L’inconnu de la prison du Cherche-Midi fusillé au Mont-Valérien
Par Jacky Tronel | vendredi 28 octobre 2011 | Catégorie : Dernières parutions, RECHERCHES | 5 commentairesAu soir du 14 décembre 1941, dans une cellule de la prison militaire du Cherche-Midi, un condamné à mort rédige une lettre d’adieu dans laquelle il fait connaître aux siens ses dernières volontés. Ils seront des dizaines comme lui, fusillés le lendemain matin comme otages, au Mont-Valérien. Cette lettre, récemment exhumée, porte pour seule signature la lettre « R », initiale vraisemblable du prénom. Qui est cet homme ? Chronique d’une recherche aboutie…
Texte intégral de la lettre du fusillé « R »
Prison du Cherche-Midi, Paris le 14/12/41, 10 h.30 du soir.
Chères sœurs, Chère Femme et Enfants, chère Maman, Beaux-frères, Belles-sœurs, Neveux et nièces, Parents et amis, Tous bien-aimés.
Il m’est pénible et à la fois nécessaire de te charger de mes dernières volontés. La seule lettre que j’écris ce soir est pour vous tous. Prends courage pour supporter cette nouvelle épreuve. Mes recommandations sont courtes et vous sont demandées bien humblement. 1° de m’oublier, de penser à mes enfants qui ne sont pas responsables. 2° de prendre avec Henri la liquidation de l’atelier et de payer ce que je dois.
Quant à Berthe une épreuve s’impose et je lui demande de prendre courageusement sa tâche et de la mener à bien, ma petite Colette et Roland la seconderont, j’en suis certain.
Nous sommes prévenus depuis ½ heure que notre exécution aura lieu à l’aube. J’ignore les motifs de ces mesures, mais soyez persuadés que j’attends cette heure avec un courage que je m’ignorais, les yeux secs, la conscience saine, et demain je tomberai vaillamment. Je ne regretterai la vie que pour vous tous et ne pouvant vous serrer comme je vous aime, je te charge de le faire pour moi en ayant soin de ménager ma pauvre mère et mes enfants. Assez d’innocentes victimes qu’un simple hasard condamne.
Je vous quitte donc avec mes dernières pensées et mes plus tendres baisers. L’heure est là ; j’ai passé une bonne nuit. Adieu à tous. R.
Ce que la lettre nous révèle sur son auteur…
Cette lettre-testament témoigne d’une remarquable dignité. L’auteur fait montre d’une grande force de caractère. C’est un lettré. Son expression est claire, son discours limpide, sa maîtrise de l’écriture est parfaite, pas une faute d’orthographe. On devine que « R » n’est pas croyant, aucune allusion à un au-delà… pas de message patriotique non plus, ni de trace formelle d’un quelconque engagement politique, même si en déclarant que ses enfants « ne sont pas responsables », « R » semble vouloir endosser une part de responsabilité dans l’épreuve que lui et ses proches vont subir. Le ton est mesuré, aucune amertume ne transparaît, si ce n’est dans cette phrase : « Assez d’innocentes victimes qu’un simple hasard condamne. » La conclusion de la lettre exprime une paisible résignation ainsi que, vraisemblablement, le souci d’épargner ses proches et d’adoucir leur peine.
S’il est impossible de déceler l’identité de l’exécuteur testamentaire à qui le courrier est adressé, on devine que Berthe est l’épouse, tandis que Colette et Roland sont les enfants du couple.
Sur les traces de « R »
La lettre ayant été écrite le 14/12/1941, la veille au soir de l’exécution, c’est donc parmi les otages fusillés le 15 décembre 1941 qu’il fallait chercher « R ». En région parisienne, les condamnés à mort écroués à la prison allemande du Cherche-Midi sont pour la plupart fusillés au fort du Mont-Valérien (commune de Suresnes). Je me suis donc tourné vers la base de données des personnes fusillées au Mont-Valérien au cours de la Seconde Guerre mondiale qui recense les 1010 victimes dont les noms sont inscrits sur le monument commémoratif édifié au Mont-Valérien. Le webmestre contacté a bien voulu m’adresser la liste des 69 fusillés du 15 décembre 1941. Le seul dont le prénom commence par la lettre R se nomme BERNE Roger Joseph Eugène, né le 21 août 1900, dans le Doubs.
L’étape suivante consistait à demander à la mairie de Suresnes l’extrait d’acte de décès de Roger Berne. L’officier d’État-civil n’ayant rien trouvé à la date du 15 décembre, jour du décès, ni dans les mois suivants… la recherche a bien failli s’arrêter là. Un peu d’insistance de mon côté et beaucoup de gentillesse et de bonne volonté de sa part ont finalement permis de mettre la main sur un jugement rendu par le tribunal civil de la Seine en date du 13 mars 1942, tenant lieu d’acte de décès, qui « dit et déclare que le quinze décembre mil neuf cent quarante et un, à dix heures, dix minutes, est décédé à Suresnes, Seine, Roger Joseph Eugène BERNE domicilié à Pont de Roide (Doubs) né à Pontarlier (Doubs) le vingt et un août mil neuf cent, fils de Just Emile BERNE et de Marie GARNICHET son épouse, menuisier, époux de Berthe Jeanne VIENOT. » Nul doute, Roger Berne est bien le signataire de la lettre-testament écrite le 14 décembre 1941 au soir, dans une cellule de la prison allemande du Cherche-Midi.
Roger Berne, l’inconnu de la prison du Cherche-Midi fusillé au Mont-Valérien
Une recherche sur internet nous a permis de connaître les raisons de l’arrestation de Roger Berne, avec les conséquences tragiques que l’ont sait. Le site administré par l’historienne Claudine Cardon-Hamet, Déportés politiques à Auschwitz, le convoi du 6 juillet 18942, nous éclaire…
Un rapport du commissaire de la police spéciale au sous-Préfet de Montbéliard signale, le 8 février 1941, « l’arrestation de 3 anciens communistes pour infraction au décret du 26 septembre 1939. Ils ont été écroués ». Ce sont René Bordy, Paul Feuvrier et Roger Berne. Ils sont conduits non pas au camp allemand de Royallieu, à Compiègne (Oise), comme pourrait le laisser penser le message que les trois amis écrivent à leurs proches depuis la gare du Nord, le 7 juillet 1941, à 10 h du matin : « Nous nous dirigeons sur Compiègne. Nous ne savons pas au juste pourquoi, ni pour combien de temps. Roger, Paul et René », mais au camp du Fort de Romainville, situé à l’Est de Paris. Désigné comme otage, Roger Berne est transféré à la prison du Cherche-Midi avant d’être exécuté, le 15 décembre 1941, au Mont Valérien. Paul Feuvrier et René Bordy sont déportés à Auschwitz dans le convoi du 6 juillet 1942. Paul Feuvrier meurt en déportation le 10 août 1942.
C’est donc pour activité communiste que Roger Berne est arrêté, le 8 février 1941. Détenu au Fort de Romainville, la malchance a voulu qu’il se retrouve sur une liste d’otages désignés pour être fusillés « en mesures de représailles pour les attentats commis contre des membres de l’Armée allemande et ses biens à Paris ». Parmi les 69 « éléments judéo-bolcheviques » fusillés ce 15 décembre 1941 au Mont-Valérien figurent 53 Juifs et 16 communistes, dont Roger Berne.
Sources photos : Comité Franz Stock, SGA/DMPA/Mémoire des hommes, Carolie Kelsch.
Remerciements à Christophe Dupont, webmestre de Mémoire des Hommes au Service Général pour l’Administration de la Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives, Ministère de la Défense, à Franck Segrétain, chargé d’études Hauts lieux de mémoire, Bureau des lieux de mémoire et des nécropoles, à l’officier de l’État-civil de la Mairie de Suresnes qui a fait la recherche en vue de produire l’extrait d’acte de décès, ainsi qu’à Carolie Kelsch qui m’a confié la lettre-testament de Roger Berne.
Je suis un des petits enfants de Roger Berne. En ce 15 décembre 2011, 70 ans après sa mort, j’ai une pensée pour ce grand père que je n’ai pas connu et que ma mère a tellement pleuré.
Je connais cette belle et émouvante lettre que je relis de temps à autre et dont le style et la noblesse me procurent beaucoup de fierté. Je n’ai en ma possession qu’un double réécrit par un membre de la famille. Je suis heureux de trouver copie de l’original avec l’écriture de mon grand père sur votre site.
Merci également pour le commentaire. Pour information mon grand-père était menuisier et habitait à Pont de Roide dans le Doubs quand il a été arrêté.
Je suis le frère de Gérard. Tout d’abord, je tiens à vous remercier, Monsieur, pour les recherches faites sur la lettre de notre grand-père, celle qui nous attriste toujours autant. Grace à vous, nous en savons un peu plus et nous regrettons tellement de ne pas l’avoir connu.
J’ai hérité de l’alliance de mon grand-père, je l’ai porté fièrement et je viens de la transmettre à mon fils pour son mariage. Nous nous raccrochons parfois à peu de choses mais ce que vous avez fait, Monsieur, est beaucoup. Mille fois merci, pour lui, pour notre famille et notre devoir de mémoire.
Je suis le fils d’Alain et je suis aussi très ému par cette histoire dont je ne connaissais pas tous les détails. A travers cette fascinante lettre, je découvre un arrière grand-père humble et courageux qui a su rester digne jusqu’au bout… et j’en suis profondément bouleversé. Roger Berne est, à mes yeux, un héros dont nous pouvons être fier et dont il faut continuer d’honorer la mémoire. Je me joins donc à mon père, à mon oncle et au reste de la famille pour vous remercier du travail remarquable que vous faites ici : Merci.
Je suis le petit-petit fils de Roger BERNE.
L’histoire m’intéresse beaucoup et mon grand père Roland BERNE m’a souvent parlé de cette période tragique, il avait a peu près mon âge lorsqu’ils ont emmené son père !
Il aurait aimé connaître tous les détails que vous avez découvert, pour cela un grand merci.
Bonjour,
Ce message s’adresse d’abord aux petits-enfants et arrière petits-enfants de Roger Berne ainsi qu’à Carolie Kelsh qui possède sa dernière lettre…
Actuellement, la Direction de la mémoire, du patrimoine et des archives travaille sur la mise en ligne des fiches biographiques des fusillés du Mont Valérien. Ils sont à la recherche de tout document sur Roger BERNE, notamment un portrait photo ainsi que la dernière lettre écrite de prison. Un représentant du Bureau des lieux de mémoire et des nécropoles m’a contacté à ce propos.
Merci de me faire parvenir photo(s) et/ou document(s) que je leur transmettrai : tronel.jacky@wanadoo.fr – 06 75 22 98 46