« Nos frères, qui souffrent en prison » Le Pèlerin du 27 mai 1951

Journal Le Pèlerin du 27 mai 1951 : "Nos frères, qui souffrent en prison…", photo de George Adams.

Dans son édition n° 3576 du 27 mai 1951, Le Pèlerin publiait un article intitulé : Nos frères, qui souffrent en prison…, signé Guy Mauratille, rédacteur en chef du journal. L’auteur s’insurgeait contre « la société, cette criminelle » qui ne sait pas comprendre ceux de ses enfants qui passent par la case prison… Il condamnait la relégation et la peine de travaux forcés (supprimées depuis par l’ordonnance du 4 juin 1960). Guy Mauratille louait enfin le travail des visiteurs de prison et celui de l’aumônier qui « a un rôle magnifique à jouer parmi ces âmes en détresse. »

Reportage…

« Un prétoire comme tant d’autres… Un accusé comme tant d’autres… Un président… Sa question… :
– Comment ! vous revoilà ?
– Et oui !
Et l’accusé répond comme celui-ci, tout récemment, aux Assises de la Seine :
– Je sortais de Centrale (entendez de Maison centrale). J’avais maigri de 40 kilos. Il m’aurait fallu six mois de repos. Mais comment les gagner ?

Le Pèlerin du 27 mai 1951, entrée de la prison des Baumettes, Guy Mauratille

Un sur cinq…

Telle est bien la question qui préoccupe le prisonnier dès sa sortie de geôle et qui explique que 80 pour 100 de ceux qui en sortent y reviennent. Mais oui, sur cinq libérés, quatre récidivent. Un seul, par sa volonté – et il en faut – ou par la compréhension de la société, repart sur le bon chemin. Quand vous saurez que quatre condamnations successives de trois mois au moins entraînent la relégation, vous verrez tout le drame humain que résument ces chiffres.

Relégué ? Autrefois, il aurait été dirigé sur la Guyane. Maintenant, il va en Maison centrale ou en camp. Là, il sera en contact permanent avec les condamnés aux travaux forcés. Là, il attendra. Il attendra une libération hypothétique. L’un de ces relégués écrivait : Ce qui nous démoralise et tue l’âme, c’est de ne pas avoir de date de libération.

Ayant fini son temps de peine plus trois ans, le relégué peut prétendre à la liberté. Bien sûr, mais à condition de fournir un certificat d’hébergement et de travail. Ce certificat est évidemment très difficile à obtenir de la part des industriels, des commerçants… Ne parlons pas des administrations qui exigent un casier judiciaire vierge. On m’a cité le cas – qui n’est pas unique – d’un relégué qui a attendu quatorze ans sa libération pour une peine de quatre mois !

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Au contact des durs

Vous me direz : Ils l’ont bien voulu. Pourquoi ont-ils commis une faute ? Pourquoi ont-ils récidivé ?

Pardon ! N’est-ce pas un peu notre faute, à nous, la société ? Avons-nous su les comprendre quand ils étaient encore honnêtes, puis quand ils étaient détenus et quand ils furent à nouveau libres. Avant. Pendant. Après. Trois phases… Trois drames…

Avant, c’est une hérédité, une mauvaise éducation, un abandon, une tare qui l’a fait bannir de la société…

Pendant, c’est le contact avec de vrais bandits. Certains des détenus se révoltent contre l’immoralité des autres. En contact se retrouvent l’escroc et sa victime… Les gardiens font leur métier, combien ingrat… Les directeurs de prison ou de Centrales ont beau être compréhensifs, ils ne peuvent éviter l’inévitable. Vous imaginez à quels jeux dangereux peuvent se livrer des hommes entre eux, privés de liberté. Pensez à quels risques sont exposés au contact des plus “ durs ” ceux qui, ayant compris, voudraient rester “ purs ”.

Après…

Un seul mot, parfois…

Je connais des visiteurs de prison… Mais au fait, connaissez-vous les visiteurs de prison ?

Ce sont des confrères de Saint-Vincent de Paul, qui se sont donnés pour tâche de venir en aide à ceux qui souffrent dans les prisons, à ceux qui en sortent. Les dames visiteuses secourent les femmes. Tous travaillent en parfaite entente avec l’aumônier. On s’en rendait bien compte lors du récent Congrès qu’ils ont tenu à Paris sous l’égide du Secours catholique.

Le Pèlerin du 27 mai 1951, centrale d'Eysses, Guy MauratilleJe connais des visiteurs de prison qui, à longueur de journées, cherchent parmi leurs amis ceux qui voudront bien se dévouer et prendre un de leurs protégés.
– Et vous avez beaucoup de cas intéressants ? demandai-je à l’un d’entre eux.
Cinq, pour le moment.
Pour toute une Centrale, c’est faible. N’y en aurait-il qu’un que ça vaudrait le coup… C’est vérifié : un seul exemple fait beaucoup plus qu’une longue série de remontrances.
– Comment êtes-vous arrivé à conquérir l’amitié, l’affection parfois, de ces êtres qui n’ont, souvent, que des mots de vengeance à l’égard de la société ?
– Ils savent que je suis là tel jour. Ils demandent à me voir. On discute. On parle de la famille, souvent inexistante, de bien d’autres choses. Réconfort. Lueur d’espoir : on s’intéresse à eux. Ils sont parfois sauvés.

Deux frères, êtres malfaisants… Tous deux étaient condamnés à mort. Ils se soutenaient mutuellement pour refuser de l’aumônier tout concours spirituel. Et puis, un jour, ils l’acceptèrent. De la bouche du prêtre était sortie cette parole – mais elle venait du cœur : – Et cependant, je sais, moi, que Dieu vous aime tous les deux. Les deux frères sont partis en catholiques…

L’aumônier a un rôle magnifique à jouer parmi ces âmes en détresse. Malheureusement, cette charge vient trop souvent s’ajouter à celle d’une paroisse ou d’un professorat…

La société, cette criminelle !

Bien des âmes, certes, se penchent sur le sort de ces bannis. N’oublions pas qu’ils sont nos frères. Qu’ils font, comme nous, partie d’une même société. Cette société ne serait-elle pas coupable elle aussi ? N’aurions-nous pas chacun notre part dans le crime des autres ?

Le Pèlerin du 27 mai 1951, "Nos frères qui souffrent… en prison", Guy MauratilleDepuis la formule : “ Ouvrez une école aujourd’hui, vous fermerez une prison dans vingt ans ”, [source] on a ouvert beaucoup d’écoles… le nombre des prisons a augmenté. Les criminels se récoltent parfois même dans ces écoles qui devraient les former.

Un récent procès de J3 est là pour nous le rappeler. La presse, la “ grande ” presse, ne s’est pas privée de nous donner détails sur détails. Pourquoi cette publicité, pire : ce battage ? Parce que le public, la société aime ça. Et alors, cette même société s’étonnerait qu’il y ait des criminels, des détenus, des relégués… Allons donc !

Ne nous y trompons pas. C’est le crime qui fait la honte. Non pas l’échafaud.
Où est le crime, je vous le demande ? »

Guy MAURATILLE (rédacteur en chef au journal Le Pèlerin, décédé le 3 juillet 2014, à l’âge de 92 ans).

« Nos frères, qui souffrent en prison… », Le Pèlerin du 27 mai 1951http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/wp-content/uploads/2015/03/le_pelerin_27_05_1951_couverture.jpghttp://prisons-cherche-midi-mauzac.com/wp-content/uploads/2015/03/le_pelerin_27_05_1951_page_gauche.jpg

Au sujet de la récidive, aujourd’hui…

En 2004, 500 000 personnes ont fait l’objet d’une condamnation pour un délit ou une contravention « grave », inscrite dans le Casier Judiciaire. Parmi eux, quatre sur dix ont déjà des antécédents judiciaires au moment de la condamnation de 2004. Entre 2004 et 2011, si l’on exclut les infractions à la circulation routière, qui constituent un cas de récidive fréquent et atypique, 38 % des condamnés ont récidivé. Ce taux de récidive atteint 59 % pour les condamnés présentant des antécédents judiciaires. Environ 40 % des récidivistes retournent devant la Justice pour la même infraction que celle sanctionnée en 2004. La récidive est très fréquente chez les jeunes, voire très jeunes, délinquants : six condamnés sur dix en 2004, mineurs au moment des faits reprochés, ont récidivé avant 2011. À nature, type d’infraction et peine prononcée donnés, les jeunes délinquants récidivent davantage et plus vite que les condamnés plus âgés.

Accès au dossier de l’INSEE : lien

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