Les noces de Jean Bricou, anarchiste, à la prison de la Santé en juillet 1893

"Les noces d'un anarchiste – Le mariage de Bricou à la prison de la Santé. Le Journal illustré du 30 juillet 1893.

« Un mariage peu banal », ainsi titrait le journal cannois Le Littoral du 23 juin 1893 :
« Un mariage peu banal va être célébré, ces jours-ci, à la chapelle de la prison de la Santé, à Paris. C’est celui de Bricou qui fut, on s’en souvient, condamné à vingt ans de travaux forcés par la Cour d’assises de la Seine, pour participation dans l’explosion du restaurant Véry. Bricou attendait au dépôt de l’île d’Oléron son embarquement pour la Nouvelle-Calédonie ; mais sa demande ayant été accueillie favorablement par l’administration, il vient d’être ramené à la prison de la Santé. Dès que son mariage avec sa maîtresse Mariette Soubère aura été célébré, Bricou sera de nouveau dirigé sur l’île d’Oléron [plus vraisemblablement sur Saint Martin de Ré]. Sa femme obtiendra probablement l’autorisation de le suivre en Nouvelle-Calédonie. »

La jeune femme avec laquelle Jean Bricou se marie en juillet 1893 se nomme Marie Delange, surnommée « la rouge »
Quant à Rosalie Mariette Soubert, elle est la maîtresse de Joseph Marius Beala, dit Jas-Béala, anarchiste proche
de François Claudius Koënigstein, dit Ravachol.

Le mariage de l’anarchiste Jean Bricou avec Marie Delange à la Santé

Voici le texte de l’article qui accompagnait la gravure de Méaulle publiée dans Le Journal illustré :

« Les noces de Bricou ont été célébrées il y a quelques jours à la prison de la Santé. On connaît l’odyssée de Bricou. Arrêté une première fois sous l’inculpation d’avoir fait sauter le restaurant Véry et, relâché, il essaye de se suicider à Rouen, lâche quelques paroles compromettantes pendant son délire et, interrogé d’une façon serrée par M. Athalin, avoue tout, la complicité de Francis, celle de Meunier et la sienne qui consistait à avoir caché chez lui les matières ayant servi à l’explosion. Francis est acquitté, Meunier reste introuvable et son moment d’expansion vaut à Bricou vingt années de travaux forcés.

Il serait déjà là-bas à la Nouvelle-Calédonie, si, tandis qu’il était à Saint-Martin-de-Ré, attendant son transfert, il ne s’était rappelé qu’il laissait à Levallois-Perret, Marie Delange et une enfant de huit mois, née à Saint-Lazare, pendant que sa mère y était en prévention. Il pouvait mourir là-bas, laisser à jamais un mioche innocent sans nom, il résolut de régulariser ce que sa situation avait de décousu, cela lui permettrait en outre de retrouver un jour à Nouméa la compagne très dévouée de mauvais moments et un enfant qu’il verrait grandir.

Forçats embarquant à Saint Martin de Ré pour les bagnes de la Nouvelle-Calédonie ou de la Guyanne.
L’autorisation de se marier lui fut accordée et le mariage a eu lieu dans le cabinet du directeur de la Santé, dont les portes sont restées ouvertes durant sa célébration, pour qu’il soit considéré, ainsi que le veut la loi, comme lieu de liberté.
La fiancée, une petite blonde assez avenante, âgée de vingt-cinq ans, vêtue plus que simplement d’une robe noire, était arrivée dès neuf heures, sa petite fille vêtue de blanc, le cou enguirlandé d’un collier d’ambre, sur les bras, et suivie de ses parents. La mère, une petite vieille, blette, endimanchée, l’air très joyeux ; le père, un grand gaillard, revêtu pour la circonstance d’un complet très rutilant. Pour les unir, il y avait M. Demay, l’adjoint au maire du XIVe arrondissement, et un de ses employés, M. de Baruel. Comme témoins, MM. Brandon, Sauvageot, Glély et Mignot, greffier et gardiens de la prison. À neuf heures et demie, tout le monde était assis dans le cabinet du directeur, devant son bureau où trônait M. l’adjoint, ceint de son écharpe ; dans un coin de la pièce se tenait M. Fédée, officier des brigades de recherches, et son secrétaire. »

Le mariage de Jean Bricou avec Marie Delange à la prison de la Santé en juillet 1893.

Jean Bricou (30 ans), Marie Delange (25 ans) et leur bébé de 8 mois dans les bras, unis par M. Demay,
dans le cabinet du directeur de la Santé. Le Journal illustré du 30 juillet 1893.

Aujourd’hui, un détenu peut-il toujours se marier en prison ?

Le mariage d’un détenu ne peut en aucun cas être interdit. Il est célébré dans l’établissement sur réquisition du procureur de la République, sauf si le détenu parvient à obtenir une permission de sortir pour se marier à l’extérieur. Le procureur de la République du lieu de mariage peut ordonner à l’officier d’état civil de se rendre au domicile ou à la résidence de l’un des époux, c’est-à-dire la prison. L’établissement pénitentiaire fournit au détenu les justificatifs prouvant la nécessité de faire déplacer l’officier d’état civil, à savoir « l’empêchement grave » (la détention) qui rend impossible le mariage en mairie.
Le détenu qui souhaite se marier doit adresser une demande écrite au service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). S’il est prévenu, il doit obtenir l’autorisation du juge d’instruction. De son côté, le médecin du service médical de la prison (UCSA) lui fournit le certificat médical prénuptial attestant qu’il a été examiné en vue du mariage. La future épouse ou le futur époux doit être titulaire d’un permis de visite. Quant aux deux témoins, ils doivent fournir une fiche d’état civil, ainsi qu’une lettre précisant leur identité, profession et domicile. S’ils n’ont pas de permis de visite, ils doivent en faire la demande devant l’autorité compétente. Une fois ces formalités accomplies, la date et l’heure du mariage sont fixées en relation avec le maire.

Le droit au mariage des détenus pose la question de l’interdiction de fait de leurs relations sexuelles, dans la mesure où l’absence de consommation du mariage est théoriquement une cause de nullité de celui-ci au regard du droit civil.

Articles D.424 du Code de procédure pénale et 75 du Code Civil. Source

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Pour en savoir plus sur l’affaire de « l’explosion du restaurant Véry », le 25 avril 1892, boulevard Magenta à Paris, lire Causes criminelles et mondaines de 1893, Albert Bataille, Paris, E. Dentu, 1894, p. 379-400. lien

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