« Prisons : Patrimoine de France », inventaire par Étienne Madranges

Fresque du Centre de détention de Villefranche-sur-Saône. Couverture du livre d'Étienne Madranges, "Prisons : Patrimoine de France".

En couverture du livre d’Étienne Madranges, fresque de la Maison d’arrêt de Villefranche-sur-Saône (Rhône). Photo Étienne Madranges.
Cliquez pour accéder au fac-similé de couverture de l’ouvrage.

Dans un ouvrage original de 400 pages et plus de 2400 photos, Étienne Madranges, magistrat, universitaire et historien nous invite à un incroyable périple à la rencontre de 463 prisons françaises en service ou désaffectées… Des donjons, des châteaux, des abbayes, des couvents, des souterrains, des cachots, des portes, des verrous, des graffitis, des lieux de torture, des sites insolites, des maisons d’arrêt, des centrales. Des fresques, des sculptures, des graffitis…

Pour la première fois, un ouvrage recense et révèle le patrimoine pénitentiaire et carcéral dans sa diversité au cours des siècles, du moyen âge à nos jours.

Avant-propos de l’auteur de « Prisons : Patrimoine de France »

Texte Étienne Madranges : « Des pinceaux derrière les barreaux… L’imaginaire en milieu pénitentiaire… Et des lieux somptueux, religieux, princiers ou militaires, transformés en pénitenciers… et conservés grâce à leur nouvelle vocation pénitentiaire…

Un double constat ! L’idée m’est venue en visitant plus de 400 prisons françaises. Tout d’abord en visitant près de 200 établissements pénitentiaires en fonctionnement. Je lisais les rapports sur la vétusté de certaines maisons d’arrêt, sur les conditions de vie des détenus, et les avis négatifs d’organisation diverses. Dans le même temps, mes visites me permettaient une double découverte.

D’une part le formidable investissement des cadres et des surveillants de l’Administration pénitentiaire française, des travailleurs sociaux, des professeurs, des instituteurs, des médecins, des aumôniers, des intervenants, des bénévoles… en faveur des détenus condamnés ou prévenus, pour les accompagner, développer leur esprit créatif, encourager ou susciter des vocations. Or, on n’en parlait jamais !

Et d’autre part l’extraordinaire volonté de certains condamnés pour créer, s’instruire, peindre, sculpter, décorer, s’engager, partager. Et l’on n’en parlait pas beaucoup plus… Et pourtant, nombreuses étaient les expositions d’œuvres de détenus, parfois hors les murs… Et certains artistes, au talent éclos entre quatre murs, poursuivaient leur entreprise créatrice à l’international !

La Maison d'arrêt de Périgueux (Dordogne) a été mise en service en 1863. On y trouve, parmi de jolies réalisations, une belle fresque centrale… Photo Étienne  Madranges.

La Maison d’arrêt de Périgueux (Dordogne) a été mise en service en 1863.
On y trouve, parmi de jolies réalisations, une belle fresque centrale… Photo Étienne Madranges.

En regardant les 60 000 clichés pris lors de mes visites, je me rendis compte que les prisons n’étaient pas seulement des lieux de sanction et de réinsertion, des lieux de souffrance et d’espoir, des parloirs, des cellules et des ateliers, mais aussi des lieux de grande créativité, d’imagination artistique, d’épanouissement intellectuel pour certains, en définitive un formidable patrimoine national. Un patrimoine d’autant plus émouvant qu’il résultait souvent, entre larmes et résignation, d’un jaillissement émotionnel, d’un imaginaire parsemant d’étoiles un ciel trop bas, de l’action encadrée de mains adroites ou maladroites, créant qui un jouet, qui une maquette, qui une poterie, qui un témoignage de Foi dans une chapelle pénitentiaire.

La Maison d'arrêt de Montauban (Tarn-et-Garonne) a été mise en service en 1900. Sa chapelle, qui sert de salle de sport, a été baptisée salle François Papurello, du nom de l'aumônier qui s'est dévoué de façon exceptionnelle pendant de longues années auprès des détenus. La fresque principale date de 1966.

La Maison d’arrêt de Montauban (Tarn-et-Garonne) a été mise en service en 1900. Sa chapelle, qui sert de salle de sport, a été baptisée salle François Papurello, du nom de l’aumônier qui s’est dévoué de façon exceptionnelle pendant de longues années auprès des détenus. La fresque principale date de 1966. Photo Étienne Madranges.

Ce patrimoine, il faut le sauvegarder et le faire connaître. Parce qu’il est trop souvent éphémère. Et parce que la prison n’est plus, depuis longtemps, un lieu d’élimination. C’est un lieu de reconstruction humaine. Ce patrimoine devient donc le bien de tous. Et certains lieux historiques tels que forts, forteresses, abbayes, châteaux, donjons… ont traversé les siècles grâce à la présence de l’Administration pénitentiaire et à la vocation carcérale de leurs bâtiments sans lesquels ils auraient été détruits ou seraient irrémédiablement dégradés.

La chapelle Saint-Sava de Niederhausbergen (Bas-Rhin)

Ci-contre : Fresque de Saint-Sava, chapelle de Niederhausbergen (Bas-Rhin)
Le Fort Foch est l’ancien Fort Kronprinz construit par les Allemands en 1872 dans la ceinture des forts édifiés autour de Strasbourg. En 1953, un terrible sinistre, dû à l’explosion accidentelle de 200 tonnes de munitions, détruisit une partie du site militaire, provoquant la mort de six personnes. Il accueille désormais le Centre de primatologie de l’Université de Strasbourg. Grâce à la ténacité du directeur de ce Centre, un émouvant témoignage peint, malheureusement dégradé en partie pendant la période d’inoccupation du fort, a pu être sauvegardé. Pendant la Seconde Guerre mondiale, les Allemands utilisèrent le fort comme prison. Des officiers et sous-officiers yougoslaves y furent enfermés. En 1944, sous la direction de Stanislas Belozanski, peintre à Belgrade, et Pavle Vasic, historien d’art, tous deux incarcérés, une pièce du fort fut, en vingt jours, transformée en chapelle recouverte de fresques murales, dédiées à Saint-Sava, héros de la nation serbe. Cette chapelle fut inaugurée en présence d’un général yougoslave et d’un colonel allemand.

Si cet ouvrage permet de montrer le patrimoine historique des lieux de détention, les murs, les verrous, les tours, les portes, les symboles, les réalisations anciennes et l’architecture contemporaine, il a également pour objectif de montrer qu’un lieu où se déroule un châtiment permet, entre renoncement et volonté de progresser, à l’art populaire de s’exprimer sur un mur séparant deux cellules somnolentes.

Fresque murale réalisée par des détenus de la prison de Bapaume (Pas-de-Calais) évoquant les Géants du Nord. Photo Étienne Madranges.

Fresque murale réalisée par des détenus de la prison de Bapaume (Pas-de-Calais) évoquant les Géants du Nord.
Photo Étienne Madranges.

Un art caché dans lequel certains veulent réinventer la liberté, d’autres laisser filer leur inventivité dans une profusion de couleurs éclatantes, un art où, lorsque la pudeur s’estompe, l’impudeur s’impose rarement. Un art qui a permis à plusieurs artistes d’essaimer, d’organiser des expositions, à des mains de dépasser les limites d’un mur, de réaliser parfois des œuvres somptueuses… transformant le proscrit en auteur admiré… enrichissant ainsi le corps social dans son ensemble.

Au pays de l'image d'Épinal, on trouve de nombreux travaux artistiques au sein de la Maison d'arrêt du chef-lieu des Vosges, mise en service en 1988. Photo Étienne Madranges.http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/wp-content/uploads/2013/12/maison_d_arret_d_epinal_1_72_dpi.jpgAu pays de l’image d’Épinal, on trouve de nombreux travaux artistiques au sein de la Maison d’arrêt du chef-lieu des Vosges, mise en service en 1988. Photo Étienne Madranges.[/caption]

Les prisons françaises ne seront pas toutes recensées ici. Elles ont en effet, au cours des siècles, été innombrables ! Tours, donjons, portes fortifiées des villes, châteaux, violons municipaux, cachots, multiples ont été les lieux de détention. Autrefois on trouvait des prisons seigneuriales, des prisons royales, des prisons privées, des prisons ecclésiastiques, des prisons municipales, des prisons militaires, des prisons pour les pauvres, des dépôts de mendicité, des prisons pour les fous… Au 19e siècle sont apparues les bâtiments cellulaires, les maisons d’arrêt, les maisons de correction, les maisons centrales. Au 20e siècle ont été aménagés des Centre de détention, des Centres pénitentiaires, des Centre de semi-liberté. À cette grande variété d’établissements et d’édifices s’ajoute la grande variété des lieux d’incarcération : cachots, oubliettes, cul-de-basse-fosse, cellules, dortoirs, chauffoirs, mitards…

La Maison d'arrêt de Seysses (Haute-Garonne), destinée à remplacer la prison du centre-ville de Toulouse, est en service depuis 2003. C'est un établissement à gestion déléguée. Les cellules bénéficient de douches. On y trouve un quartier réservée aux femmes. Photo Étienne Madranges.

La Maison d’arrêt de Seysses (Haute-Garonne), destinée à remplacer la prison du centre-ville de Toulouse, est en service depuis 2003. C’est un établissement à gestion déléguée. Les cellules bénéficient de douches. On y trouve un quartier réservé aux femmes. Photo Étienne Madranges.

Il est donc vain de vouloir recenser en une seule fois la totalité de ces lieux, quel que soit l’intérêt patrimonial de chacun. J’en ai choisi 463 pour illustrer la variété des thèmes patrimoniaux. Certains sites que vous allez découvrir peuvent avoir disparu, été récemment détruits, ou avoir été modifiés, les photos ayant été prises pour beaucoup avant 2010. Et certains sites photographiés n’ont pas été retenus, soit en raison du faible intérêt patrimonial, soit en raison de la nature peu intéressante de la photo. Je me suis surtout attaché à montrer la diversité des lieux et des époques, la créativité des détenus, la variété des réalisations architecturales, et à songer au devoir de mémoire ainsi qu’à parcourir l’ensemble du territoire. Cet ouvrage ayant été conçu sans aide extérieure, en quelques mois, en sus d’un emploi du temps professionnel chargé, quelques imperfections dans la mise en pages et quelques erreurs auront pu se glisser bien involontairement. Vous les pardonnerez !

La Maison d'arrêt de Grasse (Alpes-Maritimes) fonctionne en gestion déléguée depuis sa mise en service en 1992. Photo Étienne Madranges.

La Maison d’arrêt de Grasse (Alpes-Maritimes) fonctionne en gestion déléguée depuis sa mise en service en 1992.
Photo Étienne Madranges.

Ce livre n’est pas un livre d’histoire. Il existe sur Internet et dans les bibliothèques tant de photos, de plans, de récits, d’archives… C’est simplement un regard que je vous propose de partager. Je vous invite à regarder les richesses d’un patrimoine historique de grande valeur, qu’il convient de préserver, à admirer les fleurs qui colorent les cours de promenade, à déambuler dans les couloirs pénitentiaires transformés parfois en venelles pittoresques, à vous laisser surprendre par l’inattendu, à constater la générosité tant de certains détenus que des surveillants qui veillent sur eux et des professionnels qui encouragent leur créativité, à prendre conscience de l’éphémère, à mesurer l’ampleur des défis, à contempler les graffitis et les décors et vous interroger sur tout ce qu’ils peuvent exprimer. »
E.M.

La Maison d'arrêt de Strasbourg (Bas-Rhin) a été mise en service en 1988 afin d'accueillir les détenus de la Maison d'arrêt Sainte-Marguerite, de la prison de la rue du Fil et de la Maison d'arrêt de Saverne, fermée en 1990. On y trouve une palette complète d'activités socio-culturelles. Photo Étienne Madranges.

La Maison d’arrêt de Strasbourg (Bas-Rhin) a été mise en service en 1988 afin d’accueillir les détenus de la Maison d’arrêt Sainte-Marguerite, de la prison de la rue du Fil et de la Maison d’arrêt de Saverne, fermée en 1990. On y trouve une palette complète d’activités socio-culturelles. Photo Étienne Madranges.

Étienne Madranges, l’auteur de « Prisons : Patrimoine de France »

Étienne Madranges, auteur de "Prisons : Patrimoine de France", sur le toit de la prison Bonne-Nouvelle de Rouen.

Né en 1951, Étienne Madranges est magistrat, universitaire et historien. De formation scientifique et juridique, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, il a présidé des organismes internationaux ainsi que l’Institut national de la jeunesse, appartenu à plusieurs cabinets ministériels, administré des associations nationales et des fondations, enseigné dans diverses universités et grandes écoles et a été organiste.
Concepteur de divers dispositifs en faveur des jeunes et des handicapés, rédacteur d’un traité international et de textes législatifs et réglementaires, il a également été directeur d’administration centrale, comme directeur national de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative au ministère de la Jeunesse et des Sports.
Avocat général à la cour d’appel de Paris, il a été, auprès du garde des Sceaux, responsable de la mission patrimoine du ministère de la Justice.

Adepte de la lumière et de la couleur, il parcourt régulièrement le monde à la recherche de belles images. Il a pris plus de 500 000 clichés dans les édifices civils et religieux d’une soixantaine de pays, visitant notamment les palais de justice et prisons les plus divers sur les cinq continents. Son livre Les Palais de justice de France, paru en 2011 aux éditions LexisNexis, est la mémoire du patrimoine judiciaire français dans sa diversité, avec ses aspects parfois émouvants, parfois somptueux, et des anecdotes étonnantes.

« Prisons : Patrimoine de France »
Editions LexisNexis, Paris, 2013
400 pages – ISBN 978-2-7110-1720-1
Website de l’auteur : lien

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