Mort suspecte du directeur de Clairvaux lors du repli de la maison centrale, en juin 1940

Dans son édition du 24 novembre 1940, « Le Petit Parisien » titrait : « Dans un champ, le cadavre du directeur de Clairvaux gisait la gorge ouverte. La victime venait d’évacuer les 760 détenus de la maison centrale ». Dans quelles circonstances Joseph Constant Buchou, âgé de 53 ans, est-il mort ?

Le Petit Parisien du 24 novembre 1940. Mort de Joseph Buchou, directeur de la maison centrale de Clairvaux.

Georges Arque, rédacteur au Petit Parisien (quotidien devenu l’organe de propagande du gouvernement militaire allemand), signait un article à sensation dans lequel il livrait sa version des événements tragiques liés à l’exode : « Le 17 juin, à la fin de l’après-midi, des appels au secours parvenaient à quelques habitants de Decize [Nièvre]. Ils provenaient d’un champ de seigle situé presque en bordure de la route qui conduit de Nevers à Moulins. […] Non loin du cadavre, on pouvait apercevoir une automobile stationnée au bord d’un chemin, portières ouvertes : celle, on l’apprit bientôt, de la victime. Près du corps, un rasoir, dont la lame rouge encore indiquait suffisamment qu’elle avait été l’arme de la mort. Plus loin, une trousse de toilette, d’où le rasoir avait été extrait. Disons immédiatement que la trousse – l’enquête devait l’établir facilement – appartenait au directeur de la maison centrale de Clairvaux. […] Un suicide, pense-t-on d’abord. Ce fut du moins l’avis (formulé non sans réserve) du médecin qui fut appelé à examiner le corps : Les traces laissées par le rasoir aux poignets indiquent, en tout cas, précisa celui-ci, que les premiers coups ont été portés là. Puis c’est la carotide qui fut tranchée, et la mort a évidemment suivi presque tout de suite. Mais les enquêteurs ne pouvaient pas conclure que sur des constatations d’ordre médico-légal. Sur le plan matériel, une autre devait s’affirmer pour le moins aussi éloquente : la victime avait été dévalisée. […] C’est pourquoi, sans doute, plusieurs “suspects” ont été interrogés. La colonne… Cela nous ramène aux brutales réalités de juin, aux portes des prisons brusquement ouvertes devant un peuple haineux et cruel de condamnés de droit commun – ils étaient 760 à Clairvaux – aux convois forcément improvisés dans le chaos, le désordre, la panique, aux hallucinantes cohorte des geôles assoiffées de pillage et de sang. »

Exode pénitentiaire en juin 1940. Prisonniers de la maison centrale de Clairvaux.

Juin 1940, Mussy-sur-Seine, colonne de détenus de la maison centrale de Clairvaux au cours de l’exode.
© Photo Henri Nazat, coll. Jean-Louis Audebert.

De fait, le repli chaotique de la maison centrale du département de l’Aube donne lieu à plusieurs évasions et, pour finir, à la libération par les Allemands d’un certain nombre de prisonniers de Clairvaux. Dans une note du 17 juillet 1940, Armand Camboulives, directeur de l’administration pénitentiaire, rapporte : « Plusieurs individus, déclarant venir de la Maison Centrale de Clairvaux, viennent d’être arrêtés à Lyon. Ces condamnés auraient été libérés ainsi que leurs co-détenus, lors de l’approche des troupes allemandes. En raison des inconvénients graves qu’entraîne pour la sécurité publique la libre circulation de plusieurs centaines d’individus particulièrement dangereux, il convient de rechercher et d’identifier, dès que possible, tous les éléments précédemment incarcérés à Clairvaux. »

Maison centrale de Clairvaux (Aube), ancien monastère devenu prison au 19e siècle.

Vue générale de la maison centrale de Clairvaux (Aube), ancien monastère du XIIe siècle
transformé en maison de détention sous la Restauration.
© Coll. Jacky Tronel.

Le 20 juillet 1940, la mort suspecte du directeur donnait lieu à ouverture d’une information par le substitut du procureur général de la cour d’appel de Bourges, à Nevers. Dans son rapport, le procureur signale que la mort a eut lieu le lundi 19 juin, au cours de la retraite. L’enquête de police « n’a permis d’aboutir à aucun résultat. Un doute subsiste qui permet même de se demander si Buchou ne s’est pas tout simplement suicidé en se trancher la gorge d’un coup de rasoir. (…) Le désordre et la cohue qui régnaient pendant ces journées ne permettent pas d’espérer que de plus amples recherches soient possibles ni fructueuses. »

Une première ordonnance de non-lieu est prononcée le 5 avril 1941. Toutefois, la réouverture de l’information sur charges nouvelles est requise au mois de juin de la même année, un certain F.L., détenu à la Maison Centrale de Fontevrault, se faisant fort de faire la lumière sur les circonstances ayant entraîné la mort de M. Buchou. Cette nouvelle action en justice ne permet pas davantage d’expliquer les circonstances de la mort mystérieuse du directeur de la maison centrale de Clairvaux… Dans un courrier du 10 décembre 1941 adressé au Garde des Sceaux, le procureur général de la cour d’appel de Bourges déclare : « Il est apparu que ce condamné, qui est fréquemment mis au régime en quartier cellulaire en raison de sa mauvaise conduite, a cherché par des accusations mensongères à provoquer son transfèrement dans un autre établissement. Il n’existe aucune charge contre les individus qu’il a dénoncés. Dans ces conditions, une nouvelle ordonnance de non-lieu a été rendue le 14 novembre dernier. »

Pierre Pédron a été l’un des premiers à évoquer cette période dans « La prison sous Vichy »(Les Éditions de l’Atelier, Paris, 1993, p. 41-45). Pour ma part, je me suis intéressé au repli pénitentiaire de la prison militaire de Paris. Cet épisode, tragique lui aussi, fera l’objet de plusieurs articles dans les prochaines semaines. Dans cette perspective, tout renseignement, document ou témoignage sur l’affaire du repli de Clairvaux, du Cherche-Midi et de la Santé serait le bienvenu !

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