Noël 1947 au centre pénitentiaire de Mauzac… Poème de Camus :

Chemin de ronde du centre pénitentiaire de Mauzac, 1953, Archives départementales de la Dordogne, 1141 W 239

Originaire de Fécamp, Camus est écroué peu après la Libération. Il est sur le point de passer son troisième Noël en Dordogne, derrière les barbelés du centre pénitentiaire de Mauzac, ancienne prison militaire. Depuis quelques mois déjà, il a entrepris de consigner ses pensées sous forme de poèmes dans un carnet qu’il destine à ses parents, Madeleine et Gaston Camus, à sa femme, Madeleine Camus et à leurs enfants, Janine et Yves. « Noël » est l’un de ces poèmes. Ce texte, d’une grande candeur mêlée de nostalgie, témoigne de la solitude du détenu qui se réfugie dans les souvenirs de son enfance…

Poème de Noël rédigé par Camus, détenu au Centre pénitentiaire de Mauzac en 1947

NOËL

O ! Troisième Noël, Troisème nouvel AN

Où je me trouve seul avec mes camarades !

Au fond de nos prisons, notre cœur est malade

Si loin de nos Parents, nos Femmes, nos Enfants !

Qui leur dira la peine et la grande tristesse

Nous assaillant soudain, causes de la détresse

Où nous nous retrouvons le soir, si délaissés,

Alors que notre esprit pense aux beaux jours passés !

O ! Veille de Noël ! Jour où tout se prépare,

Où tous sont affairés, courant tout enfiévrés,

S’empressent, recherchent le bijou, l’objet rare,

Le jouet, la friandise et le sapin givré !

Devant la cheminée, s’alignent les souliers

Car, tous, petits et grands, ont accompli le rite ;

Ils savent que Jésus donne à qui sollicite

D’un cœur pur et croyant, mais humble ainsi qu’il sied !

Et quand sonne minuit, des flèches élancées,

Le carillon joyeux s’envole, tinte et meurt

Dans le ciel étoilé ; il nous réjouit le cœur :

La divine naissance, à tous, est annoncée !

De toutes les maisons sortent de noires ombres ;

Sur la neige, elles vont en longues files sombres ;

Toutes vont assister à l’Office Divin

Où l’on peut consommer l’inégalable pain !

Poème de Noël rédigé par Camus, détenu au Centre pénitentiaire de Mauzac en 1947

Des cierges, la lumière embrase les vitraux ;

L’orgue, les instruments et les chants les plus beaux,

Le Prêtre à son Autel, la foule recueillie,

Tous prie le doux Jésus et tout le glorifie !

Dès l’Ite Missa est, on regagne le nid

Bien chaud et bien douillet où toute la famille,

Entourant les Parents, sourit et se réjouit :

Pendant le réveillon, rires et chants pétillent.

Aussi, pendant la fête, adieu tristes pensées

Et soucis importuns, la joie est arrivée :

Noël efface tout et le Divin Enfant

Nous fait à tous des cœurs très ardents, très aimants !

Et, dans la grande salle, un sapin magnifique

De mille feux scintille, étendant ses rameaux

Surchargés de bougies et de nombreux cadeaux,

Étonnant les enfants d’un spectacle magique !

Dans son intimité, quelle fête bien belle !

Douceur et amitié, bonheur et joie s’y mêlent ;

Pour moi, je suis heureux, la fêtant avec Vous :

Famille et bons amis suffisant pour mon goût !

Ces trois Noëls passés, pour moi, n’ont pas d’histoire,

Mais les Noëls d’antan me viennent en mémoire,

Le prochain suffira pour les revivre tous

Et j’ai l’espoir charmant de le vivre avec Vous !

La consultation du registre d’écrou de la prison de Mauzac (conservé aux Archives départementales de la Dordogne, cote 1826 W 147) permet d’en savoir davantage sur CAMUS, prénommé Jean, Théophile, Eugène. Il est né le 9 septembre 1896 à Avesnes-en-Bray (Seine-Inférieure, actuelle Seine-Maritime), fils de Gaston et de Madeleine LÉGER, domicilié à Versailles et exerçant la profession de chef de bureau du contentieux général. Bénéficiant d’une mise en liberté conditionnelle délivrée le 23 octobre 1948, il quitte Mauzac ce même jour et se retire à Fécamp.

Ce recueil de pensées, poèmes, chants et dessins… était destiné aux proches de Jean Camus. Or ils ne l’ont jamais vu. Il est probable que le carnet a été confisqué par le service de la fouille de la prison et n’a pas été restitué à Camus lors de sa levée d’écrou. 65 ans plus tard, je le remettrai volontiers à l’un des siens s’il se manifestait…

Les quatre pages du poème sont accessibles ici : Page 1Page 2Page 3Page 4

Photo : Chemin de ronde du centre pénitentiaire de Mauzac longeant le Drayaux, 1953.
Source : Archives départementales de la Dordogne, 1141 W 239.

2 Commentaires de l'article “Noël 1947 au centre pénitentiaire de Mauzac… Poème de Camus :”

  1. Sailly dit :

    Bonsoir…….
    Puis-je mettre cette page sur mon blog……
    Merci d’avance et bonne soirée

  2. Jacky Tronel dit :

    Bonsoir,
    La réponse est oui, à la condition d’en citer la provenance, de la façon suivante :
    Source : Blog Histoire pénitentiaire et Justice militaire © Jacky Tronel.
    … et d’en indiquer le lien : http://prisons-cherche-midi-mauzac.com/recherches/poeme-de-noel-ecrit-au-centre-penitentiaire-de-mauzac-en-decembre-1947-10597
    Merci de me communiquer ensuite l’adresse de votre blog…
    Cordialement,
    JT

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