Dartmoor : une prison pour objecteurs de conscience, de 1917 à 1920
Par Jacky Tronel | dimanche 4 août 2013 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | 2 commentairesLa prison anglaise de Dartmoor est située à Princetown (comté de Devon), au nord-est de Plimouth. Construite entre 1806 et 1809 par l’architecte Daniel Asher Alexander, cette prison est destinée aux prisonniers de guerre français des guerres napoléoniennes et aux prisonniers américains de la guerre de 1812, conflit militaire qui opposa les États-Unis à la Grande-Bretagne. Plus d’un millier de soldats et marins napoléoniens y ont perdu la vie. D’abord enfermés sur les tristement célèbres « pontons » (bateaux-prisons) de Plymouth, ils meurent à la prison de Dartmoor, édifiée dans une région inhospitalière, montagneuse, au climat rude.
En 1816, avec le retour dans leurs pays des derniers prisonniers français et américains, la prison ferme ses portes. Rénovée et remise en service en 1850, elle est transformée en prison cellulaire pour prisonniers de droit commun. En 1917, vidée de ses prisonniers, elle devient un centre de regroupement pour objecteurs de conscience et le reste jusqu’en 1920. Plus de 1 100 objecteurs de conscience ayant refusé d’effectuer leur service militaire y seront détenus. Parmi eux, des centaines de membres du mouvement des Bible students, connus plus tard sous le nom de Jehovah Witnesses (témoins de Jéhovah).
Des Étudiants de la Bible, objecteurs de conscience
Les Étudiants de la Bible prennent au pied de la lettre les paroles du prophète Isaïe [2 : 4] et entendent s’y tenir : « Et ils devront forger leurs épées en socs et leurs lances en cisailles. Une nation ne lèvera pas l’épée contre une nation, et ils n’apprendront plus la guerre. » Comment vont-ils se comporter avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale ?
La loi britannique de 1916 sur le service militaire décrète la conscription des hommes non mariés âgés de 18 à 40 ans. Elle prévoit l’exemption de ceux dont l’objection de conscience repose réellement sur des « convictions religieuses ou morales ». Le gouvernement institue des tribunaux pour déterminer à qui accorder l’exemption et dans quelle mesure.
En peu de temps, quelque 40 Étudiants de la Bible sont incarcérés dans des prisons militaires et 8 sont envoyés au front, en France. Devant ce qu’ils perçoivent comme une injustice, leurs coreligionnaires de Grande-Bretagne adressent à Herbert Asquith, premier ministre, une lettre de protestation ainsi qu’une pétition portant 5 500 signatures.
Les huit objecteurs de conscience envoyés en France sont jugés et condamnés à mort en raison de leur refus de faire la guerre. Cependant, alors qu’ils sont alignés face au peloton d’exécution, on leur annonce que leur peine est commuée en dix ans de travaux forcés. Ils sont transférés en Angleterre dans des prisons civiles.
La guerre s’éternisant, la conscription est élargie aux hommes mariés. À Manchester (Angleterre), Henry Hudson, Étudiant de la Bible et médecin, est l’objet d’une décision de justice qui fera jurisprudence. Le 3 août 1916, il est jugé, déclaré coupable, condamné à une amende et remis à l’armée.
Au même moment, à Édimbourg (Écosse), une autre affaire qui fera aussi jurisprudence est jugée : James Scott, un missionnaire de 25 ans, est acquitté. Dans un premier temps, la Couronne fait appel puis abandonne les poursuites au profit d’une autre affaire-type, instruite à Londres, concernant Herbert Kipps. Ce dernier est jugé coupable, condamné à une amende et remis à l’armée.
En septembre 1916, 264 Étudiants de la Bible déposent une demande d’exemption du service militaire. Cinq d’entre eux sont exemptés, 154 doivent accomplir des « travaux d’intérêt général », 23 sont affectés à une unité non combattante et, sur les 82 qui ont été remis à l’armée, certains passent en cour martiale pour désobéissance.
Le public ayant réagi aux traitements injustes infligés à ces hommes, le gouvernement les a transférés de la prison militaire à des camps de travaux forcés.
Ainsi, Pryce Hughes et Edgar Clay travaillent sur un barrage au Pays de Galles. Quant à Herbert Senior, l’un des huit rapatriés de France, il est envoyé à la prison de Wakefield, dans le Yorkshire. D’autres purgent des peines de travaux forcés dans la redoutable prison de Dartmoor, où se touve enfermé le plus grand nombre d’objecteurs de conscience.
Frank Platt, un Étudiant de la Bible qui avait accepté d’appartenir à une unité non combattante est cruellement persécuté pendant de longs mois alors qu’il se trouve sur le front. Atkinson Padgett, fraîchement converti est lui aussi maltraité par les autorités militaires à cause de son refus de se battre.
Lors de Seconde guerre mondiale, cette position de « stricte neutralité chrétienne » (telle qu’ils la qualifient eux-mêmes) sera adoptée par les Témoins de Jéhovah. Ils seront très majoritairement objecteurs de conscience. Massivement déportés dans les camps nazis (en proportion de leur nombre), ils se verront attribuer un signe distinctif : un triangle de couleur violette.
Un mémorial en hommage aux objecteurs de conscience
Tavistock Square est un parc situé à Bloomsbury, Londres. Il a été conçu dans les années 1820 par l’architecte Thomas Cubitt. L’élément central du parc est une statue du Mahatma Gandhi qui a été installée en 1968. On y trouve aussi un mémorial aux objecteurs de conscience (inauguré en 1995), un buste de l’écrivain Virginia Woolf (inauguré en 2004), ainsi qu’un cerisier planté en 1967 en hommage aux victimes d’Hiroshima.
Voici le texte que l’on peut lire sur la plaque du mémorial dédié aux objecteurs : « À la mémoire des hommes et des femmes objecteurs de conscience au service militaire, du monde entier et de tous les temps. À tous ceux qui se sont battus pour défendre le droit de refuser de tuer. Ce mémorial a été inauguré le 15 mai 1994, journée internationale des objecteurs de conscience. »
Source principale : © 2013 Watch Tower Bible and Tract Society of Pennsylvania, Inc. Lien
Entrée de la prison : photo Stephen Dutch : lien
Bonsoir
Sait-on s’il y a eu des personnes « célèbres » ou intellectuelles qui ont séjourné dans ce lieu ?
Merci de me dire.
Bonjour,
C’est une prison sur laquelle je n’ai pas travaillée personnellement. N’ayant pas consulté les archives qui la concernent, je vous renvoie au site http://www.dartmoor-prison.co.uk/ qui évoque, parmi les « famous prisoners », deux évadés célèbres : Frank Mitchell et John George Haigh…
JT