« Note sur la défense de la région parisienne contre l’ennemi intérieur en cas de guerre »
Par Jacky Tronel | vendredi 21 janvier 2011 | Catégorie : Dernières parutions, VARIA | 1 CommentaireUne note du général Voiriot sur « la défense de la Région Parisienne contre l’ennemi intérieur en temps de guerre » nous renseigne sur la position de l’armée française face au problème de « la subversion communiste ». Parmi les mesures préventives préconisées par Voiriot figure
la mise en place d’un « appareil judiciaire militaire comprenant l’organisation d’une juridiction spéciale rapide dont l’élément avancé fonctionnerait
à la prison du Cherche-Midi, située à l’intérieur d’un « îlot central » faisant office de « véritable citadelle de l’agglomération parisienne ».
La note du général Voiriot n’est pas datée, mais elle est accompagnée de la copie d’une lettre de novembre 1932 que le général Prételat, commandant la région militaire de Paris, adresse au ministre de la Guerre, Joseph Paul-Boncour. Nous pouvons déduire de ce courrier que la note du général Voiriot a été inspirée par le maréchal Pétain qui, percevant « la collusion possible dans l’agglomération parisienne, de l’émeute et des bombardements aériens », estime utile d’établir « un synchronisme entre la mise sur pied des organes destinés à lutter contre la révolution et la défense aérienne du territoire » et recommande de soumettre cette étude aux ministères de la Guerre et de l’Intérieur.
L’ennemi intérieur
Selon l’historien Georges Vidal, auteur de La Grande Illusion ? – Le Parti communiste français et la Défense nationale à l’époque du Front populaire (Presses Universitaires de Lyon, 2006), ce document est organisé « autour de quatre grandes affirmations : le PCF possède une double nature, l’une politique et publique, l’autre militaire et secrète ; il dispose dans la région parisienne d’un redoutable dispositif insurrectionnel ; l’armée constitue le seul instrument efficace de la contre-révolution ; des unités spécialisées dans le combat de rue doivent être créées d’urgence sur “ le théâtre d’opération parisien ” ».
La stratégie de défense de la région parisienne proposée par le général Voiriot envisage à la fois des mesures préventives et des mesures répressives. Parmi les sept mesures préventives à « caractère policier » citées dans le rapport, retenons les trois premières : « – saisie des meneurs et agitateurs connus, et leur regroupement à l’extérieur comme otages – expulsion des étrangers et des coloniaux indésirables de toutes nationalités, suivant des listes pré-établies – évacuation des repris de justice, des non domiciliés et des pensionnaires des prisons » et les deux dernières : « – transfert en province […] des organes militaires (et même gouvernementaux) qui ne sont pas nécessaires au fonctionnement du Gouvernement de guerre et à la défense intérieure et extérieure de la Région parisienne – organisation de l’appareil judiciaire militaire et d’une juridiction spéciale rapide dont l’élément avancé fonctionnera à la prison du Cherche-Midi, fort heureusement située à l’intérieur de l’îlot central ».
Pour insister sur l’avantage de cette disposition, l’auteur du rapport ajoute, en bas de page : « En 1871, à la suite de la Commune, il y eut plus de 35.000 justiciables des Conseils de Guerre, on dut créer 24 tribunaux militaires qui fonctionnèrent pendant 4 ans ». Tout au long des soixante pages de la note Voiriot, la comparaison avec les événements de la Commune est établie, en guise de référence historique et de justificatifion des mesures proposées.
Source : Service Historique de la Défense, Département de l’Armée de Terre, Vincennes, cote 9 N 366.
L’îlot central
« L’îlot central », décrit par Voiriot comme une « véritable citadelle de l’agglomération parisienne », réunit « les ministères de Guerre, l’Hôtel de Ville, la Banque de France, le Central des PTT, de la DAT, le poste de TSF de la Tour Eiffel, la Manutention de Tokio, la Prison du Cherche-Midi… avec en son milieu, un réduit comprenant les Invalides et l’École militaire, à la fois siège du Commandement, de ses réserves et de l’ultime défense ».
La « Manutention de Tokio » citée parmi les bâtiments et institutions devant faire partie de l’îlot central désigne les bâtiments des services de la Manutention militaire situés dans le XVIe arrondissement de Paris, quai Debilly (du nom du général de Billy, mort à Iéna en 1806), voie baptisée avenue de Tokio (graphie du début du XXe) de 1918 à 1945, puis avenue de New York à partir du 26 février 1945. Le Palais de Tokyo bâti pour l’exposition de 1937, actuellement centre d’art contemporain, occupe les lieux et ouvre sur l’arrière, au 13 avenue du Président Wilson. Au milieu du XIXe, la manutention militaire était située 38 rue du Cherche-Midi. C’est le déménagement de cette manutention dans des bâtiments neufs, situés quai de Billy, qui a permis la construction de la prison militaire de Paris.
L’« îlot annexe » correspond à la place de Vincennes, à laquelle s’ajoutent les forts et ouvrages de première et seconde lignes « ainsi que les établissements militaires susceptibles d’une bonne défense. Un couloir de circulation [doit assurer] les relations de l’îlot central avec l’extérieur par Versailles ».
La doctrine du général Voiriot
D’après l’analyse de Georges Vidal, les grands principes autour desquels sont forgées les conceptions de la guerre contre-révolutionnaire du général Voiriot sont les suivants :
« – la guerre, et plus encore les difficultés militaires, constituent le contexte optimum pour une prise du pouvoir par les communistes. […] ;
– depuis la Première Guerre mondiale, la collusion entre la subversion et l’Allemagne est évidente, cette complicité étant surtout dirigée contre la France ;
– l’Histoire a prouvé que les ouvriers parisiens ont tendance à suivre spontanément les mots d’ordre insurrectionnels. Cet atavisme représente une menace majeure pour la sécurité du pays ;
– la guerre moderne se caractérise désormais par l’existence a priori d’un front intérieur qui exige d’être tenu selon des dispositions spécifiques avec des troupes particulièrement sûres, mobiles et équipées de matériels modernes ;
– l’armée est le seul véritable outil de la contre-révolution. En dehors d’elle, aucune force sociale, aucune institution n’est en mesure de faire obstacle à une prise du pouvoir par les communistes. »
La paranoïa du complot communiste entretenue par des rumeurs de toutes natures et de toutes origines explique l’empressement avec lequel l’autorité militaire s’est souciée d’évacuer la prison militaire de Paris au sud de la Loire, le 10 juin 1940, à l’approche des Allemands.
La forte population de prisonniers politiques, majoritairement communistes, constituait une « menace insurrectionnelle » que le gouvernement de la Troisième République s’imaginait ne pouvoir ignorer…
Merci pour cet article tout à fait passionnant !