Le Panzerzug de « La Bataille du rail » en gare de Bergerac, après la Libération
Par Jacky Tronel | dimanche 13 octobre 2013 | Catégorie : Dernières parutions, RECHERCHES | 4 commentairesIl y a une quinzaine d’années de cela, Robert Laborie me confiait une photo dont il ne savait que peu de chose, si ce n’est qu’elle avait été prise par lui ou bien par Georges, son frère, après la Libération. Sur la photo en question, on aperçoit un train blindé stationné en gare de Bergerac. Quelques civils endimanchés, parmi eux des enfants, semblent visiter ce train peu ordinaire…
J’ai eu beau interroger les historiens locaux, les résistants cheminots, les collectionneurs… personne ne se souvient, ou ne sait ! Il me restait alors la presse… Mais voilà, sans indication de date, il m’aurait fallu dépouiller une à une les éditions des journaux locaux de fin juillet 1944 à 1945, 1946…
C’est un jeune historien mussidanais, Patrice Rolli, qui m’a finalement mis… sur la voie ! Ce train, de passage à Bergerac, est celui qui a servi au tournage du film « La Bataille du rail » de René Clément : le Panzerzug n° 32.
Il ne s’agissait pas du train accroché par la Résistance à Mussidan
Ce train blindé arrêté en gare de Bergerac m’a tout de suite fait penser au train de protection allemand qui, le 11 juin 1944, faisait l’objet d’une attaque en règle de la Résistance, à Mussidan (au nord de Bergerac). Cette action malheureuse était suivie de l’exécution sommaire de 52 habitants de la commune et des villages alentours, en représailles, devenant ainsi le plus grand massacre de civils commis en Dordogne.
Interrogé à ce sujet, Patrice Rolli me renvoyait à son récent ouvrage sur la Phalange Nord-Africaine (à paraître mi novembre 2013) : « Depuis le 6 juin 1944 la sécurité des troupes allemandes, qui était déjà précaire dans le département selon l’aveu même du commandant de l’état-major de liaison, le colonel Sternkopf, devint critique en particulier dans le secteur de Saint-Astier qui présentait un enjeu stratégique pour l’armée allemande en raison de la présence d’une usine souterraine (SNCASO) qui assemblait des avions. Le Colonel Sternkop a indiqué par la suite qu’il avait dû “ organiser des patrouilles permanentes entre Périgueux, Saint-Astier et Mussidan pour assurer la sécurité du trafic ferroviaire pour l’acheminement des convois d’avions et de travailleurs. ” [Extrait de La Phalange africaine en Dordogne : histoire d’une alliance entre la pègre et la Gestapo (15 mars – 19 août 1944), Patrice Rolli, Éditions L’Histoire en partage, 15 rue Edison, 24750 Boulazac, novembre 2013].
Le lieutenant Zimmer, poursuit Patrice Rolli, qui commandait la compagnie de la Luftwaffe basée à Saint-Astier, avait procédé au renforcement de ses positions de sécurité en faisant notamment circuler sur la voie ferrée Périgueux-Bordeaux un train de protection constitué de wagons et de plates-formes armées de mitrailleuses à bord duquel se trouvait une vingtaine d’élèves aspirants. On pourrait croire qu’il s’agit de « ton » train blindé mais d’après les descriptions des résistants qui l’ont attaqué, celui qui circulait à Mussidan n’était pas vraiment un « train blindé » au sens premier du terme. Il était constitué de wagons plats sur lesquels avait été installés des sacs de sable et des mitrailleuses et de wagons « classiques ». J’ai même un dessin précis de ce train nommé à tort « train blindé »…
Dans un second courriel, Patrice me renvoyait à un forum faisant référence à un « train capturé à Chagny qui a participé au film La Bataille du rail et qui, pendant quelques mois, a été “ promené ” quasiment dans toute la France pour être présenté aux populations ». Nous étions sur la bonne voie !…
La Bataille du rail, film de René Clément sorti en 1946
La Bataille du rail est un film français de René Clément, sorti en 1946 ; en sélection officielle au Festival de Cannes 1946. Grand Prix Festival de Cannes 1946 ; Prix du Jury Festival de Cannes 1946.
Il n’est pas inutile de rappeler le contexte historique de la création du film. De 1944 à 1946, c’est le Comité de libération du cinéma français, fondé par des résistants, qui gère la production du cinéma en autorisant ou en censurant les films jugés trop liés aux Allemands et à la collaboration. Durant cette période, plus de vingt films auront pour thème la guerre. La Résistance est souvent évoquée. On veut faire des films réalistes mais qui exaltent des valeurs héroïques. La Bataille du rail est le premier film qui traite de la résistance ferroviaire.
À l’origine, le film devait être un court métrage et s’intitulait Résistance de fer, en référence au nom d’un groupe de résistants cheminots. L’idée du projet remonte à octobre 1944. Le groupement professionnel qu’est le Comité de libération du cinéma français comptait parmi ses membres une majorité d’adhérents du PCF. À travers ce film, le Comité souhaitait mettre en valeur l’action clandestine des hommes du rail. Parallèlement, la SNCF, qui portait également cette idée, a appelé à l’aide le Service cinématographique aux armées. Le projet du film de René Clément rassemblait ainsi la SNCF, le groupe Résistance-Fer et la Commission militaire nationale. [source : Centre national de documentation pédagogique]
Revoir la scène du déraillement du train : lien…
Voir la bande annonce du film : lien…
Voir l’intégralité du film : lien…
Au sujet du Panzerzug n° 32 qui est passé en gare de Bergerac
Le Panzerzug n° 32 a été principalement construit en France. La locomotive d’origine autrichienne Golsdorf a été blindée aux usines Schneider du Creusot. Les wagons de commandement (K Wagen) et artillerie (A Wagen) proviennent des usines Somua, sauf deux d’entre-eux qui furent construits aux usines Saint-Chamond et qui emportaient chacun une pièce de Flak de 37 mm et une tourelle équipée d’un obusier d’origine russe. Ces deux wagons sont exclusifs au Panzerzug n°32. Le troisième wagon artillerie était également équipé de la même tourelle mais sa pièce de Flak était est un quadritube de 20 mm. Les deux wagons porte-chars proviennent directement d’Allemagne. Un tender modifié en cuisine-infirmerie sera ajouté au convoi.
La construction de ce train blindé s’étend de mars à juillet 1944 où il entrera en service. Bien que ses missions restent floues, on peut facilement imaginer ce monstre d’acier escortant des convois en partance pour le front normand. Le cuirassé sur rails comporte un équipage d’environ 130 hommes et se décompose ainsi, de l’avant vers l’arrière :
– un wagon de maintenance armé d’une mitrailleuse et qui emporte des ouvriers et le nécessaire de réparation des voies
– un wagon porte-chars avec un char Renault R 35
– le wagon artillerie équipé du quadritubes de 20 mm
– un wagon de commandement avec une antenne cadre
– le tender infirmerie cuisine
– la locomotive et son tender
– le premier wagon artillerie avec Flak 37
– le second wagon de commandement
– le second wagon artillerie avec Flak 37
– le second wagon porte-chars qui emporte un obusier russe de 122 mm monté sur une chenillette lorraine 37L
Sa carrière militaire s’achève en septembre 1944 à Saint-Berain-sur-Dheune (Saône et Loire) où il est repéré le jeudi 7 septembre à 8 h.45 par des éléments du 3e Escadron du 9e RCA équipé notamment de tank Destroyer M 10. De 18 h.20 à 19 h.10 les canons de campagne alliés bombardent le train et ses alentours ce qui fait paniquer l’équipage qui l’abandonne durant la nuit. Le vendredi 8, le train blindé est capturé avec tout son armement ainsi que les sept trains de marchandises qu’il escortait.
Jean-Pierre VERCAIGNE, membre de Lille Modélisme (59) et auteur de ce texte précise : « Le Panzerzug n° 32 servira encore pour le film La Bataille du Rail de René Clément avec une locomotive blindée en carton, celle d’origine ayant été remise en service civil ! Après le tournage, il entreprendra une tournée nationale en France de gare en gare où l’on pouvait le visiter. Il finira mystérieusement découpé par des ferrailleurs. »
Source : site Lille Modélisme — Club de Modélisme Ferroviaire
Les raisons de la présence du train blindé allemand à Bergerac
Dans l’article « Résistance-Fer, du « réseau » à l’association : une dynamique corporative intéressée ? », publié en 2006 dans la Revue d’histoire des chemins de fer, Georges Ribeill précise que « les ressources inespérées du film ainsi que de la tournée du train blindé de gare en gare (adultes : 10 F l’entrée ; enfants et militaires : 5 F), permirent l’acquisition par Résistance-Fer de l’ancien Hôtel des Anglais à Valescure, près de Saint-Raphaël, qui, converti en Maison du souvenir inaugurée le 6 février 1949 par Louis Armand, allait servir de maison de repos aux adhérents ou de centre d’hébergement pour leurs enfants lors des vacances. » Lien…
Qui en saurait davantage sur le passage à Bergerac de ce train blindé allemand, le Panzerzug n° 32 (date, photos, articles de presse…) est invité à laisser un commentaire en fin d’article. D’avance merci.
Bonjour, je possède également une photo de ce train blindé, le 19 mars 1948, en gare de St-Vincent-de-Tyrosse, entre Dax et Bayonne. Ce convoi a été découpé par des ferrailleurs pour être fondu, parait-il, aux forges du Boucau-Tarnos près de Bayonne. Pouvez-vous me confirmer cette histoire. J’ai contacté les anciens des forges, ils m’ont dit que des entreprises satellites préparaient pour eux les morceaux d’acier et ne possèdent par d’archives à ce sujet !!! Au cours de cette photo un groupe d’adolescents était monté dessus. J’ai retrouvé l’un d’eux, les autres sont décédés, malheureusement. Le train était abandonné sur une voie de service pendant x mois avant d’être découpé. Une autre histoire… il parait qu’il devait être fondu aux forges de Bilbao, mais l’écartement des voies ne l’a pas permis. Ce train est revenu d’Hendaye à Tyrosse pour être fondu cette fois aux forges du Boucau. Pouvez-vous me donner votre avis, d’avance merci.
Paul MALMASSARI, historien militaire spécialisé dans l’histoire des trains blindés est l’auteur de « Les Trains blindés 1826-1989 » (éditions Heimdal, 1989), qui consacre un chapitre important à l’histoire du PZ 32. En mai 2007, il soutenait une thèse de doctorat à l’Université Paul Valéry de Montpellier sur les trains blindés français entre 1826 et 1962, sous la direction du professeur J-C Jauffret, thèse qui a été publiée aux éditions SOTECA.
Paul Malmassari prépare un nouveau livre sur l’histoire des trains blindés de tous les pays et, dans ce cadre, essaie de réunir le plus grand nombre de photographies et de documents…
Contact : paul.malmassari@fm-gacmt.org
Billet d’entrée pour la visite du train blindé (lieu inconnu), archives Paul Malmassari.
Bonjour Messieurs,
Depuis de longues années, je cherche des informations ou mieux une photo de ce fameux train blindé. En existe-t-il plusieurs qui ont circulé en France en 1945 et 1946 ?
Je me souviens très bien, c’était au printemps 1946, mon grand père m’invite à l’accompagner pour aller voir « le train blinde » à la gare de Vic-sur-Cère (Cantal). Il était garé sur la voie de garage entre les deux voies de circulation. Cette voie existe toujours. J’avais 7 ans. J’y retrouve des copains d’école. Nous escaladons et visitons les wagons, montons sur les canons, nous disputons la possibilité d’actionner les volants et leviers des canons. Je me souviens avec les copains être monté dans l’espace de commande de la loco, d’avoir actionné les manettes. Je suis même être entré dans le foyer de chauffage plein de cendres. Les copains m’y enfermèrent et se sauvèrent m’abandonnant à la panique. Mon grand père me cherchait partout ! interpellant l’un de mes copains, l’un de ceux-ci lui répondit que j’étais enfermé dans le foyer. Le « pépé » et le copain montèrent dans la loco et me sortirent tout en larmes et très encendré. Je n’ai jamais oublié…
Merci M. Irlande pour ce témoignage qui a fait remonter quelques souvenirs d’enfance… Il devait bien s’agir du même train, puisque Vic-sur-Cère et Bergerac se trouvent sur la même ligne ferroviaire : la ligne Bordeaux-Aurillac.