Message de détresse de Sidonie Gottlieb, internée au Camp de Gurs en 1940

Porte d'entrée du cimetière du Camp de Gurs, photo Jacky tronel, août 2011.

Octobre 1940 – Sidonie Gottlieb : « peu à peu nous devons constater que notre seul espoir est un poison rapide et efficace. Dommage de nous tourmenter tellement, il n’y a pas d’autre solution. […] Jamais je ne me suis trouvée dans un tel état de dénuement, aussi sale, aussi tourmentée par la faim. […] Peut-être as-tu la possibilité de te procurer du poison que nous pourrions prendre le même jour ensemble, c’est-à-dire toi là-bas et moi ici. Il n’y a pas d’autre moyen d’échapper à notre situation. Nous ne pouvons attendre la fin de la guerre, nous n’en avons plus la force. »

Surveillance de l’internée Gottlieb, par décision préfectorale

Le 6 novembre 1940, le préfet des Basses-Pyrénées adresse un courrier au commandant du camp de Gurs, le chef d’escadron Davergne, lui signalant que des « renseignements portés à [sa] connaissance par M. le Ministre Secrétaire d’Etat à l’Intérieur », il résulte « que la nommée Sidonie GOTTLIEB, internée au camp de Gurs, îlot M, baraque 3, aurait l’intention de se suicider. Je vous prie de faire exercer sur cette étrangère une surveillance discrète, notamment en ce qui concerne les lettres et les paquets qu’elle est susceptible de recevoir ou d’expédier. »

Texte de la lettre interceptée par le bureau de la censure à Gurs…

Le texte qui suit est un extrait de la lettre que Sidonie GOTTLIEB adresse à Adolphe GOTTLIEB, interné au camp de St-Cyprien, îlot 11, baraque 1/12. Ce courrier a été intercepté par un inspecteur du bureau de la Censure du Camp de Gurs, le 19 octobre 1940 :

Extrait de la lettre de Sidonie Gottlieb, camp de Gurs, 1940.

Simone Gottilieb : « … peu à peu nous devons constater que notre seul espoir est un poison rapide et efficace. Dommage de nous tourmenter tellement, il n’y a pas d’autre solution. Je ne me suis jamais fait d’illusions et ai toujours vu clair. Notre déchéance est telle, qu’il nous est impossible de remonter par le travail, d’autant plus, que nous n’avons personne pour nous aider et qui puisse nous donner une main secourable. Jamais je ne me suis trouvée dans un tel état de dénuement, aussi sale, aussi tourmentée par la faim. Pourquoi la bombe ne nous a-t-elle pas déchirés en son temps sur la route ? Pourquoi fallait-il arriver ici sains et saufs ? J’ai toujours cru en ton courage, mais si tu es au même point que moi, il vaudrait mieux faire ce que je t’écris ci-haut. Peut-être as-tu la possibilité de te procurer du poison que nous pourrions prendre le même jour ensemble, c’est-à-dire toi là-bas et moi ici. Il n’y a pas d’autre moyen d’échapper à notre situation. Nous ne pouvons attendre la fin de la guerre, nous n’en avons plus la force. Pourquoi s’encourager mutuellement ? Je constate que nous devons crever lentement, mais sûrement, alors je préfère une mort rapide… »

Que sont devenus Sidonie et Adolphe GOTTLIEB ?

Stèle du cimetière du camp de Gurs : Johanna Gottlieb. Photo J. Tronel

Au cimetière de Gurs, il existe bien deux pierres tombales avec ce patronyme gravé dans le marbre, mais il s’agit d’homonymes… les prénoms ne correspondent pas : JOHANNA GOTTLIEB (24/05/1859 – 23/03/1941) et JULIUS GOTTLIEB (24/12/1852 – 26/11/1940). Tous les deux sont nés à Ebernburg (commune allemande située dans le land de Rhénanie-Palatinat).

Une recherche sur le catalogue en ligne du Centre de documentation juive contemporaine (Mémorial de la Shoah, Paris) et sur la base de données des Victimes de la Shoah du site de Yad Vashem (Jérusalem) permet de retrouver la trace de Sidonie et Adolphe : Sidonie Gottlieb est née le 31/12/1903 (sans profession) ; Adolphe Gottlieb est né le 2/12/1919 (commerçant). Sont-ils frère et sœur, mari et femme ? 16 ans les séparent… L’un et l’autre figurent sur une liste de détenus autrichiens [ici] du « Centre d’Hébergement de Rivesaltes ». Le 14 août 1942, ils ont été déportés à Auschwitz-Birkenau par le convoi n° 19 au départ de Drancy. Victimes de la Shoah, tous les deux sont morts à Auschwitz.

Quel était le règlement du camp en matière de correspondance ?

Suite au décret-loi du 17 novembre 1940, la gestion et la surveillance des camps d’internement passent du ministère de la Guerre à celui de l’Intérieur, direction générale de la Sûreté nationale. Le texte du nouveau règlement qui s’applique à la correspondance est le suivant :

« Tout le courrier en général y compris les paquets, télégrammes etc… adressé à l’interné, est ouvert à l’arrivée ; celui expédié, avant son départ. Le courrier départ doit être déposé ouvert dans les boîtes à lettres.
Lorsque le Commissaire Directeur du Camp estime que la correspondance ne doit pas être transmise, il est autorisé à la retenir.
En outre, lorsque cette correspondance est rédigée dans un but de propagande, l’intéressé est privé, par décision du Ministre de l’Intérieur (Direction Générale de la Sûreté Nationale) de l’autorisation de correspondre avec des tiers. La suspension de correspondance sera ordonnée le cas échéant par le Commissaire Directeur du Camp en attendant la décision à intervenir.
Toutes communications téléphoniques sont formellement interdites aux internés. »

Sources : Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, 77 W 27 et 77 W 13
Photos du cimetière de Gurs : Jacky Tronel, août 2011.

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