Le décret du 16 mars 1790 abolissant les lettres de cachet

Décret du 16 mars 1790 au sujet de l'abolition des lettres de cachet et des conditions de détention dans les prisons

« Les lettres de cachet, érigées dès 1789 en symbole honni de l’Ancien Régime, ont connu une lente agonie, marquée par les hésitations et le doute. Alors même que cette incarnation de la monarchie absolue et de l’arbitraire royal faisait apparemment l’unanimité contre elle, les députés de l’Assemblée nationale constituante ont attendu mars 1790 avant d’enfin en prononcer l’abolition. La crainte des conséquences d’une telle mesure retient en effet les députés de l’Assemblée qui nomment en novembre 1789 un Comité des lettres de cachet chargé de préparer l’action du législateur et d’enquêter sur cette masse obscure, inquiétante et hétérogène de prisonniers du roi et correctionnaires, encore détenue dans des maisons de force en vertu de lettres de cachet. Les débats puis le texte du décret final traduisent la prudence de députés partagés entre le désir de rendre à la lumière ces “ victimes de l’oppression ” et la peur du désordre qui pourrait s’ensuivre. »

Le texte ci-dessus est le résumé de l’article de Jeanne-Marie Jandeaux intitulé La révolution face aux « victimes du pouvoir arbitraire » : l’abolition des lettres de cachet et ses conséquences, publié dans « Les Annales historiques de la Révolution française », 2012/2, p. 33-60 [lien].

Ci-dessous l’intégral du décret du 16 mars 1790 :

« LETTRES – PATENTES DU ROI, sur un décret de l’Assemblée nationale, concernant les personnes détenues en vertu d’ordres particuliers.
Données à Paris, le 26 mars 1790.

LOUIS, par la grâce de Dieu, et par la Loi constitutionnelle de l’État, Roi des Français : A tous ceux qui ces présentes lettres verront ; Salut.

Louis XVI à la Tour du Temple, Jean-François Garneray, 1792.

Louis XVI à la Tour du Temple, Jean-François Garneray, 1792.

L’Assemblée nationale ayant, par diverses considérations énoncées dans le préambule de son décret du 16 de ce mois, décrété les dispositions suivantes, Nous en avons ordonné et ordonnons l’exécution, ainsi qu’il suit :

ARTICLE PREMIER

Dans l’espace de six semaines après la publication des présentes, toutes les personnes détenues dans les châteaux, maisons religieuses, maisons de force, maisons de police, ou autres prisons quelconques, par lettres de cachet, ou par ordre des agents du pouvoir exécutif, à moins qu’elles ne soient légalement condamnées ou décrétées de prise de corps, qu’il n’y ait eu plainte en justice portée contre elles, pour raison de crimes emportant peine afflictive, ou que leurs père, mère, aïeul ou aïeulle, ou autre parents réunis, n’ayant sollicité et obtenu leur détention, d’après des mémoires et demandes appuyés sur des faits très graves, ou enfin qu’elles ne soient renfermées pour cause de folie, seront remises en liberté.

II.

N’entendons comprendre dans la disposition du présent article, les mendiants et vagabonds enfermés à temps, en vertu de sentence d’un juge, ou sur l’ordre des officiers de police et autres ayant caractère pour l’exécution des règlements relatifs à la mendicité et à la sûreté publique, à l’égard desquels il n’est rien innové quant à présent.

III.

Ceux qui, sans avoir été jugés en dernier ressort, auraient été condamnés en première instance, ou seulement décrétés de prise de corps, comme prévenus de crimes capitaux, seront conduits dans les prisons des tribunaux désignés par la Loi, pour y recevoir leur jugement définitif.

IV.

A l’égard des personnes non décrétées, contre lesquelles il y aura une plainte rendue en justice, d’après une procédure tendant à constater un corps de délit, elles seront également jugées, mais dans le cas seulement où elles le demanderaient ; et alors elles ne pourront sortir de prison qu’en vertu d’une sentence d’élargissement. Dans le cas où elles renonceraient à se faire juger, l’ordre de leur détention sera exécuté pour le temps qui en reste à courir ; de manière toutefois que sa durée n’excède pas six années.

V.

Les prisonniers qui devront être jugés en vertu des deux articles précédents, et qui seront condamnés comme coupables de crimes, ne pourront subir une peine plus sévère que quinze années de prison, excepté dans les cas d’assassinat, de poison ou d’incendie, où la détention à perpétuité pourra être prononcée. Mais dans ces cas mêmes, les juges ne pourront prononcer la peine de mort ni celle des galères perpétuelles.

Dans les quinze années de prisons seront comptées celles que les prisonniers ont déjà passées dans les maisons où ils sont détenus.

VI.

Quant à ceux qui ont été enfermés sur la demande de leur famille, sans qu’aucun corps de délit ait été constaté juridiquement, sans même qu’il y ait eu plainte portée contre eux en justice, ils obtiendront leur liberté, si dans le délai de trois mois aucune demande n’est présentée aux tribunaux, pour raison des cas à eux imputés.

VII.

Les prisonniers qui ont été légalement condamnés à une peine afflictive, autre toutefois que la mort, les galères perpétuelles, ou le bannissement à vie, et qui n’ayant point obtenu de lettres de commutation de peine, se trouvent renfermés en vertu d’un ordre illégal, garderont prison pendant le temps fixé par l’ordre de leur détention, à moins qu’ils ne demandent eux-mêmes à subir la peine à laquelle ils avaient été condamnés par jugement en dernier ressort ; et cependant aucune détention ne pourra jamais, dans le cas exprimé au premier article, excéder le terme de dix années, y compris le temps qui s’est déjà écoulé depuis l’exécution de l’ordre illégal.

VIII.

Ceux qui seront déchargés d’accusation, recouvreront sur le champ leur liberté, sans qu’il soit besoin d’aucun ordre nouveau, et sans qu’il puisse être permis de les retenir sous quelque prétexte que ce soit.

IX.

Les personnes détenues pour cause de démence seront, pendant l’espace de trois mois, à compter du jour de la publication des présentes, à la diligence de nos procureurs, interrogées par les juges dans les formes usitées, et en vertu de leurs ordonnances, visitées par les médecins, qui, sous la surveillance des directoires des districts, s’expliqueront sur la véritable situation des malades, afin que, d’après la Sentence qui aura statué sur leur état, ils soient élargis ou soignés dans les hôpitaux qui seront indiqués à cet effet.

Porte de la prison de la Reine à la Conciergerie, 1793.

Porte de la prison de la Reine à la Conciergerie, 1793.

X.

Les ordres arbitraires emportant l’exil, et tous les autres de la même nature, ainsi que toutes les lettres de cachet, sont abolis, et il n’en sera plus donné à l’avenir. Ceux qui en sont frappés sont libres de se transporter partout où ils jugeront à propos.

XI.

Les ministres seront tenus de donner aux citoyens ci-devant enfermés ou exilés, la communication des mémoires et instructions sur lesquels auront été décernés contre eux les ordres illégaux qui cessent par l’effet des présentes.

XII.

Les mineurs seront remis ou renvoyés à leurs pères et mères, tuteurs ou curateurs, au moment de leur sortie de prison.

Les assemblées de district pourvoiront à ce que les religieuses ou autres personnes qui, à raison de leur sexe, de leur âge, ou de leurs infirmités, ne pourraient se rendre sans dépense à leur domicile, ou auprès de leurs parents, reçoivent en avance, sur les deniers appartenant au au régime de la maison où ils étaient renfermés, ou sur les caisse publiques du district, la somme qui sera jugée nécessaire et indispensable pour leur voyage, sauf à répéter ladite somme sur le couvent dont les religieuses étaient professes, ou sur les familles, ou sur les fonds du domaine.

XIII.

Dans le délai de trois mois, il sera dressé par les commandants de chaque fort ou prisons d’Etat, supérieurs de maisons de force, ou maisons religieuses, et par tous détenteurs de prisonniers, en vertu d’ordre arbitraires, un état de ceux qui auront été élargis, interrogés et visités, renvoyés par devant les tribunaux, ou qui garderont encore prison en vertu des présentes : ledit état sera dressé sans frais et certifié.

XV.

Cet état sera déposé aux archives du district, et il en sera envoyé des doubles en forme, signés du président et du secrétaire, aux archives du département, d’où ils seront adressés à nos secrétaires d’État, pour être communiqués à l’Assemblée nationale.

XVI.

Rendons les commandants des prisons d’État, les supérieurs des maisons de force et maisons religieuses, et tous les détenteurs de prisonniers enfermés par ordre illégal, responsables, chacun en ce qui les touche, de l’exécution des présentes, et nous chargeons spécialement les tribunaux de justice, les assemblées administratives de départements et districts, et les municipalités, d’y tenir la main, chacun en ce qui les concerne.

Mandons et ordonnons à tous les tribunaux, corps administratifs et municipalités, que les présentes ils fassent transcrire sur leurs registres, lire, publier et afficher dans leurs ressorts et départements respectifs, et exécuter comme Loi du Royaume. En foi de quoi Nous avons signé et fait contre-signer ces dites présentes, auxquelles nous avons fait apposer le sceau de l’État.

A Paris, le vingt-sixième jour du mois de mars, l’an de grâce mil sept cent quatre vingt-dix, et de notre règne le seizième.

Signé LOUIS. Et plus bas, Par le Roi, La Tour du Pin, et scellées du Sceau de l’État.

A Grenoble, de l’Imprimerie Royale, 1790. »

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