La chapelle cellulaire en application de la loi du 5 juin 1875

Le Petit Parisien du dimanche 22 mars 1903. "À la prison de Fresnes, une conférence contre l'alcoolisme".

La chapelle cellulaire de la prison de Fresnes vers 1900. 
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« Figurez-vous une immense salle en gradins. Ces gradins sont élevés de trente centimètres environ les uns au-dessus des autres, comme d’immenses marches, et chaque gradin est une rangée de boîtes à l’ouverture de chacune desquelles apparaît une tête. Car c’est une des règles de la prison cellulaire : les prisonniers voient celui qui leur parle, celui qui parle les voit, mais entre eux les condamnés n’ont aucune communication ; ils ne peuvent s’apercevoir. […] Et ils sont ainsi plus de cent cinquante. […] Cet auditoire de têtes muettes, dont les yeux seuls bougent ; ces spectateurs sans corps, entre lesquels aucune communication ne s’établit ! Le spectacle est étrange ! ». Le Petit Parisien du dimanche 22 mars 1903.

À la prison de Fresnes, une conférence contre l’alcoolisme

Texte du journal Le Petit Parisien accompagnant l’illustration de la chapelle cellulaire :

Les pensionnaires de la prison de Fresnes, qui est située aux environs de Paris, ont eu ces jours derniers une distraction inaccoutumée : on leur a fait une conférence, et – c’était bien le lieu – une conférence sur l’alcoolisme. Le conférencier était un médecin connu, ancien professeur à l’École de médecine. C’est à la requête de la Société des conférences dans les prisons qu’il s’était rendu à Fresnes.

« Ça été pour moi, a-t-il dit, une impression curieuse que de prendre la parole devant un tel auditoire ». Voici, d’ailleurs, d’après le conférencier lui-même, dans quelles conditions la conférence a eu lieu : « Figurez-vous une immense salle en gradins. Ces gradins sont élevés de trente centimètres environ les uns au-dessus des autres, comme d’immenses marches, et chaque gradin est une rangée de boîtes à l’ouverture de chacune desquelles apparaît une tête. Car c’est une des règles de la prison cellulaire : les prisonniers voient celui qui leur parle, celui qui parle les voit, mais entre eux les condamnés n’ont aucune communication ; ils ne peuvent s’apercevoir. Chacun d’eux se trouve isolé, seul avec le conférencier. Et ils sont ainsi plus de cent cinquante. On comprend la sensation particulière qu’éprouve le conférencier. Cet auditoire de têtes muettes, dont les yeux seuls bougent ; ces spectateurs sans corps, entre lesquels aucune communication ne s’établit ! Le spectacle est étrange ! ».

Ces conférences contre l’alcoolisme vont être multipliées dans les prisons. On compte qu’elles exerceront une influence au point de vue de la diminution de la criminalité. La plupart des prisonniers sont des alcooliques, et il y longtemps qu’un illustre médecin a dit : « L’alcool est le grand pourvoyeur de l’armée du crime ! » Certes, dans le nombre de ceux à qui s’adresseront les conférenciers, beaucoup sont irrémédiablement perdus ; mais il y a ceux que le vice n’a pas complètement atteints, et pour cela on peut attendre de bon effets de la campagne entreprise.

Chapelle cellulaire de la maison d'arrêt de Fresnes.

Chapelle cellulaire de la maison d’arrêt de Fresnes, 1930, photo Henri Manuel. Coll. ENAP.

La loi de 1875 sur le régime des prisons départementales

Après la chute du Second empire (1870), tous les spécialistes s’accordent pour réaffirmer que la détention collective est l’école du vice, du crime et de la récidive. Il faut donc réduire la promiscuité dans les prisons de courtes peines pour limiter les risques de récidive et la contagion morale avec comme remède, l’isolement et la séparation des prisonniers, base fondamentale du futur système pénitentiaire. En revanche, si la cellule est efficace pour le repentir et le remord, jamais le coupable ne doit sombrer dans le désespoir pouvant mener au suicide ou à la folie. La religion et l’instruction (lecture et prière) ainsi que le travail doivent l’en préserver. Il ne peut donc y avoir de séquestration complète et les visites quotidiennes du directeur, de l’aumônier, des surveillants, de l’instituteur, de parents et même de membres des patronages sont recommandées.

En 1872, à l’initiative du vicomte d’Haussonville, député, l’étude d’une réforme pénitentiaire renaît exactement dans les mêmes termes que 30 ans auparavant. Une commission composée de parlementaires et de spécialistes est constituée et réalise une grande enquête nationale publiée au Journal officiel en 1873 et 1875. Dans l’esprit des défenseurs de la réforme, la loi qui débouchera sur le principe de l’emprisonnement individuel doit être une œuvre législative majeure.

Les travaux de la commission débouchent sur la loi du 5 juin 1875 sur le régime des prisons départementales (peines inférieures à 1 an et 1 jour). Dans l’article 1, le principe de l’emprisonnement individuel pour tout détenu (base fondamentale du système c’est-à-dire la séparation de jour et de nuit des inculpés, prévenus et accusés) est affirmé. Dans l’article 2, l’emprisonnement en cellule individuelle pour tous les condamnés à 1 an et 1 jour et au-dessous devient également la règle. Pour les peines supérieures à 1 an, l’emprisonnement individuel devient facultatif mais s’il est choisi par le détenu, il donne droit à une réduction d’un quart de la durée de la peine subie (art. 4). La loi impose également l’adoption du régime cellulaire à toute reconstruction ou appropriation par l’Etat de prisons départementales (art. 6).

Curieusement, si la loi prévoit bien l’encellulement préventif (pour les prévenus afin de les soustraire au contact des criminels) comme l’encellulement expiatoire (c’est la règle pour tous), l’amendement du détenu (la modification de la mentalité d’un être souvent perverti et multi-récidiviste, pour qu’il se conduise en homme honnête) reste secondaire alors que, tout au long du 19e siècle, le but recherché de la peine est son caractère réformateur et régénérateur.

Source : site de l’ENAP (École de l’administration pénitentiaire, ministère de la Justice).

Instruction du 10 août 1875 pour l’application de la loi du 5 juin 1875


Office dans la chapelle cellulaire de la maison d'arrêt de Caen en 1976. Photo Jean Gaumy

Photo de Jean Gaumy (agence Magma), prise en 1976 à la maison d’arrêt de Caen,
dans le cadre de l’ouvrage « Les Incarcérés , L’Utopie pénitentiaire »,
photographies de Jean Gaumy, texte de Yann Lardeau, Éditions de l’Étoile, 1983.

« La chapelle, dans les prisons cellulaires, a une grande importance, et par sa destination et par l’étude des détails que comportent ses dispositions. […] Les cellules dont elle se compose doivent avoir au minimum 2 mètres de haut, 60 centimètres de large et 80 centimètres de profondeur ; elles seront établies en menuiserie et disposées de manière que les détenus puissent tous porter leurs regards sur l’autel, sans se voir entre eux.

La chapelle doit être entièrement indépendante de tous les autres services de la prison. Dans les établissements importants, un escalier particulier conduira de chaque galerie aux cases correspondantes de la chapelle. Lorsque les détenus s’y rendent, un gardien ouvre les cellules, un autre se tient en observation près de la porte de la chapelle ; un troisième, placé à l’intérieur, surveille l’entrée aux stalles et en ferme les portes. Dans beaucoup de prisons cellulaires, toutes les stalles sont contiguës, et c’est à travers une même rangée de stalles que se fait le défilé. On peut aussi séparer deux rangées de stalles par un couloir qui les dessert à droite et à gauche. Cette disposition est préférable à la première et doit être employée toutes les fois que l’espace en rendra l’application possible : elle offre l’avantage de pouvoir faire sortir un détenu de sa cellule pendant l’office pour une cause quelconque, sans déranger les autres. »

La chapelle cellulaire de la Petite Roquette, Henri Danjou, Détective du 4 avril 1939.

La chapelle cellulaire de la Petite Roquette, photo illustrant un article d’Henri Danjou, paru dans Détective du 4 avril 1939.

L’abbé Brunet et les enfants de la Petite Roquette

« L’abbé Brunet est le maître après Dieu de la salle cellulaire installé dans la tour centrale. Son royaume est constitué par un amphithéâtre où deux cent soixante-seize détenus sont enfermés dans des boîtes carrées disposées de telle manière qu’ils peuvent apercevoir le prêtre et l’autel, mais sans pouvoir se voir entre eux. On éprouve une impression douloureuse devant le spectacle de ces êtres captifs, comme des abeilles dans leurs alvéoles, dont les têtes émergent et tournent, sans rencontrer le visage du voisin, qui n’est séparé d’eux que par une mince cloison.
Les détenus se rendent l’un derrière l’autre à l’amphithéâtre, les bras croisés. En pénétrant dans leur stalle et en s’y enfermant, ils ouvrent du même coup la case que doit occuper le suivant. En trois minutes, la chapelle est entièrement occupée. » En savoir plus…

Un concert cellulaire organisé par les frères Lionnet à la Petite Roquette, L'Illustration du 11 juillet 1885Un concert cellulaire organisé par les frères Lionnet à la Petite Roquette, L'Illustration du 11 juillet 1885

Un “concert cellulaire” organisé par les frères Lionnet à la Petite Roquette, L’Illustration du 11 juillet 1885, dessin de M. Renouard.

La chapelle cellulaire de Fresnes pendant l’Épuration

« Quelques traits spécifiques à la prison de Fresnes ont profondément marqué les détenus de la collaboration : les marmites bruyantes acheminées sur des rails tout au long des coursives par des auxiliaires, les parloirs à doubles grilles qui isolent les visiteurs des prisonniers, la chapelle et son dispositif de boîtes cellulaires où normalement les détenus auraient dû être isolés les uns des autres : “ Un gardien nous culbute en nos noires cellules / Nous sommes, deux par deux, entassés, compressés / Nous sommes bien cinq cents, dont l’esprit étonné / Attend de voir son Dieu par des trous ridicules ”

Source : « La prison de Fresnes pendant l’Épuration : caricatures de André de Rose, alias “Guy Hanro”, ancien combattant de la LVF et de la division SS Charlemagne », Jean-Claude Vimont. Lien

La prison de Fresnes pendant l’Épuration : caricatures de André de Rose, alias “Guy Hanro”.

Fourgons cellulaires, chapelles cellulaires et prisons cellulaires participent d’une même volonté du législateur de 1875 d’isoler et de séparer à tout prix les prisonniers de courtes peines, afin de limiter les risques de récidive et de contagion morale. Issue de la loi du 5 juin 1875, la chapelle cellulaire a été l’une des expressions de cette politique d’isolement et de séparation individuelle des prisonniers poussée jusqu’à l’extrême…

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