Adolf Hoffmeister : de Prague au camp de Damigny

Dessin de couverture du livre "The Animals are in Cages" du Tchèque Adolf Hoffmeister

Je dois à Dominique Hérody, dessinateur, écrivain et scénariste de bande dessinée, administrateur du blog trente – plus ou moins trente de m’avoir fait connaître l’artiste tchèque Adolf Hoffmeister.
Inquiété par la Direction Générale de la Sûreté Nationale après la signature du pacte germano-soviétique, comme l’ont été un certain nombre de ses compatriotes intellectuels réfugiés en France dès 1938, Adolf Hoffmeister va goûter à la prison puis à l’internement administratif en centre de séjour surveillé, avant de s’exiler aux État-Unis. Peu après son arrivée à New York, un éditeur l’incite à publier le récit de ses « aventures » dans le but de sensibiliser le public américain. Il paraît en 1941 chez Greenberg, sous le titre « The Animals are in Cages »

Biographie sommaire d’Adolf Hoffmeister

Adolf Hoffmeister en 1926.

Écrivain, caricaturiste, publiciste et dramaturge né à Prague en 1902, Adolf Hoffmeister est l’un des membres fondateurs (en 1920) du mouvement littéraire Devětsil, groupement artistique de l’avant-garde tchécoslovaque pendant l’entre-deux-guerres.

En 1922, il voyage à Paris et y côtoie le groupe des surréalistes. Il se lie à Ralph Soupault et à Tristan Tzara, rencontre Le Corbusier et s’engage dans la peinture tout en finissant ses études de droit, une fois rentré à Prague. En 1925, son doctorat en poche, il débute dans la caricature, tant de portrait (Cocteau, Maiakovski, Pasternak, Kafka, Seifert, Gorki, Aragon, Joyce…) que politique, particulièrement après l’arrivée de Hitler au pouvoir, dans l’hebdomadaire satirique Simplicus.
À partir de 1927, il collabore au mouvement du Théâtre libéré puis devient rédacteur du « Lidové Noviny » (Le Quotidien du Peuple, 1928-30) et de son supplément littéraire, « Literární Noviny » (1930-32). En 1928, il expose à la Galerie d’Art contemporain à Paris.

En 1939, il émigre vers la France. Suite au pacte germano-soviétique (signé le 23 août 1939), il est tenu pour un agent de Moscou et va connaître la prison de la Santé puis l’internement en camp de séjour surveillé (Damigny près d’Alençon, dans l’Orne). Finalement, il parvient à gagner le Maroc, puis le Portugal, Cuba et enfin les États-Unis où, avec son compatriote Antonín Pelc (dessinateur, peintre et illustrateur) il expose au Musée d’art moderne de New York (lien).

Couverture de "Touriste malgré soi" d'Adolf Hoffmeister, édition polonaise de 1946.

À la fin de la guerre, il est nommé ambassadeur de Tchécoslovaquie en France, de 1948 à 1951. Relativement marginalisé ensuite, privé de fonctions officielles ou diplomatiques, Hoffmeister devient professeur de dessin à l’Ecole supérieure d’arts et métiers de Prague.

« Touriste malgré soi »

En 1946 paraît cette édition polonaise de « Touriste malgré soi » (lien) qu’Adolf Hoffmeister, au terme d’un périple résumé sur cette couverture, avait écrit et dessiné aux États-Unis en 1941, sous le titre The Animals are in Cages, à la demande de l’éditeur américain Greenberg (lien).

En introduction, après avoir situé Prague pour un public américain : « Beyond the Atlantic, eastward from New York, there is a continent called Europe. In the center of this continent is a small country about whose beauty not many people know. And in the center of this wonderful land is a still more wonderful city called Prague », Adolf Hoffmeister précise à propos de son personnage central : « His name was Jan Prokop, but any resemblance between characters in this book and real persons, living or dead, is purely coincidental », un peu plus loin, le personnage se présente comme « A writer and cartoonist. 5 1/2 feet tall, weight 170, age 37, Catholic, bachelor, residing at — », comme son auteur. Il ne s’agit pas à proprement parler d’une autobiographie, mais d’un récit de l’exil d’un certain Jan Prokop qui ressemble fort à l’auteur.

Interview d’Anna Pravdová par Anna Kubišta, journaliste à Radio Prague

Portrait d'Adolf Hoffmeister.

Anna Pravdová, vous êtes historienne d’art, conservatrice à la Galerie nationale [de Prague] et vous venez de publier un très beau livre intitulé « Surpris par la nuit – Les artistes tchèques en France de 1938 à 1945 » [Éditions Opus et la Galerie nationale de Prague, 2009]. Pourriez-vous nous le présenter ?

« Ce livre s’intéresse aux artistes tchèques qui, soit vivaient en France depuis longtemps et ont été rattrapés par la guerre là-bas, soit ont dû fuir la Tchécoslovaquie occupée par les Allemands et se sont retrouvés à Paris par hasard, ou parce qu’ils étaient francophiles et y avaient déjà des contacts avant la guerre. J’essaye de voir comment tous ces artistes arrivés à Paris en 1939 ont vécu, ce qu’ils ont pu y faire, comment ils ont aidé leur pays. »

[…] Pourquoi ces artistes s’installent-ils en France plutôt qu’aux États-Unis, puisque, même s’ils ne peuvent pas le savoir à ce moment-là, la France est également menacée…

« Ils auraient tous aimés s’installer aux Etats-Unis mais ils ont mis beaucoup de temps à quitter la France. Jusqu’à la déclaration de guerre, ils se sentaient sans doute en sécurité en France, mais après ils ont tous essayé de fuir. Face à l’armée allemande qui approchait, ils sont partis dans la zone libre, mais certains ont mis plusieurs années à obtenir un visa ou une place sur un bateau qui les emmènerait soit à Lisbonne ou au Maroc et ensuite aux Etats-Unis. C’était très difficile. »

Ceux qui restent en France, qui ne peuvent pas partir, que font-ils ? Est-ce qu’ils se cachent, est-ce qu’ils vivotent avec des petits boulots, est-ce qu’ils créent ?
« Parmi ceux qui restent, certains se sont engagés dans l’armée tchécoslovaque en France par exemple, mais bien sûr avec la capitulation de la France, l’armée a été dissoute. Ceux-là ont essayé de partir comme tout le monde ou alors se sont engagés dans la résistance et ont participé aux groupes de la France Libre. »

En France quels sont les moyens qu’ont ces artistes de s’engager pour la défense de leur pays de l’extérieur ? Est-ce qu’ils créent des journaux, des institutions de résistance écrite ou artistique ?
« Il y a eu plusieurs choses… D’abord, Adolf Hoffmeister a été l’initiateur et le chef de file de la Maison de la culture tchécoslovaque, créée à Paris pendant l’été 1939 et qui devait servir justement de centre culturel, de résistance, qui organiserait différentes actions pour soutenir le pays. Il avait prévu un journal, voulait lancer une radio qui diffuserait vers la Bohême occupée… Malheureusement après le pacte germano-soviétique, tous les gens de gauche et les intellectuels sont devenus suspects en France, tous les habitants de cette Maison ont été arrêtés et emprisonnés pendant six mois à la prison de la Santé, avant d’être mis dans des camps d’internement. Ensuite ils ont pu quitter la France. Cette maison n’a duré que quelques mois. A côté de cela, il y a eu un groupe d’artistes tchécoslovaques qui s’est créé à l’initiative du peintre Matoušek. Ils ont fait différentes expositions et publications pour soutenir la Tchécoslovaquie, dont un album de gravures auquel ont participé de nombreux artistes comme Chagall, Picasso, qui ont exprimé leur soutien à la Tchécoslovaquie occupée. Il y a eu un groupe d’étudiants qui a fondé un comité intellectuel tchécoslovaque qui voulait soutenir les intellectuels arrivés en France et un peu perdus. Mais eux aussi ont été arrêtés. » [lien]

La Santé (1939-1940)

Adolf Hoffmeister, dans sa cellule de la prison de la Santé, 1939.Adolf Hoffmeister, dans sa cellule de la prison de la Santé, 1939.

En 1969, alors qu’Adolf Hoffmeister est réfugié en France après l’écrasement du Printemps de Prague (août 1968), les éditions Gallimard publient La prison où il raconte son séjour à la Santé entre 1939 et 1940, accompagné de six dessins de ses codétenus. En avant-propos, Hoffmeister présente ainsi son livre : « Réfugié en France après l’occupation de la Tchécoslovaquie par les nazis, porté sur la liste noire de la Gestapo, j’ai été arrêté et mis en tôle à Paris pendant la drôle de guerre pour des opinions trop avancées et trop libres à cette époque de l’histoire. C’est à la prison de la Santé que j’ai écrit, pendant sept mois, en confinement solitaire, ce journal et ces dialogues de détenus. »

Le premier chapitre s’intitule L’abandon : « Le 24 septembre 1939, se refermait sur moi la porte de la cellule numéro 10, douzième section de la prison de la Santé. Il était environ 13 h 30. C’était un dimanche à Paris. Le temps était clair, et un peu frais. Tout d’abord, je m’étais senti gêné, oui, confus. Puis amer, à en rire, à l’idée que je pouvais me retrouver en prison.
Quelle idée insensée ! Est-ce donc aux adultes aujourd’hui de jouer aux enfants ? Ou bien ne sommes-nous que des enfants qui jouent aux adultes ? Ma conscience n’avait rien à se reprocher, et le décalage était trop criant, tant l’accusation était grave. Quelle tournure soudaine avaient pris les événements de ces dernières semaines. Quelle métamorphose complète de tout ! Une chose au moins était claire : notre navire avait fait naufrage. » [lien]

Centre de rassemblement des étrangers du Stade de Colombes, dessin Adolf Hoffmeister, 1939

Centre de rassemblement des « indésirables étrangers » au Stade Roland-Garros, Colombes, 1939, dessin Adolf Hoffmeister.

Le camp de Damigny (1939-1948)

En novembre 1939, le centre de séjour surveillé de Damigny, près d’Alençon (Orne) est ouvert. Il atteint 258 internés en février, environ 500 à la fin mars. Le 1er mars 1940 sont recensés 229 Allemands, 110 Autrichiens, 10 apatrides…

Le camp de Damigny (Orne), dessin d'Adolf Hoffmeister, publié dans son livre "The Animals are in Cages", 1941, New York

Parmi ces errants se retrouvent une majorité d’intellectuels (ainsi plusieurs journalistes connus tel le gendre de l’historien français Albert Mathiez), de cadres, de professions libérales. Un député au Landstag y séjourne même avant d’être libéré. Les artistes sont nombreux, ainsi le peintre Wilhem Freier, plusieurs musiciens connus. 37% des internés sont Israélites.

Dessin d'Adolf Hoffmeister, interné au camp de Damigny (Orne), 1940.

Source : Gérard Bourdin, « L’Orne, les réfugiés et les camps (1914-1918 et après…) (La Ferté-Macé, Sées, Damigny) », Société Historique et Archéologique de l’Orne, octobre 2002. SHAD (Vincennes), 7 U 2543 : Historique du camp de Damigny.

En savoir plus…

Dominique Hérody et moi-même souhaiterions en savoir plus sur la détention d’Adolf Hoffmeister dans les prisons et les camps d’internement français, sur les conditions de son départ vers les Etats-Unis, sur les intellectuels internés avec lui – plus particulièrement les dessinateurs, peintres, caricaturistes et illustrateurs.

Si vous souhaitez réagir, apporter une précision, révéler un document… merci de laisser ici votre commentaire.

Sources photo : Adolf Hoffmeister, bras croisés lien – Adolf Hoffmeister en 1926 : lien

1 Commentaire de l'article “Adolf Hoffmeister : de Prague au camp de Damigny”

  1. Rosa dit :

    J’ai trouvé cette information très intéressante, merci de la partager! Je ne connaissais pas l’histoire de Hoffmeister, mais je suis en train de faire des recherches sur un autre Tchèque, l’écrivain et traducteur juif Hans Schönhof (ou Schoenhoff), adepte du surréalisme et membre du groupe « La Main à plume ». Né à Brno le 15-1-1913, Schönhof faisait des études de Droit à Prague, de même que Hoffmeister. Comme lui, il habitait aussi à Paris pendant la guerre. Arrêté par la Gestapo, il entrait à la prison de Cherche-Midi en juin 1942 et restait jusqu’à octobre 1942. Déporté à Drancy, il est mort à Auschwitz le 2-11-1942. Étant donné que Schönhof était intellectuellement très actif (il a traduit Nezval vers l’allemand avec Otto Eisner), je me demande si vous connaissez par hasard quelque liaison entre lui et Hoffmeister…. Il faut donner voix à tous ces disparus !
    Merci par avance et excusez, s’il vous plait, mon précaire français !

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