« S.O.S. à tous les gens de cœur » – Centre pour « indésirables français » du camp de Gurs

Julius C. Turner, Männer im Morgenrot vor dem Stacheldrahtzaun (1941)

Du 8 juillet au 31 décembre 1940, l’îlot D du camp de Gurs est le siège du centre de séjour surveillé pour indésirables français de la 18e région militaire, destiné aux « individus dangereux au point de vue national » (communistes, syndicalistes et pacifistes) et aux  » repris de justice et gens sans aveux « . Aux environs de la mi-novembre, la mère d’un des internés politiques envoie un appel au secours au préfet des Basses-Pyrénées, dont voici le texte, ci-dessous…

Julius C. Turner, « Männer im Morgenrot vor dem Stacheldrahtzaun », 1941, © Olivier Dester. Cliquez sur l’image pour l’agrandir.

« S.O.S. à tous les gens de cœur »

« Nous sommes au camp de GURS, 90 détenus français internés administrativement sur 114 au total.

Les 24 autres détenus sont des droits communs, ou souteneurs notables. Parqués dans 2 baraques, infectes, étroitement entourées de fil de fer barbelé, qui étaient destinées aux représailles des indisciplinés du camp. Ce mélange de gens honnêtes puisqu’aucune inculpation ne pèse sur nous, avec la menace, la présence parmi nous d’anciens combattants tuberculeux, le manque de soins, l’absence totale d’hygiène, l’insuffisance de nourriture, nous placent dans un état moral et physique propice à toutes les maladies.

Mais aux rigueurs incompréhensibles du camp à notre égard, vient s’ajouter une bien plus terrible épidémie capable d’émouvoir tous les gens de cœur : le camp de Gurs a reçu des milliers de Juifs allemands, expulsés d’Allemagne. De tout âge et des 2 sexes, ceux-ci enregistrent dès les premiers jours une mortalité assez grande. On mit cela sur le compte de la fatigue, de la dépression physique et morale.

Mais cette mortalité au lieu de dégressir [sic] va en s’accentuant de jour en jour, et le nombre des morts atteint et dépasse la vingtaine chaque jour. Le service de santé accuse une épidémie caractérisée de typhoïde, l’eau ne peut plus se consommer que bouillie et une analyse a été ordonnée.

Les cercueils ne sont pas construits en assez grand nombre d’où la nécessité d’entreposer les cadavres dans des baraques de l’îlot B. La morgue ne pouvant les contenir tous, les rats qui pullulent dans le camp mordent et mangent les cadavres, malgré la garde constante des gardiens mobiles chargés de les chasser nuit et jour. Nous sommes en contact direct avec les Juifs allemands. Les rats circulent d’un îlot à l’autre apportant partout le microbe mortel.

Le service de santé manque de médicaments, nous ne touchons pas de vin et on nous interdit la livraison au Camp. Tout dans la situation qui nous est faite dans le camp nous prédispose à l’épidémie qui fait des ravages chez les Allemands et si notre transfert dans un autre camp n’intervient pas assez vite, on aura fait d’un séjour surveillé auquel nous devrions prétendre en vertu même des circulaires qui nous régissent, mais qui en réalité est pour nous un camp de représailles, le cercueil de pères de familles françaises, d’anciens combattants médaillés ayant à plusieurs reprises démontré leur attachement à la France, à leur pays.

À Monsieur le Préfet de la Haute-Garonne.
Une mère de famille avec l’espoir qu’il fera tout ce qu’il lui sera possible pour changer la situation du camp et améliorer la situation des Toulousains qui s’y trouvent enfermés. »

Camp de Gurs, novembre 1940, indésirables français

Source : Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, Pau, 77 W 21.

Réactions de l’autorité préfectorale

Par courriers des 18 et 27 novembre 1940, le préfet donne des instructions au commandant du camp afin qu’il adoucisse les conditions d’internement des « indésirables » du centre de séjour surveillé du Camp de Gurs. Le directeur le rassure… : « J’ai fait prendre d’urgence toutes les mesures pour que les internés de cette catégorie soient traités très convenablement, conformément au désir que vous avez exprimé. »

Le 11 décembre 1940, estimant que les mesures prises sont encore insuffisantes, le préfet exige du commissaire divisionnaire, chef du camp de Gurs, qu’il prenne « toutes dispositions utiles afin d’assurer aux indésirables français astreints à résider obligatoirement au centre de séjour surveillé de Gurs, des conditions d’existence compatibles avec la situation de cette catégorie d’internés. […] Il est indispensable de séparer nettement les repris de justice des internés politiques proprement dits. »

En dépit de ces échanges de courriers, la situation ne semble pas devoir s’améliorer… Le 18 décembre, Antoine JOSEPH, l’un des « politiques », adresse une nouvelle lettre de protestation au préfet des Basses-Pyrénées, réclamant : « 1° Notre séparation d’avec les détenus de droit commun [« indésirables – repris de justice »] – 2° L’amélioration de notre nourriture – 3° L’amélioration, en ce qui nous concerne, de l’hygiène et du service sanitaire. […] Nous sommes persuadés, Monsieur le Préfet, que vous voudrez bien faire le nécessaire d’urgence afin qu’il soit possible à l’administration du camp de nous accorder satisfaction sur le point essentiel de notre nourriture, en attendant que les aménagements en cours à l’îlot B nous permettent d’avoir des conditions de vie un peu moins éloignées de celles des autres centres de séjour surveillé. »

Que sont devenus les « indésirables français » du camp de Gurs

Le 30 décembre 1940, 96 internés politiques, [liste] sont transférés vers le camp de Nexon (Haute-Vienne), parmi lesquels se trouvent Louis Lecoin et Daniel Renoult. Le lendemain, 23 autres , qualifiés de « repris de justice », sont dirigés vers le centre de séjour surveillé de Sisteron (Basses-Alpes).

4 Commentaires de l'article “« S.O.S. à tous les gens de cœur » – Centre pour « indésirables français » du camp de Gurs”

  1. Labarthe dit :

    Bonsoir.
    Mon grand-père André CAPDUPUY était des 96 transférés de Gurs à Nexon.
    Où ont-ils été envoyés ensuite ?

  2. Jacky Tronel dit :

    Bonjour,
    Votre grand-père fait effectivement partie des 96 « indésirables français » transférés du camp de Gurs vers le camp de Nexon, le 31 décembre 1940. Il figure bien sur cette liste dont j’ai fait état dans un précédent article publié sur ce blog (lien).
    De Nexon, André Capdupuy a soit été dirigé vers un autre centre de séjour surveillé, en métropole, soit transporté vers l’un des bagnes d’Afrique du Nord…
    Dans l’état actuel de mes recherches, je ne peux vous en dire davantage.
    JT

  3. Labarthe dit :

    Merci de cette information.
    Existe t’il des archives liées au camp de Nexon ?

  4. Jacky Tronel dit :

    Bonjour,
    Vous trouverez des fonds intéressants aux Archives départementales de la Haute-Vienne, à Limoges.
    Plus particulièrement dans la série 993 W (Affaires militaires) : 993 W 23 ; 993 W 27 à 78 , 993 W 303,607,779.
    JT

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