La gestion des prisonniers de guerre allemands en Dordogne (1945-1948)
Par Jacky Tronel | samedi 21 janvier 2012 | Catégorie : Dernières parutions, RECHERCHES | 2 commentaires
En août 1945, Maxime Roux, préfet de la Dordogne, fait distribuer une brochure relative à l’emploi des prisonniers de guerre allemands comme main-d’œuvre, sorte de vade-mecum à l’usage des maires de son département. Sur la page de couverture, on peut lire ceci : « Faites relever vos ruines par ceux qui en sont responsables, faites embellir vos cités par ceux qui voulaient les détruire, faites travailler les prisonniers ennemis… ».
Le Colonel Joguet, chef du Service régional des prisonniers de guerre de l’Axe de la 12e Région, à Limoges, se félicite de l’initiative : « Cette brochure éclairera, de façon très nette, les petits employeurs sur les conditions d’embauchage des P.G. Elle vient à son heure et sa diffusion dans toutes les communes contribuera certainement à lever les hésitations de beaucoup d’agriculteurs qui, insuffisamment renseignés, ne manifestaient aucun empressement à utiliser cette main-d’œuvre indispensable au relèvement économique de notre pays ».
En guise d’introduction… « La France a obtenu des quantités importantes de prisonniers de guerre destinés principalement à la reconstruction du pays. Ces prisonniers ne peuvent tous être immédiatement utilisés par le Ministère de la Reconstruction faute de matériaux en quantités suffisantes. Ils ne doivent à aucun prix, rester oisifs dans les dépôts militaires. La seule solution est de les mettre au travail par petits kommandos organisés dans toutes les communes de France où ils seront employés aux innombrables travaux de voirie ou de fossés et aux projets d’aménagement laissés en suspens depuis trop longtemps faute de main-d’œuvre ».
À qui s’adresser pour obtenir de la main-d’œuvre ?
Le 28 juillet 1945, la préfecture de la Dordogne édite un numéro spécial du « Bulletin hebdomadaire officiel d’information et recueil des actes administratifs » consacré à l’emploi des prisonniers de guerre ennemis. Ce bulletin précise à qui doivent être transmises les demandes de main-d’œuvre, en fonction de la nature de l’activité professionnelle intéressée : pour l’agriculture et l’artisanat rural, les demandes doivent être adressées au Bureau départemental de la Main-d’œuvre agricole, 7 rue Victor-Hugo à Périgueux ; pour les forêts, à la Direction départementale de la Production forestière, 43 rue du Président-Wilson ; pour le commerce et l’industrie, à l’Inspection départementale du Travail, 32 rue Émile-Lafon ; pour les mines et carrières, à l’Ingénieur des Mines, 14 boulevard de Vésone ; pour le transport et l’énergie électrique, aux Ponts & Chaussées, 14 boulevard de Vésone ; pour les travaux communaux (reconstruction, voierie, curage de fossés et ruisseaux, etc), à la Préfecture de la Dordogne, 3e Division, 3e Bureau.
Les conditions d’utilisation des prisonniers sont fixées par une « Convention de louage de travail », établie au moment de la mise des prisonniers de guerre à la disposition des demandeurs par le commandant du dépôt de prisonniers de guerre de l’Axe n° 125 de Brantôme. Chaque commune souhaitant employer des prisonniers de guerre doit procéder à la formation d’un « commando » (parfois orthographié « Kommando »).
À propos de la création d’un commando communal
La formation d’un commando entraîne la création d’un local destiné au logement des prisonniers, « local fermant à clef et entouré si possible de barbelés, précise la convention. Les employeurs viendront ainsi chercher les hommes le matin et les ramèneront le soir. La garde est assurée pendant le séjour des P.G. Dans le local collectif, soit par la Commune (personnel recruté à cet effet), soit par l’organisation d’un tour de garde dans la Commune. Une somme déterminée par jour et par prisonnier est prévue d’ailleurs par la Convention de Louage de Travail, pour la rémunération des gardiens.
Si l’effectif du commando dépasse les 50 prisonniers, la garde est alors assurée par l’un des hommes de la 415e compagnie stationnée à Brantôme.
Dans le cas d’une embauche sur une exploitation agricole éloignée du cantonnement, il revient à l’employeur d’assurer lui-même et sous sa propre responsabilité la garde et le logement du prisonnier. En cas d’évasion, celle-ci doit immédiatement être signalée à la gendarmerie la plus proche ainsi qu’au commandant du Dépôt de Brantôme.
Le 13 février 1947, dans une note adressée au préfet au sujet de la prime de capture de prisonniers de guerre allemand évadés, l’autorité militaire rappelle que « la prime de capture a pour but de récompenser toutes personnes civiles ou militaires ayant procédé ou coopéré à l’arrestation d’un P.G. évadé de captivité française ou de captivité alliée. Son montant est de 1 500 francs, elle peut être partagée si plusieurs personnes ont participé à l’arrestation du P.G. »
Salaires et conditions de travail
Le salaire journalier attribué à chaque prisonnier se monte à 10 francs par journée effective de travail. La moitié, soit 5 francs lui est remise directement « sous la forme exclusive de monnaie de camp (jetons ou bons d’achat valables uniquement dans les cantines organisées sur les chantiers) ». L’autre moitié est destinée à la constitution d’un pécule, sous la responsabilité du commandant du dépôt dont dépend le prisonnier.
Pour éviter les abus liés à l’emploi au rabais de prisonniers de guerre, « l’employeur est redevable, pour tout prisonnier mis à sa disposition d’une somme totale équivalente au salaire minimum qui serait attribué à un ouvrier français de même catégorie ».
Les prisonniers de guerre sont soumis aux mêmes horaires de travail que les ouvriers civils de la localité où ils sont utilisés. Ils sont placés sous la responsabilité des maires des communes où ils sont employés qui doivent « veiller personnellement à la discipline des cantonnements et aux relations avec la population ».
Et enfin, la correspondance n’est « tolérée uniquement que par l’utilisation des imprimés officiels », collectés le même jour et envoyés par les maires au commandant du dépôt 125 de Brantôme qui se chargera de faire acheminer les courriers en question.
Au sujet de quelques incidents dont la Presse se fait l’écho…
Le 3 octobre 1945, le colonel Joguet, directeur du Service régional des prisonniers de guerre de l’Axe à Limoges, réagit à la suite d’un article du journal « L’ Essor Sarladais » du 29 septembre rapportant que « les P.G. sont libres du fait qu’ils vont dans les débits de boissons et dans les bals » et menace de retirer les P.G. de la commune du maire de Saint-Julien de Lampon concerné. Il demande au maire de lui adresser un compte-rendu détaillé de cette situation qu’il juge « inadmissible ». Nullement impressionné, le maire réserve sa réponse au préfet. Il conclut ainsi son courrier du 31 décembre : « J’ignore Monsieur le Préfet par qui vous avez été informé et je ne veux pas le savoir mais il serait peut-être bon de ne pas se baser sur les affirmations de personnes souvent mal intentionnées et qui peuvent profiter de toutes les occasions pour tirer une vengeance. De toute façon, je peux vous affirmer que les P.G. de la commune n’ont et n’auront que ce qui leur est dû sous tous les rapports. Si vous jugez utiles de les retirer, je n’y vois aucun inconvénients. Veuillez agréer… »
Près d’un an plus tard, le 16 août 1946, le préfet de la Dordogne fait savoir au sous-préfet de Sarlat qu’il est saisi d’une protestation d’un habitant de La Canéda qui « se plaint notamment des difficultés répétées qu’il a eues avec un de ces prisonniers qui gardait les vaches de son employeur dans un pré lui appartenant ». Et le préfet d’ajouter : « Je vous signale que le fils de M. CREMON a été assassiné par les hordes allemandes, et je vous demande de bien vouloir procéder à une enquête aux fins de me permettre, éventuellement, de faire cesser ces incidents considérés à juste titre par le plaignant comme des brimades. »
Le 17 décembre 1946, c’est une note de renseignements au sujet des prisonniers allemands employés dans la région de Sainte-Croix de Beaumont qui arrive sur le bureau du préfet. On y apprend que « la population est indignée de l’attitude des prisonniers allemands […] qui circulent souvent seuls et viennent au chef-lieu de canton. […] D’autre part, un prisonnier français rapatrié a rencontré courant novembre dernier un prisonnier allemand cherchant des champignons. Se souvenant des souffrances endurées pendant sa captivité en Allemagne, ce Français indigné de la liberté octroyée à nos occupants d’hier frappa l’allemand. Devant le mécontentement général, et pour que de tels incidents ne se reproduisent plus, la population désirerait qu’un ‘commando’ fut créé. Les prisonniers seraient plus étroitement surveillés et gardés ».
Généralement bien traités, les P.G. sont plutôt bien acceptés
Contrairement à ce que la Presse laisse entendre, les prisonniers de guerre allemands sont le plus souvent appréciés par leurs employeurs. Parfois même, certains liens se tissent entre les P.G. et la population locale…
À propos des prisonniers stationnés au dépôt de Brantôme, Monique Desvergne se souvient : « Ces prisonniers étaient très peu nourris. Ils nous faisaient pitié. Quelquefois nous leur lancions des fruits, la seule nourriture dont nous disposions en abondance, mais c’était souvent des fruits verts qui étaient peut-être plus dangereux pour leur santé que l’absence de nourriture ».
Les parents de Monique employaient deux prisonniers allemands qui partageaient à la même table le repas du midi : « C’étaient des hommes très courtois. L’un d’eux s’appelait Georges et avait deux enfants en Allemagne dont il nous montrait les photos. L’autre était un jeune étudiant qui parlait couramment anglais. Ainsi nous avions pu communiquer un peu grâce à une jeune fille voisine qui avait étudier l’anglais au lycée. Cet Allemand, Georges, si gentil, si humain, nous avait réconciliés avec son peuple dont nous avions une triste opinion depuis le massacre d’Oradour-sur-Glane. […] Nous haïssions les Allemands. À l’école, petites filles de huit ans, nous en parlions et je me souviens qu’on souhaitait leur enfoncer des pointes dans les yeux !! Il n’y avait pas que le massacre d’Oradour qui alimentait la haine : à Brantôme et dans la campagne proche, beaucoup de gens avaient été fusillés, leurs maisons incendiées […] Il y avait aussi tous ces Juifs qu’on emmenaient sans ménagement. Ils étaient nombreux dans la région depuis l’exode. J’avais une petite copine, Ruth, qui a ainsi été emmenée avec sa famille, nous ne savions pas où ni pourquoi… »
Pierre Garen, rattaché à la 415e compagnie de garde des prisonniers de guerre stationnée à Brantôme, se souvient d’un Allemand qui travaillait à Villars et qui, au moment de repartir outre-Rhin, demanda à son employeur la permission d’emporter un pied de vigne qu’il envisageait de replanter chez lui, en souvenir de son séjour en France…
Le 16 septembre 1948, le directeur de l’enregistrement des Domaines et du Timbre à Périgueux est sollicité par le secrétaire général du préfet à propos de l’utilisation de « l’ancien dépôt de prisonniers de guerre allemand de Brantôme », laissé vacant…
Sources :
Archives départementales de la Dordogne, 1 W 567.
Témoignages de Monique Desvergne (Brantôme) et de Pierre Garen (Nontronneau).
Ce texte complète l’article publié le 12 janvier 2012 : Le dépôt de prisonniers de guerre de l’Axe n° 125 de Brantôme
Bonjour
M’autorisez-vous à reproduire cet article à la suite de mon texte : » Les Français au travail pour l’Allemagne Nazie (1940-1945) « ? Ce texte est hébergé par Atramenta.
Cordialement,
jp D
Bonjour Jean-Pierre,
À la condition d’en indiquer la source, si possible avec un lien, je ne m’y oppose pas.
Merci de me communiquer le lien vers votre article…
Cordialement, JT