L’exploitation des mines de lignite (1940-1948) et la gestion de la main-d’œuvre étrangère en Dordogne

Faisant suite à une demande du directeur de la Société minière du Sud-Ouest réclamant des ouvriers pour satisfaire aux besoins des mines de lignite situées dans la région de Saint-Cyprien, en Sud-Dordogne, le colonel Blasselle, commandant militaire, exprime sa vision du règlement de la question de la main-d’œuvre en Dordogne dans un courrier adressé le 19 novembre 1941 au préfet.

Mine de lignite de La Chapelle-Péchaud, "trémies et sauterellle", chargement d'un camion.

Mine de lignite de La Chapelle-Péchaud (Dordogne), « trémies et sauterellle », chargement d’un camion, coll. AROEVEN.

Lettre du directeur de la mine du Dantou du 7 novembre 1941

« Nous avons l’honneur de vous confirmer notre entretien du 5 novembre. Au cours de cet entretien, nous avons signalé que notre mine, située au DANTOU, à 9 km de St-CYPRIEN, pouvait embaucher de suite une cinquantaine de manœuvres et 8 à 10 spécialistes (mécaniciens, forgerons, chauffeurs de locomotives, charpentiers…). Notre personnel est transporté en camion de St-Cyprien à la mine. A la mine, nous avons un baraquement, dans lequel sont logés une trentaine d’Espagnols, appartenant au 652e Groupement de Travailleurs Etrangers de MAUZAC. Dans ce baraquement, nous pourrions loger de suite 15 à 20 manœuvres célibataires, munis de couvertures. Ces espagnols sont nourris par nos soins.

Mines de lignite de Merle : carreau des Mines Basses, commune de Cladech, Dordogne.

Mine de lignite de Merle, carreau des Mines Basses, commune de Cladech (Dordogne), coll. AROEVEN.

La meilleure solution consisterait pour nous :

1°) – à renforcer l’effectif qui nous est fourni par le 652e Groupe de T.E.
2°) – à installer à St-CYPRIEN ou à proximité immédiate de la Mine un Groupe complet d’Espagnols ou de Travailleurs Etrangers, lequel pourrait alimenter également en main-d’œuvre les CHARBONNAGES DE LA CHAPELLE PECHAUD, dont le siège social est à SIORAC-en-PERIGORD, et la Mine à MERLE, à 3 km du DANTOU.

La première solution qui serait certainement la plus rapide, pourrait être adoptée si l’effectif du 652e Groupe pouvait être renforcé. Il semble qu’il serait possible, ainsi que vous me le faisiez entrevoir, de récupérer dans le Département de la Dordogne un certain nombre d’étrangers : Espagnols, Polonais ou d’autres, en situation plus ou moins régulière.

L’intérêt national, qui s’attache à nos travaux, nous permet de demander votre aide dans cette recherche de main-d’œuvre.
Nous vous sommes très reconnaissant à l’avance de tout ce que vous pouvez faire pour nous, et nous vous prions d’agréer, Monsieur, l’expression de notre haute considération.
Le Directeur.»

Exposé du colonel Blasselle au préfet de la Dordogne

« En vous adressant ci-joint la copie de la lettre que je viens de recevoir du Directeur de la Société Minière du Sud-Ouest (St-CYPRIEN), j’ai l’honneur de vous indiquer de quelle manière je conçois la solution du problème de la main-d’œuvre en Dordogne.

Machine à charger les wagons à la mine du Dantou. À gauche, Jukiel Drabinowski
et à droite, un républicain espagnol non identifié. Coll. I. Drabinowski.

Machine à charger les wagons. À gauche, Jukiel Drabinowski et à droite, un républicain espagnol non identifié.

ETRANGERS

1) – Il semble difficile de compter désormais sur les travailleurs espagnols. Si un certain nombre va être libéré de l’agriculture pendant l’hiver, ils ne seront pas disponibles par suite des prélèvements continuellement opérés au profit de la zone occupée. Néanmoins, si des Français peuvent être embauchés aux travaux agricoles, les Espagnols ainsi récupérés pourront être employés aux travaux des mines.

2) – Un certain nombre de Polonais résidant en Dordogne pourraient et devraient être incorporés. J’ai déjà signalé ceux qui vivent au Château Le Roc au Change, tout en percevant l’allocation.

3) – Des prestataires non munis d’un certificat de libération régulier sont également à incorporer.

4) – Le contrôle des étrangers allocataires permettra de découvrir ceux qui ont échappé à l’incorporation.

FRANÇAIS

Le nombre de français qui ne résidaient pas en zone libre avant la guerre s’élève à 37 000 environ, dont 16 000 perçoivent l’allocation.
En retranchant les femmes, enfants et vieillards, et les inaptes, il est possible de trouver là, une main-d’œuvre sans doute plus ou moins qualifiée, mais néanmoins susceptible de rendre des services, étant donné la pénurie extrême de la main-d’œuvre.

Déchargement de la lignite, wagonnets de la mine de Cladech (Dordogne), coll. AROEVEN.

Emploi de la Main-d’Oeuvre :

Il semble désirable de laisser aux étrangers l’exécution des travaux les plus durs (mines, coupes de bois) et de réserver aux Français les autres travaux (agriculture, carbonisation, etc… ramassage de châtaignes, transport de bois jusqu’aux chemins carrossables. Les travaux agricoles peuvent d’ailleurs recevoir au moment du besoin et temporairement de la main-d’œuvre requise. De plus, si des Espagnols quittent la mine ou la forêt, leur remplacement gênera relativement peu les travaux.

Mais la question de l’emploi de la main-d’œuvre reste finalement subordonnée au logement de cette main-d’œuvre à proximité des chantiers ; question à régler au préalable par les employeurs.

Le retour des prisonniers est également à prévoir : pendant que les réfugiés en grande partie rejoindront leur département d’origine, les prisonniers remplaceront progressivement les étrangers dans les places qu’ils occupent à titre provisoire.

Recherche de la main-d’œuvre :

Cette recherche est basée :
1°) – sur l’examen de situation des 5.000 étrangers arrivés en Dordogne depuis Août 1939.
2°) – sur l’étude des moyens d’existence et des possibilités de travail des 16.000 français allocataires.

A noter que la Loi du 25 Avril 1940 (J.O. du 29 Avril) permet de requérir au profit de l’agriculture tous les Français sans occupation et disposant de ressources personnelles. Cette loi s’étend d’ailleurs aux étrangers sans nationalité, ainsi qu’à ceux bénéficiaires du droit d’asile et aux réfugiés politiques.

Camions destinés au transport du lignite jusqu'à la gare de Siorac de 1940 à 1944.

Camions destinés au transport du lignite jusqu’à la gare de Siorac, de 1940 à 1944, coll. AROEVEN.

En résumé, les doléances des populations rurales ne cesseront que si les réfugiés allocataires travaillent. Il n’y a pas de chômeurs en Dordogne, il n’existe que des paresseux. Si la suppression de l’allocation doit les obliger à se mettre au travail, cette décision sera accueillie favorablement par le public et par les réfugiés qui ont eu le courage de renoncer spontanément à leur allocation.

[Signé] BLASSELLE. »

Source : Archives départementales de la Dordogne, cote 42 W 60 – 1.

Conférence-expo et débat à Belvès, le 6 mai 2011

Conférence-expo sur les travailleurs étrangers dans les mines de lignite du Dantou, à Belvès, le 6 mai 2011.

Conférence du 6 mai 2011 à Belvès (Dordogne), François Munoz et Jacky Tronel

Dans le cadre des manifestations culturelles du Printemps des Bastides, une conférence-expo et un débat ont eu lieu à Belvès, le 6 mai 2011, sous le titre Espagnols et « Palestiniens » travaillant dans les mines de lignite du canton de Belvès.

En haut, Jacky Tronel, conférencier, et Robert Bellynck, organisateur de la soirée.
Exposition présentée par François Munoz.

Ci-contre, François Munoz (membre de l’AROEVEN) et Jacky Tronel (attaché de recherche à la FMSH et coordinateur de rédaction de la revue d’Histoire Arkheia), lors du débat avec le public.

Photos : François Munoz et Bernard Malhache (Sud-Ouest).

5 Commentaires de l'article “L’exploitation des mines de lignite (1940-1948) et la gestion de la main-d’œuvre étrangère en Dordogne”

  1. Besse Claude dit :

    Bravo pour ces photos historiques mais pleines de questions…
    Le charbon est en pleine production en Allemagne, la France se pose de nouveau cette opportunité ?
    Faut-il relancer cette production en Périgord ? Cela serait-il faisable, raisonnable, écologique, etc… et rentable pour la région sans dégradation ?
    Qu’en pensez vous ?
    Cordialement

  2. Jacky Tronel dit :

    Bonjour Claude et merci pour vos encouragements…
    En réponse :
    Roche intermédiaire entre la tourbe et la houille, le lignite est un charbon dont l’exploitation aujourd’hui s’avèrerait trop onéreuse compte tenu de son faible pouvoir calorique. Par ailleurs, le lignite étant riche en sulfure, il cause des pollutions responsables de pluies acides… L’impact écologique négatif sur l’environnement ne penche pas non plus pour un retour vers son exploitation.
    Cordialement, JT

  3. Colas Jack dit :

    Bonjour,
    Ancien prof de SVT au lycée de Sarlat je me suis toujours intéressé aux lignites du Périgord…
    J’ai appris que lors d’une expo à Berbiguières organisée par l’AROEVEN un document faisait référence à un film tourné pendant l’occupation à Veyrines ; Seriez vous au courant et avez vous des renseignements sur ce film.
    En vous remerciant; merci pour votre travail
    Bien amicalement
    Jack Colas

  4. Jacky Tronel dit :

    Bonjour,
    François Muñoz est la personne la mieux placée pour vous répondre. Il est coordonnateur patrimoine de l’AROEVEN.
    Voici son adresse de messagerie : munoz.fr@orange.fr. Vous pouvez le contacter de ma part…
    Bien à vous,
    JT

  5. Joachim Sistig dit :

    Bonjour,
    Mon oncle, Helmut Evers, a travaillé en tant que prisonnier de guerre dans les mines de Veyrines en 1946/47. Il a rédigé un journal où il raconte son quotidien à l’époque entre un travail très dur dans les mines (il occupait le poste de « rouleurs ») et la vie en communauté où il appréciait souvent l’esprit de convivialité avec ses co-détenus et d’autres travailleurs étrangers. Il a retenu exactement les rations alimentaires et les conflits sociaux quand il y a avait un manque de nourriture. Un point fort de sa captivité fut le moment qu’il a passé au Château des Millandes pour réparer une installation électrique et où il aurait croisé Josephine Baker. Son journal est accompagné de plusieurs photos. Est-ce qu’il y a des publications sur ce chapitre historique à part vos formidables pages Internet, dont je vous remercie.
    Joachim Sistig

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