Nicole Bergé pose son regard de photographe et de plasticienne sur le camp de Rivesaltes

Nicole Bergé pose son regard de photographe et de plasticienne sur le camp de Rivesaltes.

« J’ai consacré plusieurs années de travail au Camp de Rivesaltes, à la mémoire de ce lieu. Tout a commencé en 2005, lors de ma  première visite. Je ne connaissais rien de l’histoire des camps en général et de celle du camp de Rivesaltes moins encore. Ce fut un choc, avec l’envie immédiate de tout savoir, de tenter de comprendre ce qui avait eu lieu là.

De façon obsessionnelle, personnelle, je me suis alors mise à  chercher des traces, des éléments pour orienter ma quête. La photographie, premier moyen trouvé pour capter mes émotions, me permit de réaliser ma première exposition sur les baraques, les ruines, les vestiges… Loin du bel ocre et du bleu qui sont la signature de cette région, j’ai guetté le gris et l’absence de ciel, privant ainsi de liberté ces photographies qui devaient témoigner pour ceux qui étaient passés là. »

« Savoir une chose comme l’ayant vue »

Affiche de l'exposition de Nicole Bergé : "Savoir une chose comme l'ayant vue" sur le camp de Rivesaltes.

« Mon approche diffère de ce qu’on a l’habitude de voir en ce qu’elle passe par des “ faits réels ”, collecte photographique, vues aériennes, relevés d’inscriptions sur les murs, collecte d’objets. Les traces relevées au cours de mes visites sur le terrain me guidant et décidant de la suite de mes “ interventions ”. Ma curiosité s’est élargie à l’histoire des  principaux camps du sud de la France, permettant un autre travail, d’autres réalisations. D’autres découvertes m’ont également permis d’approfondir cette connaissance empirique embryonnaire : la rencontre et le témoignage d’une infirmière qui, en 1945, travaillant avec l’OSE – organisation d’aide aux enfants internés dans les camps – avait sauvé nombre d’entre eux, un reportage sur tous les camps du sud de la France, Gurs, Bram, Le Vernet d’Ariège, Septfonds, Les Miles … où s’est déroulée la même histoire, la visite du CAFI, camp de Sainte-Livrade où depuis 1956 vivent des indochinois oubliés là….

En 2006, lors de la collecte photographique faite pour le futur musée mémorial, j’ai parcouru le camp de Rivesaltes pendant des mois, récoltant  des objets, charnières de porte, flacons, débris de vaisselle, ustensiles, déchets abandonnés, que j’ai regroupés de manière d’abord  intuitive sous mon objectif, suivant leur forme, leur utilité, leur couleur. Ce glanage aléatoire d’objets tordus, cassés, rouillés, solitaires, a fini par composer des ensembles significatifs de traces, comme autant de témoins concrets, intacts et vivants d’une histoire faite de douleur et de mort, celle de tous les exclus qui se succédèrent dans ce Camp de tragique mémoire.

Aujourd’hui la mise en scène de ces objets donne lieu à cette nouvelle proposition plastique déclinée sous forme d’échafaudages, de séries, de suspensions, de dialogues entre objets et images. Hors du tirage plat et du cadre imposé par la photographie, j’ai posé, accroché dans l’espace, sur les murs, au sol, ces objets, révélant ainsi leur dimension purement physique, leur volume, leur mouvement, leur poids. On découvre ces installations comme on découvre des sculptures, il faut s’en approcher, les contourner, les toucher, pour saisir au plus près ce qui subsiste de ceux qui furent enfermés là : identité, quotidien, déplacement, accumulation, solitude isolement, et qui occupe tout l’espace  vacant, nous permettant ainsi de faire nôtre ce passé qui n’est plus. Proposer cette installation c’est lutter contre l’oubli. »

Poubelles de rivesaltes ou « Caisses de mémoires »

« Les premiers pas dans l’exposition commencent par le passage entre deux murs de caisses en bois que j’appelle les « poubelles » du camp. Entassés les unes sur les autres, sans aucun classement, on y trouve des objets rouillés de toutes sortes : gourdes, morceaux de casque militaire, tubes et boites en aluminium, bouts de chaussures, cadenas, fils de fer, boites de conserves, boulons et charnières de fenêtres, tessons de verre…

Poubelles de rivesaltes ou « Caisses de mémoires », photo Nicole Bergé.
Ce parti pris incite le public à rentrer dès le début de l’exposition dans le vif du sujet. En tant qu’auteur, il me permet de transmettre au public l’étrange sensation qui a été la mienne tout au long de mon travail de recherche et de collecte. Ces objets sont des plus ordinaires, apparemment sans intérêt. Pourtant tous ont servi… Face à ces accumulations, chaque visiteur peut prendre la mesure de la dimension humaine de l’histoire du camp de Rivesaltes. »

Autoportrait

« Les nombreuses formes et origines des bouts de fil de fer barbelé trouvés sur le camp m’ont permis de saisir les différentes «périodes» de celui-ci. Avec des morceaux de toiture, j’ai construit un caisson dans lequel j’ai placé au fond un miroir. Chaque visiteur peut s’approcher et découvrir son visage à travers cette grille dangereuse et coupante.

"Autoportrait" de la photographe Nicole Bergé, dans le cadre de l'exposition "Savoir une chose comme l'ayant vue"

Pour personne rien n’est jamais acquis. Qui d’entre nous peut être complètement assuré de ne pas vivre un jour un drame comme celui du camp de Rivesaltes ? Qui peut être sûr de ne pas à avoir à fuir un jour son pays ? »

« La gazouze »

« Souvent blancs, neutres, certains avec des inscriptions, comme des bon points cadeaux, ce sont les objets que j’ai préféré ramasser…

Exposition de Nicole Bergé autour du camp de Riversaltes : " Savoir une chose comme l'ayant vue "

Dans un livre sur l’histoire des Harkis du camp de Rivesaltes, une femme raconte que leur grande joie était de recevoir au goûter de la “ gazouze ”. Avec une inscriptions sur leur capsule, identique au tampon qui figure sur nos passeports, cette accumulation nous interroge sur la notion de légitimité et de droit à rester dans un lieu ou un pays. »

« Bouteilles à la mer »

« Sur cet immense terrain de 400 hectares ouvert à tous les vents, devenu par endroits un dépotoir sauvage, trouver un objet ne signifiait pas obligatoirement qu’il faisait partie de l’histoire du camp.  Mais à partir  du moment où j’en ai découvert  cinquante puis plusieurs centaines, j’étais devant une évidence : tous ces objets étaient reliés par une même histoire, celle du camp.

Exposition de Nicole Bergé autour du camp de Riversaltes : "Bouteilles à la mer".

Comment redonner un sens à tous ces flacons d’alcool, de parfum, de médicaments ? Peuvent-ils éventuellement se transformer en un hommage à tous ces gens enfermés ici, comme une fleur qu’on dépose sur une tombe ? Grâce aux archives départementales, qui m’ont permis de réunir les listes des internés du camp rajoutés aux noms des Harkis et des sans papiers du centre de rétention, de façon aléatoire, j’ai glissé ces listes, une à une dans chaque flacon. Ce sont pour moi des bouteilles jetées à la mer ou dans l’étendue infinie que représente l’histoire. »

« Armoire des mémoires »

« J’ai réalisé pendant plusieurs mois, à la demande du Conseil Général des Pyrénées Orientales, un inventaire photographique sur les îlots J, K et F. C’est pendant ce travail que j’ai pris la mesure de l’importance du nombre d’objets se trouvant sur le camp. Chacun avait certainement appartenu à un prisonnier. Très émue, j’ai commencé ainsi à les ramasser systématiquement, sans établir de hiérarchie quant à leur fonction ou leur valeur. Vis rouillées, bouts de portes, morceaux de vaisselle cassée, couverts, simples bouts de fer enroulés, chaque objet avait une histoire, un lien avec un être humain qui avait vécu ici. Depuis, l’intérêt et la passion pour l’histoire de ce site ne m’ont plus quitté. Cette “ armoire des mémoires ” retrace ce parcours. »

« Armoire des mémoires », tableau de l'exposition de Nicole Bergé consacrée au camp de Rivesaltes.

Site internet – Catalogue de l’exposition : lien – Contact : nicoleberge@laposte.net – Tél.: 00 33 (0)6 60 44 94 62

Camp de Rivesaltes, près de Perpignan. Photo Nicole Bergé.
Situé à quelques kilomètres de Perpignan, sur la commune de Rivesaltes, le Camp Joffre, dit “ Camp de Rivesaltes ”, a été créé en 1938.

Serge Klarsfeld note que du 4 septembre au 22 octobre 1942, le camp de Rivesaltes a joué le rôle de “ Drancy de la zone libre ”. Il a été le camp de rassemblement de tous les Juifs arrêtés dans la zone libre et le camp de transit vers Drancy, pour environ 1 700 d’entre eux.

L’îlot F du Camp de Rivesaltes, avec l’ensemble de ses baraquements, fait l’objet d’une inscription au titre des monuments historiques depuis le 18 juillet 2000.

2 Commentaires de l'article “Nicole Bergé pose son regard de photographe et de plasticienne sur le camp de Rivesaltes”

  1. Bergé Nicole dit :

    Merci Jacky pour ce bel article !!!
    L’exposition sera visible au visa off de Perpignan à l’atelier d’urbanisme du 1 au 14 Septembre 2012.
    Vermissage en ma présence le 3 à 18h00.
    Amicalement,
    Nicole

  2. Agnès Rekhis dit :

    Merci pour ce regard sur le camp de Rivesaltes, bcp de créativité, d’émotion en découvrant ces objets qui ont un lourd passé…

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