Rapport moral du commissaire de police de Pithiviers, le 20 mai 1940

Le 20 mai 1940, Maurice Huchery, commissaire de Police de Pithiviers adresse un « rapport moral » à Antoine Lemoine, préfet du Loiret. Sans y parvenir vraiment, le commissaire se veut rassurant. Les événements sont graves mais il les relativise en les comparant à ceux de 1914. Avec beaucoup de réalisme, il décrit néanmoins le climat et le contexte d’une période qui s’annonce critique, prélude à l’exode massif et traumatisant du mois de juin 1940, sur le point de s’abattre sur « le peuple du désastre »…

Rapport du commissaire de police de Pithiviers, le 20 mai 1940.

Texte intégral du rapport du commissaire :

« Les événements graves que nous traversons ont pour effet de tendre les esprits et les nerfs de la majorité de la population de Pithiviers. Comme en de pareilles circonstances déjà vécues lors de la dernière guerre, les cerveaux s’agitent et ont des visions hallucinantes, chacun est prêt à voir des espions et des suspects en toute personne inconnue, ou dont le physique semble bizarre.

Nous en avons eu de nombreux exemples au cours de la semaine écoulée, où les déclarations collectives concernant les descentes de parachutistes ennemis, et leur vérification immédiate par la gendarmerie, n’ont donné aucun résultat.

Scène d'exode en juin 1940.

Notre ville a vu le passage de nombreux réfugiés venant de la région Charleville et Rethel, et les Pithivériens en ont conclu que de graves événements étaient en cours. Le lamentable exode se continua par de nombreuses voitures amenant des réfugiés de Mézières, puis de Guise, de Landrecies, etc.

De nombreux véhicules portaient des traces de bombardement et de mitraillade, reçues au cours de la fuite, par le feu de l’ennemi.

Cet exode n’offre pas une impression aussi pénible qu’en 1914, où même dans la région parisienne nous pûmes voir la cohue entremêlée de gens et de bestiaux, fuyant l’envahisseur, mais il n’en est pas moins douloureux d’assister à un défilé où femmes, enfants, vieillards munis du strict minimum indispensable, semblent aspirer à être arrivés dans un lieu sûr.

Cet exode n’a pas été sans amener une tension d’esprit dans la population de la ville, à la suite des racontars nécessairement faits par ces réfugiés de passage ; qui, souvent ont grossi les faits existants soit pour justifier leur fuite précipitée, soit pour se donner un air héroïque (?) et s’auréoler d’une gloire illusoire, parce qu’ayant vu certaines choses qu’ici nous ne connaissons pas.

Scène de l'exode de juin 1940

De ces commentaires, dont malheureusement un grand nombre exhalent défaitisme et découragement, nous pouvons faire un classement se résumant ainsi : Évacués de l’Est : « Nous tenons bon, nous les aurons. » Évacués du Nord : « Ce n’est pas dit que nous en viendrons à bout, ils sont forts ! »

Je dois ajouter que pour l’instant, les Pithivériens n’ont pas attaché une grande importance aux propos d’oiseaux de mauvais présage, pas plus qu’il nous a été permis de mettre la main sur un de ceux-là.

Le remaniement ministériel et l’élévation du général Weygand sont les grandes vedettes de l’actualité, et font l’objet des conversations générales. On peut prévoir – bien que ces faits soient récents et qu’on n’aie pas encore eu à en apprécier les effets – que ces mesures soient bien accueillies du public.

De nombreux anciens combattants nous ont offert leur aide en vue de la constitution de la garde civique, nous pouvons le redire sans crainte d’exagération, en ville le moral est généralement bon, et la confiance en l’avenir reste entière.

Scène d'exode, juin 1940.

La récente arrivée de l’arrêté préfectoral interdisant les bals et les orchestres dans les établissements publics sera certainement bien accueillie par la population sérieuse, ainsi vont prendre fin les rixes et provocations après boire, les incartades d’une jeunesse tapageuse, qui mettait à profit l’obscurité de la ville pour y commettre des dégâts préjudiciables tant au domaine public qu’aux particuliers.

Aucun fait à signaler par suite de la présence à Pithiviers de soldats anglais, ceux-ci se confinent dans leur réserve raciale, et ne fréquentent personne ; il est vrai que cet élément britannique est de peu d’importance. »

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Source : Archives départementales du Loiret, cote 4 M 38.
Crédit photos : Coll. Jean-Louis Audebert.

2 Commentaires de l'article “Rapport moral du commissaire de police de Pithiviers, le 20 mai 1940”

  1. Feldman Jacqueline dit :

    Pourrais-je utiliser cette photo pour une brochure pédagogique ?

  2. Feldman Jacqueline dit :

    Merci pour cette archive très intéressante.

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