégorie : Dernières parutions, DES CAMPS… | 3 commentairesSous le titre “L’oubli vaincu”, « l’Humanité » du 18 avril 1990 évoquait la cérémonie d’inauguration de la stèle commémorative érigée non loin du Camp du Château du Sablou, sur la commune de Fanlac (Dordogne).
Le texte de la stèle citant les seuls « communistes syndicalistes militants » internés au cours de l’année 1940 dans ce « camp pour indésirables français » en tant que « résistants à l’asservissement » et « défenseurs de notre honneur et de notre liberté »… a suscité une vive polémique.
La cérémonie commémorative du 22 avril 1990 au Sablou
Gaston Plissonnier, membre du Bureau politique du PCF, inaugure la stèle érigée en mémoire des internés politiques du camp du Sablou.
Coll. Madeleine Quéré (veste bleue, à gauche sur la photo).
Le 22 avril 1990 au matin, en présence d’André Moine, Raymond Bouquet et André Marcillaud (anciens “Sablousards”) de Gaston Plissonnier (membre du Bureau politique du PCF), de Madeleine Quéré (fille aînée de Jean Gatinel, boulanger communiste de Montignac), de Denise Peyramaure (fille d’Alfred Chaumel) et d’une nombreuse assistance, la stèle est inaugurée. Elle est dressée à l’angle des routes de Biars et de Fanlac. Madeleine Quéré, mémoire vivante du camp du Sablou, est à l’origine de cette initiative.
Sur la plaque gravée, on peut lire : « L’année 1940 au camp du Sablou. Il y a 50 ans, du 17 janvier au 31 décembre 1940, au château du Sablou est ouvert un camp d’internement surveillé où 320 communistes syndicalistes militants qualifiés indésirables et dangereux sont internés par les gouvernements français puis de Vichy. La plupart seront déportés en Afrique du Nord. Comme Jacquou, ils résistaient à l’asservissement et défendaient notre honneur et notre liberté. N’oublions jamais. Demeurons vigilants ».
Objet de la polémique
La controverse porte sur trois points. Le premier relève de la querelle sémantique.
La qualité de “déportés politiques” est contestée aux internés du Sablou au motif que l’expression désigne – selon les termes du statut de déportés politiques institué par la loi de 1948 – les personnes « transférées et internées par l’ennemi dans des prisons ou camps de concentration hors du territoire national […] dans tous autres territoires exclusivement administrés par l’ennemi […] ou emmenées par l’ennemi vers une prison ou un camp de concentration, décédées ou évadées au cours du trajet ». Or, le Centre de séjour surveillé du Sablou se trouve en France, en zone libre… et le camp de Djelfa, lieu d’internement d’un grand nombre de « Sablousards », en Algérie française… De plus, c’est l’État français qui décida de leur “transportation” en Afrique du Nord.
La deuxième remarque tient au fait que seuls les “communistes syndicalistes militants” sont mentionnés dans le texte commémoratif. C’est oublier les dizaines d’autonomistes alsaciens et lorrains, bas-rhinois et luxembourgeois, eux aussi assignés au Sablou. Tous ne sont pas communistes. Quant aux pacifistes et aux Tsiganes, bien que très minoritaires au Sablou, ils méritaient tout autant d’être cités.
La troisième et dernière objection tient à l’emploi du verbe “résister” et au statut autoproclamé de résistant qu’il sous-tend. En 1997, la journaliste et écrivain Anne-Marie Siméon, sous le pseudonyme de “Jacquou”, signait un article dans lequel elle avançait le fait que «les hommes internés au Sablou ne l’ont pas été pour faits de résistance – comment cela aurait-il été possible en janvier 1940 ? – mais tout simplement parce qu’ils appartenaient de près ou de loin au Parti communiste français qui soutenait Staline. Et n’est-ce pas d’ailleurs suffisant pour s’en offusquer au nom de la liberté d’opinion et de pensée ? Pourquoi en rajouter, pourquoi tenter l’amalgame entre militantisme communiste et résistance ? Si une plaque de marbre ne peut être aussi complète qu’un livre d’histoire, elle est en revanche plus accessible, plantée là, au bord d’une route, lisible par tous aujourd’hui et demain. Il est donc préférable d’en peser les mots en évitant de jouer avec ».
La remarque est pertinente. Si la qualité de “résistants” ne peut être contestée aux communistes, elle ne vaut pas pour 1940 mais seulement pour la suite des événements au cours desquels les communistes ont eu une part décisive dans l’engagement contre l’occupant nazi. Reste que, sauf exceptions et signes annonciateurs au printemps 1941, on ne peut pas parler d’entrée en “résistance” du PCF contre l’occupant nazi en 1940, entrée en résistance qui fut explicitement revendiquée après le 22 juin 1941, date de l’agression allemande contre l’Union soviétique.
De plus, à l’échelle décisive, celle de l’organisation et de la coordination des réseaux, les choses ne se firent que très progressivement : c’est principalement après l’invasion de la zone Sud (novembre 1942) et plus précisément à partir du 16 février 1943 que s’affirme le refus du STO (Service du travail obligatoire) grâce auquel ces réseaux, puis les maquis, seront alimentés en hommes jeunes et déterminés. Les forces de la Résistance FTPF (Francs-tireurs et partisans français), et dans une moindre mesure celles de l’AS (Armée secrète) et de l’ORA (Organisation de la résistance de l’armée), voient ainsi leurs effectifs décupler : dès lors, on peut tout à fait légitimement parler de “résistance à l’asservissement” et de “défense de notre honneur et notre liberté”.
Extrait d’un tract du 23 août 1939, publié par la section de Lille de l’association des Amis de l’Union Soviétique.
Situation du Parti communiste français en septembre 1939
L’évolution de la politique du Parti communiste français au cours du mois de septembre 1939 appelle quelques précisions qui aideront à mieux comprendre les raisons et la nature de l’internement des communistes du camp du Sablou. Au début du mois de septembre, les parlementaires communistes adhèrent à la politique de défense nationale. Ils votent les crédits de guerre, montrant ainsi leur volonté de poursuivre leur engagement antifasciste et leur refus de tout compromis avec Hitler. Cette opposition s’était déjà manifestée lors des accords de Munich, signés dans la nuit du 28 au 29 septembre 1938 par Hitler, Mussolini, Daladier et Chamberlain.
Or, le 23 août 1939, Hitler et Staline concluent un accord déconcertant, véritable partage de l’Europe orientale entre les deux dictatures. Signé à Moscou par Ribbentrop et Molotov, le pacte germano-soviétique place les militants communistes dans une position pour le moins ambiguë, tiraillés qu’ils se trouvent entre leur fidélité à Moscou et leurs exigences antifascistes. Les directives de l’Internationale communiste parviennent à Paris le 20 septembre. Maurice Thorez est sommé de rejoindre l’URSS. Il déserte et quitte le pays le 4 octobre 1939. La direction du Parti communiste français fait définitivement allégeance à Moscou en s’engageant dans une propagande contre la “guerre impérialiste” propre à semer la confusion. En conséquence, Édouard Daladier – alors président du Conseil, ministre de la Défense nationale et de la Guerre et ministre des Affaires étrangères – décrète la dissolution du Parti communiste le 26 septembre 1939. Les raisons de cette dissolution tiennent essentiellement à l’appartenance du PCF à la IIIe Internationale, organisation d’émanation soviétique, agissant en intelligence avec l’ennemi allemand. Le reproche implicite qui est fait aux communistes français, c’est de saper l’effort de guerre contre Hitler.
Parmi les premiers élus communistes à manifester leur désaccord avec la direction du Parti sur la question du pacte, se trouvent deux députés de la Dordogne : Gustave Saussot et Paul Loubradou. Ce dernier, dans l’édition du 9 septembre 1939 du Journal de Bergerac, fait publier une lettre ouverte intitulée : “Pourquoi j’ai démissionné du Parti communiste français”. Dans la presse communiste clandestine, l’insubordination des deux députés à la ligne du Parti leur vaut les qualificatifs de “traîtres et renégats” !
Pour aller plus loin…
Sur le centre de séjour surveillé du Sablou, voir l’article publié sur ce blog :
« Le Sablou, camp d’internement pour ‘indésirables français’ en Dordogne ».
Concernant la position du PCF en 1939-1940, se référer aux travaux de l’historien Guillaume Bourgeois : « Communistes et anticommunistes pendant la drôle de guerre », thèse de 3e cycle, Paris X Nanterre, 1983.
Les communistes n’ont pas été les 1ers Français à résister aux Allemands ! J’espère que l’Histoire un jour le dira clairement ! Qu’ils arrêtent de donner des leçons d’Histoire aux autres !!
L’appel du 17 juin 1940 d’Edmond Michelet et celui du 18 juin du général de Gaulle comptent parmi les premiers actes de résistance française. Ni l’un ni l’autre n’étaient communistes… Il faut néanmoins reconnaître qu’après le 22 juin 1941, date de l’agression allemande contre l’Union soviétique, les communistes sont massivement entrés en résistance et ils ont payé un lourd tribut.
Parmi les formes de résistances passives au nazisme sur lesquelles les historiens commencent à travailler, il faut évoquer le cas de certains mouvements religieux, à l’exemple des Témoins de Jéhovah : « ils refusèrent de servir dans l’armée allemande et, en tant que prisonniers des camps de concentration, organisèrent des groupes d’étude illégaux […] Parmi les autres formes de résistance non violente, citons le fait d’abriter les Juifs, d’écouter les émissions radio alliées et de publier des journaux anti-nazis clandestins. »
(source : Holocaust Museum).
Mon grand-père Paul Loubradou que vous citez plus haut, et ses camarades dont Gustave Saussot et bien d’autres qui ont démissionné du PC suite à l’accord germano-soviétique sont toujours restés pour le PCF des traitres et des renégats. Il est regrettable que ce parti ne sache pas revisiter son histoire. J’aurais apprécié qu’une voix responsable s’élève de ce parti, remette les choses à leur place, et reconsidère ces démissionnaires courageux avec un autre regard.
Ma mère (Josette Dubreuilh Loubradou), 88 ans, connaîtra-t-elle cette joie de son vivant?