« Le péril communiste » vu par un juge d’instruction du 2e tribunal militaire de Paris

Couverture de la brochure "Le communisme stalinien en France"

Dans un rapport de neuf pages adressé le 3 mars 1940 au Colonel Bacquart et au ministre Raoul Dautry, Vimard, juge d’instruction près le deuxième tribunal militaire de Paris, met en garde contre « le péril communiste »

« … J’ai été pendant 25 ans capitaine d’infanterie avant d’être nommé Commandant de Justice militaire – J’essaye d’être utile dans les fonctions qui me sont attribuées ; mais je suis peut-être mieux préparé à convaincre et à persuader qu’à rendre des ordonnances et à signer des mandats de dépôts. Néanmoins et c’est l’objet essentiel de ma lettre, je viens de faire un travail qui me paraît utile à la Défense Nationale. […] Si vous me croyez bon à quelque chose, je mets de grand cœur à votre disposition toutes mes forces pour vous aider à vaincre… » écrivait le juge Vimard en introduction de son rapport…

« L’expérience que j’ai acquise depuis deux mois à m’occuper d’affaires relatives à la propagande communiste, l’étude des dossiers et plus encore l’examen des inculpés, m’ont permis d’arriver à quelques conclusions pratiques tant sur l’importance réelle du danger que sur l’insuffisance des moyens mis en œuvre pour y parer et sur les mesures qui seraient de nature à rendre plus efficace notre défense contre ce péril national.
Je me permets de vous soumettre très sommairement ces conclusions en exprimant l’espoir très fervent que ce modeste travail sera de quelque utilité. 
»

Le péril communiste

« Il est difficile d’apprécier exactement l’étendue et la gravité du mal. Si, placé comme je le suis, je n’arrive qu’à des hypothèses assez incertaines, je me demande sur quoi s’appuient ceux qui publient, par la parole ou par l’écrit, des affirmations très catégoriques à ce sujet et qui pourtant ne se trouvent pas aussi près que moi des sources d’informations.
Je crois que l’on peut affirmer que la propagande communiste atteint beaucoup de milieux et s’étend sur beaucoup de régions. Les inculpés que j’ai interrogés sont tantôt de purs illettrés, tantôt des hommes ou des femmes relativement cultivés. Chez les uns le communisme correspond à un obscur sentiment de révolte contre les misères éprouvées ; chez les autres à une sorte de croyance mystique et si fervente que les souffrances et les peines ne font qu’exalter leur foi. Je crois reconnaître d’ailleurs que le plus grand nombre des inculpés communistes sont intelligents, polis, moralement honnêtes ; on en trouve guère qui aient eu maille à partir avec la justice ; la plupart des casiers judiciaires sont vierges.

L’action de propagande s’exerce manifestement dans un très grand nombre d’usines de la région parisienne ; elle s’effectue le plus souvent à l’aide de tracts ronéotypés ; de papillons collés secrètement et de numéros clandestins du Journal l’Humanité, qui continue à paraître régulièrement, à peu près toutes les semaines, soit en exemplaires tirés comme des tracts à la ronéo, soit en exemplaires imprimés en très petits caractères d’une remarquable netteté. Je possède un bon échantillonnage de tous ces documents. Ils circulent de la main à la main et ils sont distribués dans l’obscurité, aux stations d’autobus, ou ils sont introduits dans les vestons, les pardessus ou les manteaux pendus dans les vestiaires ; ou encore ils sont déposés par des inconnus sur les établis, des machines, des comptoirs. Dans plusieurs cas, pour échapper au délit de distribution on n’a fait circuler qu’un seul exemplaire lu successivement par tous les sympathisants.

À cette propagande par écrit il faut ajouter la propagande par la parole, la propagande de bouche à oreille, recommandée précisément par les organisateurs de ces dangereuses manœuvres. Car c’est d’une organisation méthodique qu’il s’agit. Les inculpés que j’ai interrogés obéissent tous à des consignes spéciales et limitées ; leur travail est effectué en série, à la chaîne. Le distributeur en détail connaît à peine le distributeur en gros qui lui apporte le paquet ; généralement il ne le connaît que par un prénom, il le rencontre à un lieu convenu ; le distibuteur en gros est dans la même situation à l’égard de celui qui tire à la ronéo les exemplaires ; celui-ci est, à son tour, en contact avec celui qui lui apporte le papier et qui lui remet le stencyl, c’est-à-dire une feuille spéciale dactylographiée pour le tirage ; le stencyl a été remis à ce dernier par une dactylographe qui a reçu d’un autre le texte même du tract, texte qui a été rédigé par un chef, un inspirateur, par un des doctrinaires actuellement inconnus qui dirigent tous le mouvement, qui disposent des ressources indispensables, ne fut-ce qu’en papier, et qui élaborent des méthodes à employer, les doctrines à répandre et les mots d’ordre à communiquer.

Quoique nos informations n’atteignent généralement qu’un maillon de cette chaîne, on peut grâce aux recoupements et aux perquisitions, affirmer que le travail de démoralisation nationale et de corruption des esprits s’effectue bien à l’aide des procédés que je viens d’énumérer. Ce travail porte ses fruits, il ne peut en être autrement, car les procédés de la publicité systématique produisent des résultats qui peuvent être prévus avec quelques certitudes. La propagande trouve d’ailleurs un aliment dans les fatigues éprouvées, la hausse des prix, les difficultés de la vie quotidienne, la pénurie de certains produits, l’inaction, les inquiétudes, les récriminations plus ou moins fondées sur les injustices ou les faveurs. Cette propagande s’étend d’ailleurs très loin de Paris et il n’est malheureusement que trop certain qu’elle n’atteint pas exclusivement les civils.

Le danger est grand. Il s’agit d’une guerre, d’une partie de la guerre totale. La stratégie moderne comporte des opérations qui ne s’exécutent pas toutes sur les champs de bataille. L’affaiblissement de la résistance intérieure est une de ces opérations essentielles ; elle a été préconisée par HITLER lui-même aussi bien dans MEIN KAMPF que dans ses conversations privées avec RAUSCHNING que dans ses propos publics. Il y avait recours avant la guerre, non seulement en France, mais en Angleterre, aux États-Unis, en Belgique et ailleurs. Il n’y a aucune raison de supposer qu’il ait renoncer à ses méthodes de guerre ; il est au contraire bien certain que le travail de termite qui consiste à minet les étais de la résistance continue à être accompli avec des moyens accrus.

Mais comme il est vraisemblable que Hitler ne peut se faire d’illusion sur le succès en France d’une propagande pro-allemande, il doit nécessairement accorder toute son attention et toute son aide à une propagande tout aussi anémiante, mais entreprise sous le couvert de l’Internationale ouvrière et communiste qui trouve des oreilles plus accessibles. Les moyens et le choix des hommes importe peu à nos ennemis pourvu que l’objectif, notre affaiblissement, soit atteint.

Affiche : "Europe attention à la 'peinture' rouge". Exposition à la salle Wagram, Paris, 1933.

Ils s’y emploient. En dehors de ce que le raisonnement permet de présumer, il ne faut pas perdre de vue qu’une propagande aussi systématique entraîne des frais considérables. En outre les postes de T.S.F. Clandestins – Radio Paix et Radio Humanité – représentent à eux seuls des dépenses énormes qui ne peuvent être couvertes que par le budget de guerre de nos ennemis. Un fait montre à l’évidence le lien entre la propagande communiste et défaitiste et la propagande allemande : tout récemment, exactement le 8 février à 19 h.30, le poste Radio Paix terminait son émission en faisant allusion au martyr de Henri Jeanson que notre Tribunal vient de condamner pour excitation de militaires à la désobéissance et dont le poste qui semble installé sur le Rhin, annonçait qu’il serait bientôt vengé si les Français se décidaient à comprendre.

Nous sommes donc en présence d’une offensive dont les effets peuvent être grands, et, d’une sorte de guerre dans laquelle nous ne pouvons pas dire que le temps travaille pour nous, tant s’en faut. Il ne faut pas dire non plus que ce danger est négligeable comparativement avec les dangers proprement militaires de la guerre actuelle. Un affaiblissement du front intérieur serait aussi grave pour les destinées de la France qu’un enfoncement du front de bataille. Il ne faut pas oublier qu’en Allemagne l’effondrement de la résistance en novembre 1918 n’a pas été sans rapports avec l’activité du Parti Spartakus, c’est-à-dire Léniniste, dont la propagande avait transformé l’esprit de la nation.

Comment est mené actuellement par nous la lutte contre ce danger manifeste et comment pourrait-elle être menée, c’est ce que je vais me permettre de vous indiquer. »

Notre défense actuelle contre la propagande communiste

« À cette action de l’ennemi, à cette action méthodique, dirigée, centralisée, organisée, commandée, appuyée par d’abondantes ressources, qu’opposons-nous actuellement ? L’expérience de ces affaires montre clairement que nous n’y opposons que des procédés de fortune et des moyens insuffisants. S’agit-il du travail de recherche et de la besogne proprement policière ? Alors on constate d’abord que l’activité déployée est très différente selon les lieux et les hommes. Tel commissaire de police multiplie les arrestations, les enquêtes, les perquisitions, encourage ou provoque les dénonciations, organise une surveillance dans les cafés et dans les usines ; tel autre préfère n’intervenir que s’il est requis, évite « les histoires » ou l’agitation, laisse faire ou laisse dire, pourvu que momentanément le travail industriel paraisse s’accomplir d’une manière normale.

Autour de Paris il n’y a pas plus de quatre ou cinq agglomérations où la propagande communiste ait été pourchassée ; ailleurs cette propagande est tout aussi active et n’a fait naître aucune inculpation. Tous les dossiers que nous recevons émanent des mêmes commissariats. Les autres évitent de faire du zèle et de se compromettre ; ils craignent les responsabilités et redoutent l’avenir. Mais l’activité des policiers les plus zélés ne ne va pas sans inconvénient. Souvent, elle pèche précisément par excès de zèle : il y a des commissaires qui procèdent à des rafles véritables dans lesquelles se trouvent pris et poursuivis beaucoup d’inculpés qui ne sont aucunement coupables ou dont la culpabilité n’est nullement établie et qui n’en sont pas moins incarcérés pendant des semaines. Il va sans dire qu’un tel traitement crée une vive irritation dans les famille, les usines, les quartiers, et amène de l’eau au moulin de la propagande ennemie.

Depuis deux mois j’ai reçu 165 inculpés du chef d’infraction au décret du 26 septembre. J’ai rendu 27 ordonnances de non-lieu, 32 ordonnances de mise en liberté provisoire ; je prévois que je vais rendre dans un délai très court une vingtaine d’ordonnances de non-lieu visant d’autres inculpés. J’arrive ainsi à un total de 79 non-culpabilité sur 165 inculpations en question, et encore y en a-t-il de très récentes sur lesquelles je n’ai pu me faire une opinion.

Ces arrestations faites en bloc, même quand elles frappent des coupables, ne nous permettent en général de découvrir que des comparses ou des fragments de la chaîne. On atteint un distributeur, une sténographe, un discoureur, mais leurs chefs ou leurs associés restent inconnus. Dans un seul cas j’ai pu être mis en possession d’une chaîne, presque complète, qui remonte depuis le distributeur de détail jusqu’au rédacteur initial ou du moins jusqu’au détenteur de la rédaction. Dans un autre cas on remonte de la distribution jusqu’à la confection du stencyl. Dans un autre cas à ma connaissance, la chaîne m’a permis de remonter jusqu’à un inspirateur, à un chef ayant autorité pour indiquer la matière à traiter, l’article à publier, l’information à utiliser, le mot d’ordre à transmettre.

La cause de cette impuissance me paraît résider dans le fractionnement des tâches accomplies sans méthodes. À l’action coordonnée nous n’opposons que des efforts fragmentaires et incohérents.

D’une part, l’action des commissaires est trop locale pour nous permettre d’atteindre le noyau des organisations communistes. Nos adversaires le savent bien, et c’est la raison pour laquelle ils ont brisé leurs cadres locaux. J’ai constaté que le distributeur de banlieue recevait des tracts d’un porteur inconnu de lui du XIème arrondissment, tracts tirés vraisemblablement par des propagandistes du XIXème arrondissement. Naturellement le commissaire de banlieue ne peut arrêter que le distributeur ; pour les autres il donne des commissions rogatoires qui toujours arrivent trop tard.

D’autre part l’action, n’est pas assez méthodique ; les procédés de recherches sont abandonnés à l’initiative d’inspecteurs qui ne sont pas toujours préparés à ces investigations très spéciales ; ils tendent quelques pièges assez grossiers, ils procèdent à quelques rafles ; ils font confiance à quelques indicateurs, ils utilisent quelques « moutons » ; mais tout cela ne paraît pas sérieusement organisé, et le travail est exécuté sans beaucoup de discernement. J’ai sous les yeux des dossiers dans lesquels les dénonciations accuillies par la police sont inspirées moins par le souci de la vérité que par celui de la vengeance.

Ces défectuosités trop évidentes de la méthode de recherche se retrouvent dans nos méthodes d’instruction. Les juges d’instructions du Gouvernement militaire de Paris sont nombreux. Les dossiers leur arrivent nécessairement au hasard même quand ils intéressent des inculpés d’une même région. J’instruis contre des communistes de Saint-Denis en même temps que des collègues du 1er Tribunal ; j’instruis contre des communistes de Vigneux, mais je n’ai pas les dossiers des communistes de Montgeron et de Draveil, quoiqu’il ne s’agisse en réalité que d’une agglomération. C’est tout à fait par hasard que j’ai trouvé dans un dossier de mon collègue Aussy un témoignage me permettant d’établir le rôle d’un inculpé de mon Cabinet ; c’est encore par hasard que j’ai trouvé dans un de mes interrogatoires la preuve de la culpabilité d’un propagandiste poursuivi par M. Marchat.

Non seulement notre activité est fragmentaire et par suite incohérente, mais encore elle ne peut s’exercer qu’avec une lenteur déplorable. Quand un dossier nous arrive, il y a une dizaine de jours que l’affaire est en train ; nous ne pouvons plus ordonner des mesures d’instruction utiles ; les perquisition ne peuvent plus rien nous procurer ; nos adversaires ont pris leurs précautions ; bien mieux ils se sont déjà concertés, grâce à divers procédés, sur leur attitude et leurs déclarations ? Notre tache se réduit trop souvent à enregistrer et non à découvrir.

Affiche : "Au kolkhose la vie est paradisiaque". Exposition "Le bolchevisme contre l'Europe", salle Wagram, Paris, 1942.

Si les dossiers nous arrivent trop tard, nous-mêmes nous les gardons trop longtemps et l’action répressive se trouve retardée. Il n’en peut être autrement, et il faut le déplorer quand on compare les moyens dont nous disposons pour cette guerre spéciale, et ceux dont disposent nos ennemis. Nous n’avons ni personnel, ni matériel en rapport avec notre tache. Un seul exemple va illustrer notre impuissance.

J’ai reçu récemment un dossier comportant 34 inculpés que j’aurai à entendre chacun environ trois fois. À lui seul ce dossier va nécessiter la confection de 68 mandats de dépôt, de 204 ordres d’extraction (deux par inculpé et par interrogatoire), de 34 demandes de casier, de 34 demandes de renseignements, de 20 à 25 demandes d’avocats d’office, de 68 convocations d’avocats, de 102 procès-verbaux d’interrogatoires de témoins, de 34 ordonnances de non-lieu ou de renvoi (à établir en trois exemplaires), à quoi il faut ajouter les permis de communiquer avec les avocats et les commissions rogatoires, la lecture quotidienbne des lettres des détenus, l’établissement des actes, la tenue des registres, etc…

Tout ce travail purement matériel relatif à un seul dossier doit être exécuté à la main par un seul Maréchal des Logis greffier qui, malgré tout son dévouement, n’y peut suffire, quelle que soit l’aide également matérielle que je lui apporte. Comment s’étonner dans ces conditions que la répression de la propagande dangereuse n’avance pas vite ? Comment ne pas redouter que dans cette lutte pour la défense du pays nous ne soyons toujours en retard sur des ennemis beaucoup mieux outillés ? »

Les remèdes

« L’exposé même des défectuosités de notre organisation défensive contre la propagande d’affaiblissement national permet de prévoir quelles sont les améliorations à réaliser. Ces améliorations sont de deux sortes : d’abord la centralisation, ensuite la transformation des conditions du travail matériel.

Il faut d’abord organiser une police spécialisée n’ayant à accomplir aucune autre besogne que la poursuite des propagandistes communistes. Cette police recueillant toutes les informations disposant d’un personnel sélectionné, pouvant opérer des recoupements, compulser tous les documents et suivre toutes les affaires, disposera rapidement de connaissances très étendues qui iront sans cesse en se complétant. À mon sens c’est cette police chargée de surveiller toute propagande antinationale, par l’écrit, la parole ou la radio, qui devrait seule opérer sur les indications des commissaires locaux ou des brigades de gendarmerie qui ne pourraient prendre en cette matière que des mesures tout à fait provisoires, dans les cas d’ugence et de flagrant délit et qui devrait immédiatement aviser la police spécialisée. À mon sens encore, cette police devrait n’avoir aucune autre affaire à suivre de manière à ce que son attention et son activité soient entièrement consacrées à la besogne de défense nationale qui lui incomberait.

L’exemple des excellents résultats qu’ont peut attendre de cette spécialisation est fourni par l’expérience de la Brigade Nord-Africaine chargée de surveiller l’activité politique des Algériens, Tunisiens et Marocains résidant en France métropolitaine. Grâce à un travail méthodique et à un travail ingénieux des fiches alphabétiques tenues au courant des moindres faits et gestes des individus à surveiller, cette brigade a une connaissance approfondie de toute agitation ; elle peut la prévoir, l’empêcher ou la réprimer. Rien ne lui échappe de haut en bas de l’échelle.

Les méthodes qui ont permis d’arriver à ce résultat devraient être immédiatement employées contre la propagande antinationale et il est vraisemblable qu’elle produirait les mêmes résultats et nous permettraient d’arriver à une connaissance exacte d’un danger dont nous n’avons actuellement qu’une opinion très incertaine. Ainsi, des résultats positifs pourraient être obtenus ; ainsi on pourrait remonter le courant jusqu’à la source ; ainsi on éviterait les poursuites inspirées par des sentiments de rancune, de vengeance, de revanche politique auxquelles ne se laisseraient pas prendre des policiers avertis. Ainsi on pourrait parer à deux risques dont les conséquences sont également redoutables, celui de laisser échapper des coupables et celui de traquer des innocents.

Naturellement cette police spécialisée devrait opérer non seulement dans la région parisienne mais encore dans toute la France et se tenir en liaison avec les polices étrangères chargées de la même besogne.

Ce que je viens de dire de la police doit être dit aussi à l’intruction. C’est qu’en effet il n’y a qu’une affaire communiste et qu’une affaire antinationale laissant apparaître ou deviner peu d’auteurs principaux, tous les autres, tous ceux qu’on arrête à Paris, en banlieue, en province, ne sont que des comparses ou des complices. Complice le distributeur, complice l’imprimeur, complice la dactylographe, tous complices d’un même délit puisqu’ils ne font les uns et les autres qu’exécuter des instructions des auteurs principaux, des chefs des inspirateurs.

Puisqu’il n’y a qu’une seule affaire répartie en plusieurs dossiers, il ne devrait donc y avoir qu’une instruction, qu’un juge d’instruction centralisant tout, appréciant tout, se rendant compte du rôle de chaque comparse dans la hiérarchie, pouvant se documenter sur un dossier, à l’aide d’un dossier voisin, pouvant poser des questions utiles, effectuer des confrontations opportunes ; un tel juge aurait du péril communiste une connaissance si complète qu’il aurait tôt fait de discerner la vérité et de découvrir les culpabilités. Naturellement il devrait être aidé par des juges d’instruction adjoints entre lesquels le travail serait réparti et dont la collaboration serait, non seulement matériellement mais encore intellectuellement, indispensable.

En dehors de cette centralisation qui peut être dès à présent réalisée sur une petite échelle et qui même réduite n’en constituerait pas moins un progrès fécond en résultats, il est vraiment urgent et indispensable qu’on nous fournisse des moyens de travail, c’est-à-dire du personnel et du matériel. Il y a dans ces sortes d’affaires comportant beaucoup d’inculpés des formules à remplir, des copies à faire, mille travaux manuels qui peuvent être confiés à des scribes consciencieux dont nous avons le plus grand besoin.

D’autre part il est inconcevable que pour une telle besogne, si urgente, si nécessaire à la Défense nationale, nous n’ayons même pas les quelques machines à écrire dont disposent le moindre commerçant et la plus modeste administration privée. Nous n’avons ni machine ni machiniste ; tout doit être écrit à la main et ce document ne sera dactylographié que grâce à une assistance privée. Voilà où nous en sommes après six mois de guerre et quand nous avons à lutter contre des adversaires si abondamnent et si richement pourvus par nos ennemis moscoutaires ou hitlériens.

Centralisation, méthode, moyens matériels d’action, tels sont les besoins les plus urgents. Naturellement pour triompher de la propagande ennemie ce ne sera peut-être pas suffisant, ce sera déjà mieux que le vain effort d’aujourd’hui. Il y faudrait ajouter un travail méthodique de cure morale, de désintoxication des esprits. Lutter c’est bien, convaincre c’est mieux.

Où irions-nous si nous devions voir un jour se dresser l’un contre l’autre deux Frances rivales ? Ce serait la fin de la vraie France. Il faut tout faire pour réaliser l’union des Français pour la défense de leur France. La répression n’y suffira pas ; il faut y ajouter beaucoup de persuasion. »

Bref aperçu de la répression communiste de 1939 à 1941

La rhétorique du juge Vimard est commune à celles du ministre de l’Intérieur Georges Mandel et du gouverneur militaire de Paris, le Général Héring. La lutte contre les communistes de la région parisienne s’intensifie à partir du printemps et de l’été 1939. Elle prend une nouvelle dimension avec la dissolution du PCF, le 26 septembre 1939.

Même si les effectifs du PCF ont semblé chuter à partir de 1937, en mai 1939, au plan national, ils sont 283 000 adhérents, dont 100 000 environ pour la région parisienne. En septembre 1939, l’autorité militaire surestime les chiffres de la population communiste d’au moins un quart. Une note du 23 septembre 1939 au sujet « des effectifs et des possibilités d’action du Parti Communiste » avance, « pour l’ensemble du pays, le chiffre de 350.000, soit 300.000 pour le Parti Communiste et 50.000 pour la Fédération des Jeunesses Communistes »

Le 15 mars 1941, le ministère de l’Intérieur présente des chiffres qui correspondent davantage aux faits : « Avant septembre 1939, le Parti Communiste français groupait 280.000 adhérents environ ». Ce même rapport dresse un « état statistique de l’activité des services de Police en matière de répression des menées anti-nationales ». Pour la période du 2 septembre 1939 au 31 janvier 1941, on relève 8 372 arrestations, 21 152 perquisitions, 990 groupements sont dissous, 432 journaux sont interdits ou suspendus et 4 492 internements sont enregistrés.

Sources :

Docteur en droit, le juge Vimard était avocat à la cour de Paris avant d’être juge d’instruction au deuxième tribunal militaire de Paris. Le 3 mars 1940, il adresse son rapport au Colonel Bacquart, commissaire du Gouvernement près le Tribunal militaire de Paris et à Raoul Dautry, ministre à l’Armement. Ce rapport est conservé au Service historique de la Défense, département de l’armée de terre (SHD-DAT), cote 5 N 602.
Concernant la répression : SHD-DAT 9 N 362, AN F7 15277, ainsi que Philippe Buton in Les communistes français de Munich à Châteaubriant, sous la direction de Jean-Pierre Rioux, Antoine Prost et Jean-Pierre Azéma, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1987.

Quant aux illustrations, elles proviennent de la cote F7 14999 des Archives nationales, Paris. Celles du milieu et du bas de page datent de mars 1942. Elles ont été réalisées à l’occasion de l’exposition Le Bolchevisme contre l’Europe, salle Wagram, manifestation collaborationniste placée sous les auspices du Comité d’action antibolchévique.

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