Le dépôt de prisonniers de guerre de l’Axe n° 125 de Brantôme

Prisonniers de guerre allemands appartenant au dépôt de guerre n° 125 de Brantôme, travaillant sur le chantier du village martyr de Mouleydier

Dans l’immédiate après-guerre, face à la difficile réorganisation des travaux agricoles et forestiers, à la nécessaire exploitation des mines et des carrières, ainsi qu’à la lente reconstruction des villages de Rouffignac, de Mouleydier et de Pressignac (incendiés par les nazis les 31 mars et 21 juin 1944), il devient évident que le département de la Dordogne manque de bras. Ce sont les prisonniers de guerre allemands qui vont pallier ce déficit de main-d’œuvre.

Au début du mois de juillet 1945, le préfet de la Dordogne décide de créer un dépôt de prisonniers de guerre tel qu’il en existe déjà en Haute-Vienne (à St-Paul d’Eyjaux), en Corrèze (à La Trémouille, près de Tulle) et dans l’Indre (le camp des Défends, à Châteauroux). On ne sait pratiquement rien de ce camp de prisonniers allemands. Localement, sa mémoire s’est perdue : pas de photos, très peu de témoignages…

Groupe de prisonniers de guerre allemands rattachés au dépôt n° 125, travaillant sur le chantier de Mouleydier. Photo D.R.

Le choix du lieu et l’implantation

Le 2 juillet 1945, dans une note interne adressée au préfet, la question est ainsi posée : « S’il n’est pas possible de retenir la suggestion tendant à la création d’un tel dépôt à Mauzac, ne serait-il pas possible d’utiliser les baraquements de Saint-Astier, s’il est exact qu’ils n’ont encore aucune affectation ? ». Durant la guerre, des groupes de travailleurs étrangers ayant existé tant à Mauzac (652e GTE) qu’à Saint-Astier (645e GTE), il est probable que l’on destinait aux prisonniers de guerre allemands les baraquements dans lesquels avaient logé les Espagnols.

Bien que Mauzac ait servi provisoirement de dépôt de prisonniers allemands, le site a été définitivement écarté en raison de la proximité de l’ancienne prison militaire, devenue à partir de l’automne 1944 l’une des nombreuses « prisons de l’Épuration ». Quant au ministre de la Guerre, il envisage l’installation de ce dépôt près de Bergerac, à Creysse, dans l’ancien « camp de regroupement des unités russes ». Dans le même temps, le préfet apprend que « le Ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés a renoncé à l’utilisation du camp de Bergerac pour l’hébergement de réfugiés étrangers ».

C’est donc à Brantôme, « la Venise verte du Périgord », à mi-chemin entre Périgueux et Nontron, que le « Dépôt des prisonniers de guerre de l’Axe n° 125 » est créé. Le camp occupe tout le côté droit de la route de Thiviers (avenue André Maurois), du chemin conduisant à Puymarteau et au Pigeonnier jusqu’à la ferme jouxtant l’actuelle Hostellerie du Périgord Vert.

Au siège de la 415e compagnie de garde des prisonniers de guerre du dépôt n°125 de Brantôme en mai 1946.

Au siège de la 415e CPG (Compagnie de garde des prisonniers de guerre) stationnée à Brantôme, mai 1946.
De gauche à droite : Pierre Garen, sergent-chef, Ranti, cuisinier, et les gardes Dardy et Blond.
Les cuisines sont à gauche et les dortoirs à droite. Ce cantonnement était situé non loin du cimetière de Brantôme.

Les cadres du dépot n° 125 et de la 415e CGPG

Le commandement est tout d’abord assuré par le capitaine Guyonnet, puis par le commandant Crosnier. Le cadre permanent est formé d’un officier de détail, le sous-lieutenant Raynaud ; d’un officier de main-d’œuvre, le sous-lieutenant Hugues et d’un responsable du Service matériel, l’adjudant-chef Avenel. La surveillance est confiée à la 415e compagnie de garde des prisonniers de guerre, issue de la 126e stationnée à Brive. Le commandant de compagnie est le lieutenant Richelet. Il a pour adjoint le sous-lieutenant Ruel. L’effectif approche les 4 000 prisonniers, groupés en commandos de 50 hommes au minimum.

Le nombre de prisonniers de guerre allemands cantonnés au siège du dépôt, à Brantôme, n’excède pas la centaine. La grande majorité des prisonniers est employée comme main-d’œuvre sur les nombreux chantiers répartis dans le département. Ceux des Allemands restés au dépôt seront logiquement requis pour les travaux de terrassement de la stèle du champ des martyrs de Brantôme qui commémore le massacre des 26 fusillés (25 otages de la prison de Limoges, dont Georges Dumas, père de l’avocat et ancien ministre Roland Dumas, ainsi qu’un jeune Brantômais nommé Émile Avril, arrêté par hasard alors qu’il revenait d’un match de football) en représailles de l’attentat commis par la Résistance contre trois officiers SS circulant en voiture et qui a coûté la vie à deux d’entre eux.

Le témoignage de Pierre Garen

Pierre Garen en tenue d'enfant de troupe, à la 415e compagnie de garde des prisonniers de guerre stationnée à Brantôme, en mars 1946.

Peu de personne se souviennent de l’existence de ce dépôt de prisonniers de guerre. Lucie Lapeyre, de Brantôme, et Pierre Garen, de Nontronneau (photo ci-contre), sont les seuls témoins que j’ai pu rencontrer. Ancien élève de l’école militaire d’enfants de troupe d’Audinac les Bains (Ariège), Pierre Garen vient d’être nommé sergent-chef quand il arrive à la 415e compagnie de Brantôme. Dans un entretien du 7 janvier dernier, très aimablement, M. Garen a accepté de me livrer quelques-uns de ses souvenirs : « Au début, le site ne comptait que deux baraquements, tout au plus. Le reste du cantonnement a été créé grâce à la récupération de baraques en bois provenant des chantiers de jeunesse qui se trouvaient au château de Montcheuil et à La Chapelle-Montmoreau [arrondissement de Nontron]… Des miradors ont été dressés à chaque extrémité du camp clos par plusieurs rangées de fil de fer barbelé… Au début, le personnel de surveillance était composé majoritairement de FFI et de quelques gardes des voies et communications [GVC]. Par la suite, ce sont des tirailleurs sénégalais et marocains qui sont venus prendre la relève… Le commandant du dépôt n° 125 ainsi que celui de la 145e compagnie étaient sous l’autorité du commandant d’armes de la place de Brantôme, le commandant Peyratout. C’était un ancien prisonnier de guerre qui veillait à ce que les prisonniers allemands soient traités dignement… La 145e compagnie à laquelle j’appartenais était stationnée en haut du village, près du cimetière. L’état-major occupait une villa réquisitionnée… L’intendance disposait de deux chevaux, d’une carriole militaire à quatre roues et d’une camionnette Renault… Je me souviens que l’on avait installé la morgue en hauteur, à flanc de rocher. Il y a eu plusieurs décès. Ils étaient dans un tel état quand ils arrivaient ! On allait chercher les prisonniers de guerre en Allemagne. Ils nous étaient remis par les Américains. C’est le sous-lieutenant Maurice Licoine qui était chargé de les ramener jusqu’à Brantôme… Il me semble que le dépôt de prisonniers a ensuite été déplacé en Gironde, à Saint-Médard en Jalles… ».

Levée de boucliers des riverains…

L’installation ne va pas sans poser quelques problèmes de voisinage. À la fin du mois d’août 1945, une lettre de protestation parvient sur le bureau du préfet. La dizaine de signataires signale une situation sanitaire « dangereuse et contraire à la salubrité et aux bonnes mœurs ». Les récriminations portent sur trois points : « En premier lieu, la vidange des cabinets d’aisance pratiquée chaque jour, ainsi que le transport de tinettes qui sont vidées dans des trous creusés dans la terre, à la limite N.Est du terrain occupé par l’autorité militaire, empuantit l’atmosphère dans un rayon de plus de 500 mètres. Ces trous demeurant des heures et parfois des journées entières à l’air libre, sans qu’aucun désinfectant (chaux vive ou autre) ne soit répandu sur la matière fécale. Les habitants du voisinage obligés de vaquer à leurs occupations, respirent ainsi des odeurs nauséabondes et les miasmes que dégage un tel foyer d’infection, au mépris des lois les plus élémentaires de l’hygiène. En second lieu, les Allemands en corvée en dehors des barbelés satisfont leurs besoins là où ils se trouvent, et s’exposent dans une tenue indécente à la vue de tous les passants sans aucune pudeur. Dans la limite du camp, ce sont les urinoirs qui ont été disposés de telle sorte que les habitants du coteau Nord se trouvent constamment en présence d’un tableau outrageant surtout pour des femmes et des jeunes filles. En troisième lieu, des coups de fusil et de mitraillettes sont fréquemment tirés par les gardiens du camp sur des Allemands maraudeurs, ce qui crée un danger permanent pour les personnes qui circulent dans cette zone… »

Répartition de la main d’œuvre des prisonniers de guerre en Dordogne

Le 8 décembre 1945, le préfet préside une réunion de travail « à l’effet d’établir un plan d’ensemble d’utilisation des P.G. dans le département » au cours de laquelle il rappelle les termes d’une circulaire interministérielle en date du 29 septembre 1945 « prescrivant l’emploi intensif de cette main-d’œuvre pour la reconstruction du Pays ».

Titre d'une brochure invitant les maires des communes de Dordogne à employer des prisonniers de guerre allemands

À la date du 8 décembre, le département de la Dordogne emploie 3 715 prisonniers de guerre, répartis de la manière suivante :
Agriculture : 1 995
Forestage : 209
Houillères : 124
Mines et carrières : 69
Travaus publics – Génie civil : 411
Reconstruction : 93
Transports (C.F.D. pour Chemins de fer départementaux de la Dordogne) : 6
Industries mécaniques et électriques : 2
Industries agricoles – Distilleries : 14
Divers : 95
Services militaires :
Matériel : 49
Poudres : 114
Intendance : 52
Santé : 23
Divers : 10
Dépôt (Services généraux) : 30

La Poudrerie de Bergerac emploie à elle seule 110 prisonniers, tandis qu’environ 300 autres sont occupés dans la région des Eyzies aux travaux d’assèchement de la Vallée des Beunes. Ces derniers avaient été précédés par des travailleurs espagnols puis indochinois… c’est dire si la Dordogne doit beaucoup aux travailleurs étrangers !

Un contingent supplémentaire de 1 000 prisonniers de guerre est attendu, tandis que 3 000 autres sont demandés… « Une grande partie étant utilisée aux travaux agricoles, on pourrait envisager le retrait d’un certain nombre de ces derniers pour les affecter à la reconstruction, d’autant qu’ils peuvent être remplacés par des travailleurs étrangers (Polonais, Tchèques, Yougoslaves) attendus en France. Toutefois cette opération soulèverait de grosses difficultés ; actuellement près de 2 000 P.G. sont employés dans l’agriculture, 400 demandes sont encore en instance, et l’agriculture en absorbera facilement 1 200 de plus. Les P.G. donnent entière satisfaction aux cultivateurs qui hésiteront à prendre des étrangers dont certains viennent avec leurs familles. »

Pour aller plus loin…

Dans un prochain article, je reviendrai sur les conditions de travail de ces prisonniers de guerre allemands ainsi que sur la façon dont ils ont été perçus par la population locale.

Pour en savoir plus sur les dépôts de prisonniers de guerre, je recommande le site très bien documenté de Jean-Paul Louvet : lien.
Sources (à l’exception du témoignage de Pierre Garen) : Archives départementales de la Dordogne, 1 W 567.

5 Commentaires de l'article “Le dépôt de prisonniers de guerre de l’Axe n° 125 de Brantôme”

  1. Labussière Claude dit :

    Article très intéressant. Notre association de Brantôme souhaite faire un dossier mémoire sur le camp de prisonniers.
    Pouvons-nous utiliser vos documents ? De notre côté, nous avons une photo du camp et des témoignages…

  2. Jacky Tronel dit :

    Vouloir « faire un dossier mémoire sur le camp de prisonniers » de Brantôme est très louable. C’est une initiative que j’encourage et à laquelle je m’associe.
    Vous pouvez donc utiliser le texte et les documents en ligne (à la condition d’en indiquer les sources)…
    Sur ce même blog : La gestion des prisonniers de guerre allemands en Dordogne (1945-1948).
    D’autre part, j’aimerais bien avoir accès aux témoignages et à la photo du camp dont vous parlez, qui pourraient faire l’objet d’un nouvel article sur ce blog.
    Merci de me contacter au 06 75 22 98 46 ou bien sur tronel.jacky@wanadoo.fr

  3. Lapouze Jean dit :

    Je fais partie de l’asso Initiative Patrimoine comme vice-président et je possède des documents personnels que je joindrai au dossier dès que nous pourrons le monter. J’ai des témoignages des enfants de prisonniers qui sont venus à Brantôme à la recherche du passé de leur père.
    Je connais très bien M. Licoine qui est allé chercher 5/600 prisonniers en Allemagne pour les ramener en Dordogne. Il était officier d’ordinaire.
    Jean Lapouze

  4. Chavatte dit :

    Voici les noms et adresses de 14 P.G. allemands employés sur la commune de Douzillac, en 1945 :
    – BEITMANN Rudi Obendorf am Neckar, Strambergstr. 24
    – BIRKER Otto Esseratsweiler
    – BURGHARDT Eugen (pas d’adresse)
    – DÖTTLING Karl Karlsruhe Steimetzstr. 2
    – GRÜNWALD Rudolf Nürnberg Schmausenbückstr. 9
    – JUNGMICHEL Oswald Bertsdorf/Sachsen
    – KIRSTEN Walter Lawalde bei Löbau
    – KLIE Willi Stuttgart Bronnackerstr.4
    – MICHELSEN Hans Flensburg Oberlangberg
    – SIEBACH Helmut Krakenwinkel über Hannover
    – TIEFEL Willi Fürth in Bayern Göringstr. 94
    – WOLF Hugo Karlsruhe Schwetzingerstr. 2
    – WOLTZ Georg Zeitlofs Mainfranken 4-42
    – WÜSTLICH Otto Mülheim Dickwall 86
    13 de ces hommes, employés à Douzillac (Dordogne), venaient du dépôt de prisonniers de l’Axe n° 125 de Brantôme. seul Oswald JUNGMICHEL arrivait du dépôt n° 121 de St Paul d’Eyjeaux (Haute-Vienne).
    Je suis preneur de tous renseignements sur ces prisonniers de guerre.
    Merci d’avance
    André-Pierre Chavatte

  5. NABOULET Robert Claude BRANTOME dit :

    En ce qui concerne l’article : « levée de boucliers des riverains », je suis surpris de ce qui est écrit. La situation sanitaire, sans être parfaite, n’avait pas du tout l’aspect abjecte. J’aimerais bien connaître le nom de la dizaine de ces signataires. Je suppose qu’un animateur, [X.X.] qui, quelques années plus tard a eu une condamnation pour un article mensonger paru dans le journal, avait agi de la sorte.
    A l’époque, il n’y avait que deux voisins, proches du dépôt, un qui habitait au lieu-dit Les Granges, maison située à gauche dans le virage, environ 80 m. avant le camp, et une famille au-dessus du dépôt au lieu-dit Le Pigeonnier. Quant aux tirs fréquents, mon oncle Maunat qui était garde dans ce camp m’a dit qu’il avait des cartouches qui ne correspondaient pas à son arme ?
    Je me souviens de la souffrance de ces prisonniers due à la pénurie de nourriture qui était la principale conséquence de leur misère. De ma fenêtre, rue Gambetta, ils arrivaient de Tulle en train, via Agonac puis Brantôme, à pied. C’était des loques humaines. J’ai assisté à l’incendie de leur infirmerie dont il ne restait plus rien. Vers la fin de l’année 1946, ces prisonniers avaient monté un très bel orchestre, violons… et nous restions quelques minutes à écouter ces musiciens de talent derrière les barbelés.

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