« Les portes des prisons se sont ouvertes devant les objecteurs »
Par Jacky Tronel | dimanche 9 octobre 2011 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | Pas de commentaireC’est le titre sous lequel le pacifiste Louis Lecoin signe un article de soutien aux objecteurs de conscience qui viennent de rejoindre le camp Nord de Mauzac.
L’article paraît le 1er novembre 1962 dans le journal Liberté dont il est le fondateur. Le texte, reproduit ci-dessous, provient d’une note d’information transmise à la préfecture de la Dordogne, le 21 novembre 1942. On y apprend que le journal “Liberté” du 1er novembre 1962, adressé au détenu Jacques Millet, a été saisi par la censure du centre pénitentiaire de Mauzac…
Compagne d’un des objecteurs de conscience interné au camp Nord de Mauzac, visible en arrière plan, 1963. Photo DR.
À propos du transfert des objecteurs de conscience, de Fresnes à Mauzac
Voici le texte intégral de l’article signé Louis Lecoin tel qu’il a été reproduit dans la note adressée à la préfecture (Archives départementales de la Dordogne, 1141 W 239) :
« Lorsque ce journal sera entre vos mains, tous les objecteurs emprisonnés auront certainement été libérés et dirigés sur le Centre de Mauzac, en Dordogne, tous, exceptés ceux retenus préventivement. Pourquoi faut-il que certains de ces libérés soient traités pire que des prisonniers de droit commun, et que les portes de leurs prisons s’ouvrent avec de tels grincements ?
Mardi soir 23 octobre, la gare d’Austerlitz se trouvait en état d’alerte : une trentaine d’agents, 5 ou 6 motards, autant de gardes-chiourmes et un bon nombre d’Inspecteurs de Police – avec mitraillettes et tout et tout pour faire embarquer dix objecteurs de conscience sortant de Fresnes. Ceux-ci étaient enchaînés par deux et par trois. Dans le train on leur mit les fers aux pieds. Ce serait ignoble si ce n’était encore plus ridicule. Et nous nous inquièterions fort à l’idée du sort qui attend là-bas ces vaillants jeunes gens si le jour même nous n’avions reçu ce mot d’un transféré, Jacques MILLET : “Mauzac le 17-10-1962 – Cher Monsieur, J’ai le plaisir de vous apprendre que je viens d’arriver dans ce camp avec un premier contingent de quinze autres objecteurs. Une quinzaine d’autres doivent venir nous rejoindre d’ici un jour ou deux. Nos premières impressions sont pratiquement toutes favorables à cette nouvelle résidence, mais j’espère néanmoins que ce séjour ne sera que provisoire en attendant notre prochain statut. Meilleurs sentiments.”
Donc ne dramatisons pas l’incident Fresnes-Austerlitz. Il est sûrement imputable à des excès de zèle d’adversaires bernés comme il y en a tant dans les administrations policière et pénitentiaire. Qu’ils prennent garde, qu’ils sachent que nous ne les laisserons pas ainsi espérer, aussi salement. Les promesses faites seront tenues, d’abord parce que en haut lieu on le veut certainement et ensuite et surtout parce que nous, nous le voulons absolument. Nous irons incessament, Emile Véran, Henry Sellier et moi-même, au Centre de Mauzac, nous rendre compte du régime appliqué aux objecteurs. S’ils ne jouissaient pas là-bas des libertés relatives de la caserne, nous saurions intervenir en conséquence et utilement. Les objecteurs de conscience sont tout de même sortis de leur prison, déjà ce n’est pas si mal. Le reste viendra. Louis LECOIN. »
Louis Lecoin, au siège du journal « Liberté », en juillet 1965. Source
Mauzac : centre de regroupement des objecteurs de conscience condamnés
Nous sommes en 1962 ! Les libérations des détenus nord-africains incarcérés pour des faits en relation avec la guerre d’Algérie permettent à l’Administration pénitentiaire de donner une nouvelle affectation à un certain nombre de ses établissements. En Dordogne, le camp nord du centre pénitentiaire de Mauzac où étaient détenus les politiques du Mouvement national algérien (MNA) est affecté au regroupement des détenus objecteurs de conscience condamnés par les tribunaux permanent des forces armés (TPFA).
Les premiers transferts du mois d’octobre 1962
Après le départ des détenus politiques du MNA, le camp Nord du centre pénitentiaire de Mauzac ferme plusieurs mois, du 11 mai au 17 octobre 1962, pour travaux. Sa réouverture coïncide avec le premier arrivage de détenus objecteurs de conscience. Ils sont 16 le 17 octobre, 15 le 19 octobre, 26 le 24 octobre et 9 le 30 octobre… Soit 59 objecteurs au total, tous en provenance de Fresnes.
La note du 21 novembre citée en référence précise à leur sujet : « Ils se considèrent comme bien traités, et quoique non astreints au travail, presque tous ont demandé à travailler et sont employés, soit aux cuisines, soit aux travaux agricoles de la ferme de Mauzac. Les rapports entre ces détenus et la Direction sont des plus corrects. »
Groupe d’objecteurs de conscience témoins de Jéhovah détenus au centre pénitentiaire de Mauzac (Dordogne), 1963. Photo DR.
Non violents et témoins de Jéhovah
Les objecteurs de conscience du Camp de Mauzac appartiennent à deux groupes que l’administration pénitentiaire, dans sa note du 21 novembre 1962, classifie ainsi : « a) les non violents au nombre de 6, 2 catholiques et 4 extrême gauche. b) “les témoins de Jéhovah” au nombre de 53. Ces prisonniers qui ont refusé d’endosser l’habit militaire, ont été jugés par les Tribunaux Permanents des Forces Armées et ont à subir des peines de 18 mois à 2 ans de Prison. »
« Les “Témoins de Jéhovah” poursuit le rapport adressé au préfet ne cherchent pas particulièrement à obtenir un statut, mais entendent bénéficier de tous les avantages qui seraient accordés aux objecteurs de conscience. Ils ont l’espoir que grâce à l’action en cours, leur sort sera rapidement réglé, et qu’il leur sera possible de quitter bientôt le Camp de Mauzac, qu’ils n’affectionnent pas particulièrement étant privés de liberté. »
Du 17 octobre 1962 au 27 février 1971, 221 objecteurs de conscience sont écroués à Mauzac, les témoins de Jéhovah étant de loin les plus nombreux (92,3 %).
Au cours de prochains articles, je reviendrai sur la personne de Louis Lecoin, ce pacifiste et libertaire qui a, de haute lutte, arraché au Général de Gaulle l’inscription dans la loi du statut des objecteurs de conscience… ainsi que sur le camp Nord de Mauzac, centre de regroupement des objecteurs condamnés par les tribunaux militaires.