L’énigme du « Carburant Libération », Bordeaux, septembre 1944

Dans le courant de l’année 2006, je recevais un appel de quelqu’un me disant posséder des archives venant de son père, ancien résistant dans la région de Bordeaux. Celui-ci les avait jusque là conservées dans un coffre, à sa banque, et avait fait promettre à son fils de ne les sortir qu’après sa mort… La rencontre avec le fils s’est faite dans la région de Bergerac. Parmi les archives en question se trouvait un album qui attira aussitôt mon attention.
J’ai pu le photographier et j’ai pensé, à tort, qu’il serait facile d’en découvrir l’origine. Or, mes premières recherches n’ont absolument rien donné… et j’ai mis cela de côté. Aujourd’hui, j’espère que le fait de rendre public ce document suscitera des réactions et apportera quelques réponses.

Couverture du livret "Le Carburant Libération", Bordeaux, septembre 1944.

« Le Carburant Libération »

Sur la couverture en cuir Bordeaux et en toile rouge de ce petit fascicule (17 x 13 cm environ) le titre suivant est frappé en lettres dorées : « ÉTAT MAJOR DU GÉNIE DE LA 18° RÉGION / BORDEAUX / LE CARBURANT LIBÉRATION / SEPT. 44 ».

L'usine de carburants, 11e bataillon du Génie, Bordeaux, septembre 1944.

La première page titre : « 11eme BATAILLON du GENIE / L’USINE de CARBURANTS / Service photo du GENIE », texte présenté en réserve dans des bandeaux noirs sur fond aquarellé représentant une usine constituée de citernes de stockage, desquelles sortent des pipelines.

La page 3 présente une vue d’ensemble de l’usine avec deux voitures garées au premier plan, une Traction avant et une Simca 5. Il s’agit en fait d’un vaste hangar au fond duquel on devine un alignement de fûts. Un écriteau « Défense de fumer » est accroché en hauteur, dans la charpente métallique. Sur la page 5 (ci-dessous à droite), nous sommes devant l’entrée de l’usine, grille fermée. Sur la porte latérale de la voiture, au premier-plan ainsi que sur la malle arrière, on devine les initiales « E.M. », peintes en lettres blanches… pour « État-Major » ?

Visite de l’usine par l’état-major de la 18e Région militaire

Usine de carburants, entrée, Bordeaux 1944.Entrée de l'usine de carburants, 18e Région militaire, Bordeaux, septembre 1944.

La légende de la page 7 précise : « LES FUTS de RESERVE et les CUVES de MELANGE ». Alors que le premier plan montre une enfilade de fûts posés à même le sol, on aperçoit en arrière-plan deux citernes de grande capacité, identifiées par un marquage en lettres blanches : N° 1 et N° 2.

Sur la photo de la page 9 (ci-dessous et à droite) on aperçoit « LES POMPES et le TABLEAU de COMMANDE ».

Usine de carburants, 18e Région militaire, Bordeaux, septembre 1944. Usine des Carburants, Gironde, Génie de la 18e Région militaire.
État-major de la 18e Région militaire réuni à l'usine des carburants.

La photo de la page 11 est ainsi légendée : « LE CHEF DETAT-MAJOR ».

Les deux pages qui suivent montrent les membres de l’état-major du Génie de la 18e Région militaire à Bordeaux en visite d’inspection à l’usine des carburants, située quelque part en Gironde… ?

La page 13 titre : « DEVANT le TABLEAU de MANŒUVRE », et la page 15 : « TOUT MARCHE… ÇA VA ! »

"Le carburant sans essence est prêt pour la livraison", 18e Région militaire, Bordeaux, septembre 1944.

L’avant-dernière page (ci-dessus) donne une indication sur la nature du produit : « carburant sans essence ». S’il est « prêt pour la livraison », c’est que la direction de l’usine a dépassé le stade de l’expérimentation et des essais et qu’elle est déjà en production…

La dernière page du livret a pour titre :
« Dans le maquis pour la libération. Dans les F.F.I. pour la reconstruction ». Une légende accompagne la photo : « Le Capitaine GUSTAVE – Le Commandant DOCTEUR ».

Usine de carburants, 18e Région militaire, Capitaine Gustave et Commandant Docteur

Cet album est pour moi une énigme…

J’espère apprendre un jour qui étaient le Capitaine Gustave et le Commandant Docteur, quelle était exactement la nature du « carburant Libération » (vraisemblablement une essence de synthèse), où était située cette unité de fabrication, et enfin, comment pouvait-elle être opérationnelle en septembre 1944… ?

Merci à tous ceux qui sauront, par leur contribution, éclaircir ce mystère !

5 Commentaires de l'article “L’énigme du « Carburant Libération », Bordeaux, septembre 1944”

  1. Patrice Rolli dit :

    Je pense pouvoir t’en dire un peu plus sur le dénommé « Docteur » dont je découvre une photo pour la première fois. Docteur se nommait en fait Colin ou Collin et serait originaire du secteur de Castillon la Bataille. Il appartenait aux FTP au moins à partir du 11 juin 1944 puisque d’après certains témoignages (donc à utiliser avec précaution) c’est lui qui devait se présenter en tant qu’artificier et procéder au dynamitage du pont de chemin de fer de Mussidan. Ce personnage était considéré, du fait qu’il était ingénieur de profession, comme un spécialiste de la destruction des ouvrages d’art, en particulier des pont sur la Dordogne. Docteur est lié au parcours du 4e bataillon FTP (il est un des chefs lors de l’embuscade tendue à Molières par des éléments de la 11e Panzer Division le 28 juin 1944) puis, si je me souviens bien à celui du 6e Bataillon FTP. Il est mentionné dans FTP en Dordogne. Ce personnage a joué un rôle lors de la libération de Bordeaux et est présenté par Robert Aron comme un « dangereux communiste ». Le colonel Druilhe l’aurait nommé au commandement du génie de la région. Il s’agissait d’un piège et Docteur fut évincé au bout de 15 jours. Par contre ce qui m’étonne c’est que Docteur est présenté par Aron comme étranger ce qui ne paraît pas avoir été le cas. Voila peut être la réponse au commentaire de la photo « Dans le maquis pour la libération dans les FFI pour la reconstruction ». Quant au carburant pouvait-il s’agir d’essence synthétique comme les allemands savaient en produire à l’époque ? Amicalement, Patrice.

  2. Jacky Tronel dit :

    Merci Patrice. Cela m’a rappelé un témoignage d’Émile Guet qui m’avait parlé de « Docteur » en ces termes : « L’état-major du Génie se trouvait après Castillon (Arveyres) et c’est de là que naquit la légende du commandant Docteur qui s’était fait connaître préalablement en faisant sauter le pont de Prigonrieux sans nécessité, celui-ci étant neutralisé par le groupe Ponton-Martin. […] Le commandant Docteur devra sa notoriété à la Libération de Bordeaux en se faisant photographier sur une Citroën traction avant… ». J’ai également retrouvé sa trace dans le livre Castillon à l’heure allemande 1939-1945 (Éditions Confluences – GRHESAC). C’est lui qui aurait reçu la reddition des Allemands à Castillon, le 24 août, sans qu’il y ait le moindre combat. On peut lire ceci dans Wikipédia : « Durant la Seconde Guerre mondiale, il est actif dans les maquis du Périgord et dans le Bordelais. Il est décoré de la Croix de guerre française (le 11 novembre 1944) et de la médaille de la Résistance. L’État belge lui accordera l’ordre de Léopold, la Croix de guerre, la Médaille de combattant volontaire »
    Notre « Commandant Docteur » n’est autre que Jean-Florian Collin, né à Bruxelles le 28 août 1904, architecte de profession, sénateur du Parti libéral (PLP) de 1965 à 1971 et bourgmestre de Faulx-les-Tombes jusqu’en 1970. Il meurt à Plan-de-la-Tour (Var) le 7 septembre 1985.
    Il nous reste à trouver les réponses aux questions suivantes : Qui était le Capitaine Gustave ? Où se trouvait située cette usine de carburants ? Quel type de carburant y fabriquait-on ? Sujet passionnant. Étonnant qu’il ne soit pas sorti plus tôt !… Bien à toi, JT

  3. Collin, Jean Yves dit :

    Attention !! Je suis le fils de Jean F Collin et je détiens une partie des archives de guerre de mon père.
    C’est par hasard que je suis tombé sur votre article, je ne suis pas très rigoureux avec ce que chacun peut dire sur la Résitance. Collin alias Docteur n’est certainement pas un héros, mais je reste attentif à ce que rien pouvant porter atteinte à la mémoire ou à l’honneur de mon père ne soit diffusé !!!!!! ok
    Il était communiste : exact. Il est entré en résistance active fin 1942, après l’entrée des Allemands en zone NONO (non occupée) et a un parcours dans la Résitance honorable avec plusieurs engagements armés contre les forces d’occupation.
    Exclu du parti communiste fin 44 pour avoir refusé de leur livrer l’essence (nerf de la guerre en ce temps là, ce qui les défavorisaient sur le terrain face aux forces du général de Gaulle). Les FTP récupérèrent ses troupes en le nommant chef de bataillon à titre provisoire. Avant son exclusion il avait organisé, avec et pour les communistes, une grande manifestation au stade de Bordeaux avec défilé des troupes, etc. (les gaullistes ne le lui pardonneront pas). Après six mois (mars 1945) il est poussé vers la sortie après avoir été décoré (avec d’autres) par le colonel Drhuile (devenu général) sur l’esplanade des Quinconces à Bordeaux (sur la photo on aperçoit la colonne des Girondins sans les chevaux de bronze, démontés pour être fondus, perdus, puis miraculeusement retrouvés après guerre et reconstruits vers 1978).
    Pour Collin en 1940, avec l’exode belge il était arrivé à Villeréal ou, en association avec le charron du coin, il construisait des gazogènes. Grâce à cela, il avait racheté des coupes de bois dans les Landes, ce qui lui permettait d’avoir un laissez-passer de zone NONO en zone occupée et retour, un camion et des ouvriers (plusieurs Belges entres autre, Espagnols, communistes comme lui et qui le suivront au maquis). Grâce à ce camion, plus tard, il pourra transporter des parachutages d’armes et autres munitions (principal fait d’arme valant citation à l’ordre de l’armée : être entré avec ses compagnons dans Bergerac au volant de son véhicule chargé de deux tonnes d’armes, en tractant en remorque un camion des troupes allemandes et 23 hommes, et l’avoir remorqué jusqu’a la poudrerie, sans encombre!)
    Je suis à votre disposition pour tous autres renseignements.
    Ma mère, sa compagne durant la guerre vit encore et a 104 ans.
    Salutations, Jean Y Collin.
    PS : le capitaine Gustave, de son nom ? Lewis, rencontré en 1944, s’est occupé de la gestion des essences. Sa femme était veuve Mounet (auteur dramatique).

  4. Jacky Tronel dit :

    Merci Monsieur Collin pour les précisions intéressantes que vous apportez ici. Comme convenu lors de notre discussion téléphonique, j’aurais plaisir à vous rencontrer en vue d’échanger sur ce « Carburant Libération », dont vous situez l’usine de fabrication ou de stockage sur la commune de Martillac, en Gironde. J’aimerais en connaître davantage sur votre père, Jean-Florian Collin, alias Commandant Docteur, ainsi que sur Lewis, alias Capitaine Gustave, dont il est possible que la veuve ait porté le nom de Lewis Mounet-Sully… Je vous en dirai plus à ce sujet quand nous nous rencontrerons. Bien à vous, JT

  5. Stéphane Weiss dit :

    Bonsoir
    J’ai pris connaissance de votre article de 2011 sur le « carburant Libération » bordelais.
    Lors de recherches au Service historique de la Défense à Vincennes, j’ai trouvé des informations en lien direct avec cette production de carburant pour le compte de la 18e Région militaire bordelaise, de septembre et à novembre 1944.
    A votre disposition pour en reparler par mail.
    Cordialement
    S. Weiss

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