Révolte chez les « internationaux » yougoslaves et hongrois du camp de Gurs

Membres des brigades internationales

Le 2 avril 1940, la formation d’une compagnie de travailleurs étrangers regroupant les membres des brigades internationales de nationalités yougoslave, tchèque et hongroise se heurte à une forte résistance de la part des « internationaux ».

Le rapport du chef d’escadron Davergne, commandant le camp de Gurs, est intéressant car il apporte un nouvel éclairage sur cette population internée, composée de volontaires antifascistes venant d’une soixantaine de pays différents et qui se sont battus aux côtés des Républicains espagnols.

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Texte intégral du rapport Davergne :

« 18e Région – Camp de Gurs – N° 842/2G. Gurs, le 5 avril 1940.

RAPPORT du Chef d’Escadron DAVERGNE, Commandant le Centre d’Accueil de GURS, sur des manifestations organisées par les Internationaux internés.
Suite à compte-rendu téléphonique du 3 avril 1940.

Par ordre du Général à la disposition du Général Chef d’Etat-Major de l’Armée à l’Intérieur, j’ai été chargé de préparer deux compagnies de travailleurs avec les miliciens internationaux du Camp (257e et 258e Cie).

La 257e Compagnie a été constituée très rapidement avec des éléments, heureux de prouver leur reconnaissance à l’égard de la France.

Groupe de brigadistes allemands internés au camp de Gurs en 1939

Groupe de brigadistes internationaux allemands, source AN, F/7/15125.

La formation de la 258e Compagnie a été extrêmement difficile. Le 1er Avril 1940, j’ai vu les Chefs des diverses nationalités internées au Camp. Je les ai mis au courant des intentions du Commandement Français et les ai invités à ne mettre aucune entrave à la constitution de cette unité. Seul, le chef des Yougoslaves, un nommé KOVACS a répondu que volontairement ou de force, ils ne travailleraient pas. Le 1er Avril au soir, 108 hommes (allemands et autrichiens) étaient enrôlés. L’effectif de 200 devait être atteint dans la journée du 2.

Le 2 avril vers 8 h.30, le Capitaine GIRY chargé de cette mission rendait compte au Capitaine VALLET, Commandant provisoirement le Camp qu’une manifestation se déclenchait dans les îlots E et C occupés par les Internationaux. Cet officier a alerté immédiatement tous les disponibles de la G.R.M. du 182e R.I.R. et a pris la direction du service d’ordre.
J’étais parti la veille après-midi à TARBES, en permission de 48 heures accordée par le Colonel Chef d’Etat-Major de la 18e Région, afin de faire opérer mon enfant.

Extrait du rapport Davergne, commandant le camp de Gurs, à propos de la révolte des brigadistes internationaux yougoslaves et hongrois

Extrait du rapport Davergne, Archives nationales, F/7/14736.

À cette heure, les Internationaux au nombre de 1500 étaient hors de leurs baraques et tenaient des réunions tumultueuses ; des hurlements et des coups de sifflet partaient de partout. Certains groupes chantaient dans leur langue nationale des chants révolutionnaires.

L’arrivée des premiers éléments de G.R.M. et d’Infanterie a été saluée par des cris de « Liberté-Égalité-Fraternité-Démocratie », « Les soldats avec nous – Vive la France – Vive la Démocratie Française », « Pas pour 0,50 ». [Les membres des compagnies de travailleurs étrangers sont des prestataires militaires et reçoivent, à ce titre, une solde de 50 centimes par jour, au même titre que les appelés du contingent]. Puis plus de 400 miliciens ont chanté en Français, tête nue et au garde-à-vous « La Marseillaise ».

Entre 9 h.15 et 9 h.30, le Capitaine VALLET a donné l’ordre aux Chefs d’îlots de faire rentrer tous ces hommes dans les baraques. Cet ordre fut assez rapidement exécuté par tous. Chaque baraque a été fermée et une sentinelle placée à chaque porte. L’appel des réfugiés désignés d’office pour faire partie de cette compagnie s’est avéré immédiatement impossible ; les hommes ne répondaient pas à l’appel de leur nom. Le Capitaine VALLET a alors décidé d’en prendre 10 par baraque.

Pour cette opération, il a procédé de la façon suivante : Chaque Chef de baraque a été invité à prévenir les occupants que l’on allait faire des désignations d’office. Il les a prévenus qu’en cas de résistance la force serait employée. 25 miliciens ont accepté immédiatement leur enrôlement et on leur accorda le temps nécessaire pour prendre leurs bagages. Une centaine ont été pris de force et conduits jusqu’à l’allée centrale où ils ont cessé toute résistance. Quelques-uns ont été traînés sur plus de 100 mètres. Pendant ces opérations les cris les plus divers n’ont cessé de retentir. Ceux d’« assassins » ont été employés le plus souvent. Des tentatives de sortie des baraques, grâce à la vigilance des sentinelles, ont échoué. Au cours de l’une d’elles, plusieurs Yougoslaves ont foncé sur le Lieutenant RAT qui se trouvait à l’entrée de la baraque 16. Cet officier menacé par ces énergumènes a frappé l’un d’eux d’un coup de cravache. Ce geste a eu pour résultat immédiat la fin de toute hostilité de la part des internés. Le Yougoslave ayant reçu le coup, Ivan TURPIN [orthographié TIRPEN à la fin de ce même rapport], a été mis en état d’arrestation pour son attitude menaçante. Un Garde a été mordu par un individu dont l’identification n’a pu être établie. Des recherches sont faites pour identifier tous les meneurs ; dès qu’elles seront terminées la liste sera transmise avec une demande d’envoi sur le Camp du Vernet. La résistance a été particulièrement vive dans les groupes yougoslaves et hongrois. Une vingtaine ont été menés à l’îlot de répression pour 30 jours.

Adroitement orchestrée et minutieusement préparée cette manifestation essentiellement communiste aurait pu avoir des conséquences les plus graves si des mesures énergiques n’avaient pas été prises. La lutte menée contre les compagnies de travailleurs lors de la formation d’une de ces unités a nécessité l’internement à la prison de PAU de quatre Allemands poursuivis pour menées antifrançaises. Pendant toute la durée de ces incidents qui se sont déroulés entre les fils de fer barbelés des îlots, le Capitaine VALLET est resté maître de la situation. À 13 h.30, le calme régnait dans le Camp.
Les Espagnols internés se désolidarisant complètement des Internationaux ont jugé très sévèrement leur attitude.

Je demande la comparution devant les tribunaux militaires des Yougoslaves CVETKO WEDESLAV pour refus d’obéissance et rebellion ; LATINOVICS Lazare pour refus d’obéissance, rebellion et voies de fait ; Ivan TIRPEN pour menaces à Officier.

Signé Davergne.

DESTINATAIRES : Monsieur le Général MENARD, Adjoint au Général Chef d’Etat-Major de l’Armée à l’Intérieur à PARIS. Monsieur le Général Commandant la 18° Région à BORDEAUX. Monsieur le PREFET des Basses-Pyrénées à PAU. Archives. »

Vue générale du Camp de Gurs à la fin de l'année 1940.

Vue générale du camp de Gurs, fin 1940. Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, 1 M 182.

L’incorporation des « internationaux » dans les CTE

Dans sa monographie sur le Camp de Gurs, l’historien Claude Laharie explique que d’octobre 1939 à janvier 1940, les travailleurs incorporés dans les CTE (Compagnies de travailleurs étrangers prestataires) sont exclusivement d’origine espagnole. Le gouvernement français se méfie en effet des « internationaux », jugés dangereux car presque tous communistes. Toutefois, le besoin en main-d’œuvre se faisant pressant, « il faut bien se résoudre à incorporer ceux dont on ne voulait pas quelques mois auparavant. Or, à ce moment là, l’administration du camp se heurte à un refus massif : les ‘Internationaux‘ rejettent de façon quasi unanime les propositions d’incorporation ».

Le Polonais Dworkin justifie ce refus ainsi : « Les services du camp nous poussaient à entrer dans les compagnies de travail. On nous disait qu’on irait dans les camps militaires, qu’on travaillerait pour l’armée, que l’alimentation serait la même que celle des soldats, ainsi de suite. Cela nous plaisait beaucoup plus que de rester dans ce camp où tout allait de mal en pis. Cependant nous avons appris par d’autres camarades déjà affectés, des Espagnols surtout, qu’on les avait envoyés travailler sur la ligne Maginot à renforcer les fortifications sous le feu de l’artillerie allemande et que certains, sans armes devant les balles nazies, avaient été tués. (…) Nous ne voulions pas nous offrir inutilement, sans défense, aux armes allemandes. C’est pourquoi nous avons décidé de pratiquer la résistance passive en refusant de signer tout formulaire ».

Claude Laharie situe la fin de la résistance des « internationaux » au début du mois de mars 1940 : « Ce sont eux qui, en mars et en avril 1940, constituent l’essentiel des effectifs des prestataires, écrit-il. Tous n’acceptent pas ce mode de départ mais son succès dans les rangs des plus intransigeants des Gursiens montre que la solidarité du groupe éclate alors ».

Toutefois, le rapport du commandant du camp de Gurs, reproduit ci-dessus, témoigne du fait que la résistance est toujours très vive au début du mois d’avril 1940… D’ailleurs, plusieurs centaines de ces brigadistes réfractaires seront transférés par mesure disciplinaire vers le camp pour « indésirables étrangers » du Vernet d’Arriège, dans le courant du mois de mai.

Selon l’historien, 9 375 Gursiens auraient été incorporés dans les CTE, de septembre 1939 à avril 1940 inclus.

Pour en savoir plus :

Le Camp de Gurs – 1939-1945 Un aspect méconnu de l’histoire de Vichy, Claude Laharie,
J&D Éditions, Biarritz, 1985.

Républicains espagnols en Midi-Pyrénées : exil, histoire et mémoire, ouvrage collectif
dirigé par José Jornet, Presses universitaires du Mirail, Toulouse, 2005.

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