« Ouvrir une école, c’est fermer une prison », citation revisitée par le Pèlerin du 28 avril 1929
Par Jacky Tronel | mardi 14 août 2012 | Catégorie : Dernières parutions, VARIA | 4 commentairesLe 28 avril 1929, un demi-siècle après la création de l’école républicaine et un quart de siècle après la loi de séparation des Églises et de l’État, un article revanchard du journal Le Pèlerin établit un lien de causalité entre la suppression des écoles religieuses et la montée de la délinquance juvénile, rendant nécessaire l’ouverture de nouvelles prisons. Sont fustigés « les imbéciles laïcisateurs » et sont aussi montrés du doigt « les 70 000 instituteurs cégétistes et 12 000 communistes »…
La célèbre formule « Ouvrez une école et vous fermerez une prison », attribuée à Victor Hugo, est également mise à mal…
Pour accéder à la page entière du journal Le Pèlerin n° 2718 du 28 avril 1929, cliquez sur la photo ci-dessus…
Texte in extenso de l’article publié dans le journal Le Pèlerin
Victor Hugo – ou un autre – a dit : « Chaque fois qu’on ouvre une école, on ferme une prison ».
Ce sont de ces paroles qui provoquent infailliblement de chaleureux applaudissements, mais qui n’en sont pas plus vraies pour cela. Au temps où les écoles étaient encore chrétiennes – au temps de Victor Hugo – peut-être pouvait-on le soutenir. Aujourd’hui, nul ne l’oserait.
Le nombre des écoles a augmenté, mais celui des prisons n’a pas diminué. Loin de là ! Quand nos imbéciles laïcisateurs ont fermé les couvents, asiles de toutes les vertus, ils ont dû bien des fois les transformer en prisons, parce que ces prisons étaient devenues nécessaires à cause…, non, malgré la multiplication des écoles…
Faudrait-il donc conclure que « chaque fois qu’on ferme un couvent, on ouvre une prison » ?
Classe de garçons de l’école d’Hellemmes (Nord), © Archives départementales du Nord, 31 Fi 196, fonds Marchand. Source
… C’est que ces écoles étaient bâties sur des principes nouveaux : « L’enfant pratique naturellement toutes les vertus. Il n’a besoin ni de correction ni de morale religieuse. Respectons sa… liberté de conscience ! Un certificat d’études primaires, avec un peu d’instruction civique, fera de lui un parfait honnête homme. »
Les résultats, on les voit aujourd’hui. Les observateurs sont effrayés par les progrès de la criminalité juvénile. Nous n’en sommes plus à l’âge des bons vieux bandits, rudes gaillards qui rôdaient de caverne en caverne. Nous en sommes à l’heure du cynique apache de quinze ans qui « surine ou refroidit » le passant dans la rue…
La rentière de Vaucresson fut assassinée sauvagement par deux vauriens de quatorze et de seize ans. Huit jours avant, une bande d’apaches se ruaient sur une femme à Clichy.
Croyez-vous, lecteurs, que cette « voyoucratie » montante nous mène au bonheur et à la paix sociale ?
Où sont les responsables, maintenant ?
Car je me refuse à faire peser sur ces pauvres garnements toute la responsabilité de leurs crimes précoces… Sciemment et consciemment, les législateurs ont refusé d’éduquer ces enfants, de leur donner une morale pour dresser leur conscience et barrer la route à leurs instincts mauvais. Il n’y a pour eux ni Dieu ni devoir ; il ne reste donc plus que l’appel du plaisir et de ce qui donne la clé du plaisir, l’argent… Le reste va de soi.
Le texte de certaines lois et de certains décrets est écrit en lettres de sang…
Et pendant ce temps, les Français payent environ deux milliards pour faire instruire leurs enfants par 70 000 instituteurs cégétistes et 12 000 communistes. En fait d’éducation morale, ces maîtres en donnent-ils pour l’argent qu’ils reçoivent ? (Heureusement, il y en a d’autres, mais trop peu nombreux).
Et pendant ce temps, le gouvernement se proclame laïque à jamais… Des parents, même catholiques, s’endorment et laissent empoisonner leurs enfants…
Sur l’origine de la formule attribuée à Victor Hugo…
« Ouvrir une école, c’est fermer une prison », cette formule devenue slogan a suscité tout au long du XXe siècle l’interrogation des hugoliens, et pour cause, car elle ne se trouve nulle part dans l’œuvre de Victor Hugo. Citée sous diverses formes, а l’infinitif, а l’impératif au présent de l’indicatif, avec des variantes, elle est la plupart du temps attribuée à Hugo par ses partisans comme par ses adversaires, son caractère abrupt, voire simpliste, prêtant le flanc à la critique de tendance réactionnaire.
Or, plus on remonte dans le temps, plus les sources de cette formule diffèrent : le ministre de l’Instruction publique Victor Duruy en 1865, le médiéviste et député des Hautes-Pyrénées Achille Jubinal en 1868, une expression а la mode et sans auteur particulier en 1869, l’écrivain et homme politique britannique Thomas Macaulay en 1886.
En réalité, la solution de ce problème se trouve sans doute dans le Grand dictionnaire universel du XIXe siècle de Pierre Larousse, qui, aux tomes VII (article « ECOLE », 1870) et XIII (article « PRISON », 1875), donne cette citation de Louis Jourdan : « Ouvrir une école aujourd’hui, c’est fermer une prison dans vingt ans. » Larousse n’étant guère avare en citations hugoliennes, il semble bien que Louis-Charles Jourdan (1810-1881), rédacteur au Siècle, soit l’auteur véritable de la formule.
Extrait d’une communication d’Armand Erchadi au Groupe Hugo, Université Paris 7, le 18 décembre 2010. Source
Bravo! Vous avez fait des recherches au lieu de répéter servilement « Victor Hugo a dit… » J’ai entendu cette formule toute ma vie et je l’ai même discutée en rédaction. Récemment, j’ai voulu la chercher dans l’œuvre de Hugo. Tout le monde la répète sur l’internet et tous prétendent qu’elle se trouve dans Claude Gueux, roman que j’ai lu attentivement sans la trouver. Les spécialistes ne l’ont pas trouvée non plus. Tout le monde répète ce que dit tout le monde sans jamais remonter aux sources.
Merci pour cette mise au point. J’étais le premier à le répéter bêtement, prenant la chose pour acquise.
Bravo pour votre travail de recherche.
Bonjour,
Je crois que la citation « Ouvrez une école et vous fermerez une prison » est à Concepción Arenal (1820-93), une auteur et féministe espagnole.
« Abrid escuelas y se cerrarán cárceles », Concepción Arenal.
Bonjour,
Merci de réouvrir et de relancer le débat !
En effet, il n’est pas du tout exclu que l’auteur soit bien Concepción Arenal.