« Les enfants maudits de la Petite Roquette » un reportage d’Henri Danjou (1929)

Gardien de prison à la Petite Roquette, 1939, photo Albert Harlingue

Journaliste issu de l’école d’Albert Londres, Henri Danjou s’est lui aussi spécialisé dans la marginalité et sa répression : Place Maubert – Dans les bas-fonds de Paris chez Albin Michel en 1928 et surtout Enfants du malheur ! réédité à La Manufacture de livres en mars dernier. Cet ouvrage raconte la tournée du journaliste dans les divers bagnes d’enfants en France…
Le 4 avril 1929, Henri Danjou (photo ci-dessous) publie dans le magazine Détective : Un jour à la Petite Roquette, reportage sur une prison que l’auteur qualifie de « purgatoire des enfants maudits »

« Un jour à la Petite Roquette »

La Petite Roquette était une prison située dans le 11e arrondissement de Paris, non loin du cimetière du Père-Lachaise. Conçue par l’architecte Louis-Hippolyte Lebas suivant le modèle panoptique, elle fut construite en 1836. D’abord prison pour enfants, elle devint par la suite une prison de femmes.

Henri Danjou, journaliste grand reporter, photo Carl Mydans.

Texte de l’article d’Henri Danjou publié par Détective, le 4 avril 1939 :

« […] Vue d’un peu haut, la Petite Roquette fait penser à un château fort : pierres noires, murailles épaisses. On y adossa, il y a un demi-siècle, les soldats vaincus de la Commune. Les balles du peloton d’exécution ont fait des trous dans le mur d’enceinte. L’herbe a envahi les fossés, autrefois remplis de cadavres. Çà et là, des gardiens se sont fait un jardin, où des fleurs font des taches claires, au printemps.
Un lourd silence pèse sur la bastille des enfants maudits, si bien qu’on est étonné, quand on en a franchi la porte à triple verrou, d’y apercevoir des êtres vivants et d’y voir luire le soleil. On est dans la cour du greffe. Dix prisonniers sous le regard indifférent d’un gardien, chargent une charrette. Deux voitures cellulaires viennent d’amener quinze moutards, qui tête nue attendent, devant le greffe, l’heure de troquer leur nom contre un matricule et d’échanger leurs vêtements fripés contre un uniforme impersonnel. On voudrait trouver sur leur visage la marque infamante de la destinée qui poursuit depuis la création les enfants de Caïn. Vagabonds, chenapans ou criminels, ils ont le même air penaud de gosses pris en faute. L’un haut comme trois pommes et qui rejette constamment en arrière de son front une mèche blonde importune, pleure et ses larmes laissent une trace sur le registre d’écrou, où il a mis un blaze (une signature). Il est à la Petite Roquette pour de petits larcins, qui, s’il eût appartenu à une classe plus aisée, eussent peut-être été considérés comme péchés véniels. Un autre, chétif et exalté, a quitté pour la troisième fois Lille pour venir se griser de la vision d’un Paris, dont il n’a vu que la gare, la salle d’attente d’un commissariat et un panier à salade. […]
On a vidé leurs poches. Ils ont mis sous leur bras leur uniforme de prisonnier : une chemise, un caleçon en grosse toile, un vêtement de bure, un bourgeron, un pantalon de treillis et des sabots. Les gosses de quatorze à dix-huit ans ont été groupés et mis en route. Ils n’ont plus de nom ! […] »

Tour ronde de la prison de la Petite Roquette, 1929.

Le monastère des enfants maudits

« Il y a près d’un demi-siècle que les jeunes détenus – jeunes et détenus, ces mots ne jurent-ils pas ensemble? – sont répartis, moines sans foi, dans les cellules de la Petite Roquette.
La prison ne date que de 1830. Elle fut construite en vue de la destination qu’elle recevra bientôt pour être utilisée comme une succursale de la prison de Saint-Lazare. Ce fut, à l’époque de Charles X une prison modèle.
Jusque-là, les enfants de Caïn erraient de prison en prison, sans que leur statut eût été défini ; ils étaient confondus, avant la Révolution, avec les malfaiteurs et les criminels et par conséquent livrés à une promiscuité dangereuse. On eut enfin la sagesse, sous le Directoire, de les répartir, dans des quartiers spéciaux, aux Madelonnettes et à Sainte-Pélagie. On se proposait alors, les considérant moins comme des coupables que comme des irresponsables, de corriger leurs mauvais penchants et de refaire leur éducation. En réalité, ils furent employés dans les deux prisons comme domestiques au service des condamnés de droit commun, au contact desquels ils ne pouvaient que se pervertir.
Sous l’Empire, on se proposa de faire construire un établissement pour les recevoir, mais ils furent sans domicile réel jusqu’au jour où, un enfant ayant été victime d’odieuses violences de la part d’un prisonnier, on décida de les enfermer à la Petite Roquette. […]

Voyons la prison où devait être appliqué un programme si généreux.
Six bâtiments répartis sur les côtés d’un hexagone régulier en forment le corps principal. Ils sont ponctués aux angles chacun par une tour ronde d’un bel effet moyenâgeux. Au centre, s’élève une tour romantique, séparée des bâtiments par un fossé, mais qui communique avec eux par de légères passerelles. On a voulu qu’elle dominât l’édifice. C’est la chapelle du monastère fortifié, l’endroit où les enfants condamnés au silence, engagent, le dimanche, la conversation avec Dieu. »

Cellule de la prison de la Petite Roquette, photo Albert Harlingue, 1929

« Les détenus ne doivent jamais communiquer entre eux ni se voir. Les bâtiments, de trois étages, ont donc été aménagés en cellules. Ils comprennent dix-huit divisions. Les enfants de quatorze à dix-huit ans, répartis dans les sept premières divisions, occupent le premier étage, et les adultes, les étages supérieurs. Il y a trente-quatre cellules par division, donc de la place pour cinq cents détenus. Heureusement, ce chiffre n’est que très rarement atteint.
Ah ! la pénible impression que l’on emporte du passage dans les divisions de la Petite Roquette ! Les cellules sont groupées, dans chaque division, de chaque côté de deux couloirs qui se coupent à angle droit. Des verrous à levier, impressionnants comme des instruments de torture, en assurent la fermeture. Leurs portes sont percées de deux trous pour que les gardiens puissent y exercer une surveillance continuelle.

Alignement des cellules de la Petite Roquette, 1929

Les cellules sont des cages infectes, à peine convenables pour un animal. Longueur, 3 mètres, largeur 2 m. 50. Le jour n’y arrive que par les vitres dépolies d’une fenêtre, dont l’espagnolette est cadenassée. Elles ne sont pas éclairées la nuit. Elles ne sont pas chauffées, quelle que soit la rigueur de la température. L’air doit y pénétrer par un vasistas placé à la partie supérieure de la fenêtre ; mais en réalité, le vasistas ne s’ouvre jamais et, le plus souvent brisé, il est remplacé par un rectangle de bois ou de carton. L’ameublement de chaque cellule, des plus rudimentaires, est constitué par un lit de fer, une table, un tabouret retenu au mur par une chaîne, une planche à bagages, une cuvette, un broc et un vase de nuit.
On m’a fait pénétrer dans quelques-uns de ces tombeaux. J’y ai vu des enfants qui n’avaient plus visages humains, hirsutes, sales, couverts de poils, jetant sur moi un regard égaré.
Avaient-ils tous une âme de criminels ? J’appelle sur ce point le témoignage du protestant M. Matter, du catholique aumônier Brunet, aussi bien que celui du directeur de l’administration pénitentiaire, M. Cazeaux.
Sont détenus à la Petite Roquette les condamnés âgés de dix-huit à vingt ans dont la peine de prison ne dépasse pas une année ; les prévenus de crimes et délits qui n’ont pas atteint l’âge de la majorité ; les vagabonds mineurs en état de prévention et les enfants emprisonnés à la demande de leurs parents, par voie de correction paternelle. Ces trois dernières catégories sont appelées, après avoir comparu devant le tribunal pour enfants, à fournir des recrues soit aux maisons de correction, soit aux patronages, ou à être rendus à leur famille. […]
À quel régime d’aussi grands coupables sont-ils soumis ? Au même régime que les assassins de vieilles femmes ou les voleurs de portefeuilles ! »

L'atelier des jeunes détenus de la Petite Roquette.

« Lever à 6 heures en été, à 6 heures et demie en hiver. Les gardiens ouvrent toutes grandes les cellules. Au nettoyage ! Le plancher est balayé, le lit défait. Au travail ! La tâche est distribuée par le contremaître, un détenu adulte, généralement malfaiteur endurci, qui connaît assez bien les habitudes de la prison pour se concilier la bonne grâce des gardiens. Les verrous grincent dans les glissières fermant la porte des cellules. De nouveau, les enfermés sont isolés du monde. Ils confectionneront des pistolets Eurêka, ils colleront des bandes de catalogues, ils assembleront des chutes de ficelle ramassées dans les grands magasins. On fait de tout à la Petite Roquette, ou du moins on y fait toutes les besognes qui ne nécessitent aucun apprentissage : confection de filets à provisions, ébarbage de métaux, cannage de chaises, tressage de perles pour couronnes, fabrication de chaînes en acier ou en doublé, de bourses métalliques, de cottes de mailles, collage de fleurs artificielles, de drapeaux-réclame, et même de la tapisserie !
À 7 heures et demie un employé, choisi parmi les détenus et connu sous le nom d’auxi, ouvre de nouveau la cellule et distribue aux enfants maudits une demi-boule de pain et une ration d’eau.
Le même manège recommence à 10 heures pour la soupe, à 17 heures pour la distribution d’une gamelle de haricots ou de pois cassés. Et il faut manger vite, car on attend pas pour le ramassage des gamelles ! Entre temps, on peut voir un spectacle, qui serait du plus haut comique s’il n’était aussi affligeant et que le savant docteur Bizard a décrit de la façon suivante : Comme il n’y a pas de commodités à la Petite Roquette, les vases de nuit restent dans les cellules jusqu’à la fin de la matinée. À l’appel d’une sonnerie, tous les petits bonshommes, tenant en main le récipient, s’en vont en file indienne le vider dans la fosse de la cour.
L’heure de la récréation varie suivant les divisions. Récréation ! Autrefois, on avait inventé un jeu cruel, qui consistait à répartir les condamnés dans des préaux disposés comme les rails d’une roue. Le moyeu de cette roue était une guérite circulaire, d’où le surveillant regardait à la fois tous les prisonniers séparés les uns des autres par de hautes murailles. On leur permettait cependant de regarder le ciel au-dessus de leur tête !
Aujourd’hui, les enfants maudits prennent leur récréation, division par division, dans des préaux intérieurs, où ils sont autorisés à jouer, sans bruits et sans cris, sinon sans paroles. Des enfants !
Le soir vient, et la nuit. L’hiver, les cellules sont obscures à partir de 15 heures. Le travail cesse. Que va faire l’enfant ? Lire, jouer ? Non pas. Quoi ? Rien. Il attendra l’heure fixée par le règlement pour se mettre au lit, debout, silencieusement, devant la fenêtre qui tamise un jour incertain, n’abandonnant son immobilité que pour arpenter sa cage comme une bête prisonnière. Malheur à lui si, pour activer des rêveries provoquées par le vide d’une existence sans idéal, il s’étend sur le lit ! Il risque le pain sec. Malheur à lui si le gardien perçoit les mots hâtifs qu’il jette, à travers le guichet ou à travers la cloison, à son voisin d’infortune ! Il risque le cachot noir. »

Joies et tristesses de la vie du prisonnier

« Les cachots ! Il y en a dix, disposés à côté du guichet central des gardiens. Je n’en ai vu qu’un. J’ai reculé d’effroi. J’ai lu le rapport d’un directeur sur ces cercles de l’enfer. Les cellules de punition, disait-il, sont très impressionnantes et les enfants en général en éprouvent un certaine frayeur. Il convient de n’en user qu’avec une certaine circonspection.
Avec circonspection ! Les cellules sont peintes en noir, et meublées d’un seul matelas de varech posé à même le carreau. Si l’enfant gronde on ferme le vasistas qui y laisse entrer un peu de lumière et c’est la nuit complète. En vain le reclus épouvanté appelle, se lamente. Personne ne répond à ses appels, ses sanglots s’étouffent. Il se tait et s’endort.
Et le savant docteur Bizard écrivait encore : Jamais vraiment à Saint-Lazare, qui est loin d’être le paradis des douceurs on oserait enfermer dans un semblable réduit la femme la plus récalcitrante et la plus intraitable.
Cachot, pain sec, privation de parloir, de correspondance, de cantine, ce sont les peines infligées par le tribunal qui juge les délits commis dans la prison : le prétoire. Le prétoire tient ses séances le matin dans le cabinet du directeur. Le maugrée (directeur) est le président de ce tribunal d’exception où deux gaffes (le gardien chef et un autre gardien) font office de greffier et d’assesseur. Les prévenus attendent dans le couloir, les mains croisées sur la poitrine, le visage tourné contre le mur, qu’un surveillant ait crié leur matricule. Défense de parler, de se voir et de sourire.
La privation de cantine, c’est la privation de choco (chocolat), de supplément de vivres et de pain, la privation de vin pour les adultes. L’auxi jettera vainement, pour le puni, son cri joyeux de colporteur : La fantoche ! On n’a pas le droit d’avoir faim, à quatorze, à seize, dix-huit ans quand on fait la forte tête !
Privation de correspondance : les vieux peuvent écrire. Ils ne recevront pas de réponse. Privation de parloir : ils peuvent venir, ils repartiront comme ils seront venus.
Il est terriblement impressionnant le parloir de la Petite Roquette. Il est situé au-dessous de la chapelle, dans la tour centrale de la prison. C’est une sorte de cave circulaire partagée en onze cases. Au milieu de la pièce un gardien juché sur un kiosque surveille l’échange des confidences.
Les condamnés sont séparés de leur famille par une balustrade de bois, derrière laquelle s’étend encore une grille à mailles serrées, si bien qu’il est impossible de se toucher, de s’embrasser ou à plus forte raison de se passer un objet quelconque. Chaque détenu à droit à deux deux demi-heures de tendresse par semaine. Parfois, la femme d’un de ces petits hommes, entrée en fraude, modestement vêtue, lui apporte des nouvelles des aminches parvenant à lui faire glisser – malgré la grille – des lettres, du tabac et de l’argent. D’autres fois un père adresse des reproches à son fils. D’autres fois encore une mère qui est venue trouver dans cette antichambre de la centrale et du bagne son fils disparu, s’évanouit en le voyant vêtu de bure et tanguant dans ses lourds sabots. Et l’enfant pousse des cris d’angoisse : Maman ! Maman !
Jours de parloir, jours de correspondance, jours de bonheur ! Il y a aussi de beaux jours pour les malades, quand ils sont reconnus à la visite médicale qui a lieu chaque jour dans une infirmerie extrarudimentaire. Mais on n’est pas souvent reconnu. Il faut avoir sérieusement la crève, comme on dit à la Petite Roquette, pour faire partie de la viande qu’on soigne à l’infirmerie de Fesnes et les gardiens, peu disposés à se déranger pour rien n’épargnent pas les tireurs au flanc.
J’ai emporté un souvenir de la Petite Roquette m’écrivait l’autre jour un ancien : c’est une lésion au poumon. Cela vient des cachots de la Roquette. Tuberculeux ! Ce n’est pas drôle. Enfin, c’est bien fait pour moi, puisque j’ai fait la forte tête ! »

L'école des illettrés de la Petite Roquette en 1929.

« Il devrait y avoir des jours de bonheur pour les illettrés : les jours d’école. Ils sont rares, dans l’enfer des enfants maudits. Va-t-on se soucier encore de leur éducation ? Comme s’il était possible d’avoir de semblables prévenances pour du gibier de bagne !
Les enfants maudits s’en consolent en attendant les jours où le panier à salade les prend dans la cour pour les transporter au Palais, où le figé (le juge), les interroge en présence du blanchisseur (l’avocat). Ils s’en consolent en attendant la visite de l’excellent M. Matter, pour qui les cellules s’ouvrent et qui sait prononcer les mots de confiance qui raniment. Ils s’en consolent en attendant la messe du dimanche et le sermon de l’abbé Brunet – un pote, celui-là, qui n’ignore rien de l’argot et qui obéit plus volontiers à la loi de Dieu qu’à la loi des hommes…
Il y avait longtemps que je désirais connaître l’abbé Brunet. C’est fait. Ah ! le bon curé ! Mais loyal, cœur généreux. La main se serre et frappe parfois, sans ménagement les insolents. Le cœur s’ouvre toujours…
L’abbé Brunet est le maître après Dieu de la salle cellulaire installé dans la tour centrale. »

La chapelle de la prison de la Petite Roquette, 1929.

Son royaume est constitué par un amphithéâtre où deux cent soixante-seize détenus sont enfermés dans des boîtes carrées disposées de telle manière qu’ils peuvent apercevoir le prêtre et l’autel, mais sans pouvoir se voir entre eux. On éprouve une impression douloureuse devant le spectacle de ces êtres captifs, comme des abeilles dans leurs alvéoles, dont les têtes émergent et tournent, sans rencontrer le visage du voisin, qui n’est séparé d’eux que par une mince cloison.
Les détenus se rendent l’un derrière l’autre à l’amphithéâtre, les bras croisés. En pénétrant dans leur stalle et en s’y enfermant, ils ouvrent du même coup la case que doit occuper le suivant. En trois minutes, la chapelle est entièrement occupée.
Il n’y a pas que la distraction de la messe : il y a celle du catéchisme et de la communion. L’abbé Brunet se hâte d’instruire les catéchumènes, n’étant pas sûr de les garder longtemps ! La communion appelle la confirmation. La cérémonie n’en est que plus belle, car l’archevêque entouré de ses vicaires, vient éclairer cette atmosphère de tristesse de la somptuosité de ses vêtements brodés d’or.
Les enfants détenus pendant la guerre à la Petite Roquette connurent des distractions d’un autre goût, lorsqu’une partie de la prison fut concédée aux Américains, qui y placèrent leurs déserteurs et leurs mauvais garçons.
L’électricité (qu’il n’a jamais été possible d’installer dans la prison) surgie comme par miracle, répandit la lumière à flots dans le quartier américain. Parfois on entendait un bruit de bataille dans un couloir : des gardiens (américains) armés de gourdins assommaient un récalcitrant ! Des sentinelles étaient d’ailleurs postées sur de hautes plates-formes , revolver ou carabine au poing. Un fait raconté par le docteur Bizard garde encore toute sa saveur : Dès qu’un prisonnier se montrait aux fenêtres, un coup de sifflet retentissait. La sentinelle épaulait et tirait. Toutes les consignes étaient données par un coup de mousqueton. Ça valait mieux que de tirer la cloche ! Évidemment quelque animation en fut apportée à la prison. De la gaieté ? Mais peut-on parler de gaieté à la Petite Roquette ?… »

Lettres de prisonniers

« Mentionnons que les prévenus retenus pour de menus délits ou pour vagabondage y restent généralement enfermés pendant cinq à six semaines, même s’ils sont l’objet d’un non-lieu. C’est plus qu’il n’en faut pour corrompre un homme, à plus forte raison un enfant.
La prison étant placée sous régime cellulaire, les condamnés à plus de trois mois de prison y bénéficient automatiquement de la réduction d’un quart de la peine. À la Petite Roquette un an égale neuf mois. Mais quels mois !
Utilise-t-on le temps de séjour de ces malheureux pour leur apprendre un métier qui leur permettra de se comporter honorablement dans la société ? Se préoccupe-t-on de leur donner une aide morale, de modifier leurs tendances, de réveiller leurs bons sentiments oubliés ? Hélas ! non et c’est là le vice principal de cette institution qui n’a jamais répondu à l’objet de sa fondation. Les travaux qu’on fait faire aux détenus ne sont que des tâches de manœuvres, desquelles ils ne peuvent retirer aucun enseignement. Elles sont mal rémunérées, si bien qu’après six semaines de détention le condamné ne part qu’avec une dizaine de francs : son gain de 45 jours ! Il existe bien un atelier où quelques détenus sont employés à des travaux de tronçonnage ou de perçage. Il est insuffisant et ne peut recevoir qu’une dizaine de condamnés. Quant à l’éducation morale des enfants maudits, c’est la dernière chose de quoi on se préoccupe.
Cependant il n’y a pas que des mauvais garçons à la Petite Roquette. J’en ai eu la preuve l’autre jour en consultant la copieuse correspondance de l’abbé Brunet.
L’un apprenant l’arrestation d’un certain L…, ex-contremaître aux ficelles prie l’abbé d’aller serrer la main à son pote. Et je voudrais, si toutefois cela est possible lui envoyer quelques douceurs par votre intermédiaire. […]
Lettre de forçat : Je ne souhaite à aucun pote de la Petite Roquette de venir ici au bagne, et pourtant, si cela arrivait, c’est avec le plus grand plaisir qu’en ma qualité d’ancien (j’ai 22 ans !) je ferais mon possible pour lui faire paraître moins pénibles les premiers instants de l’exil. […]»

Un purgatoire des enfants maudits

« J’aurai sans doute visité une dernière fois les enfants maudits à la Petite Roquette, car ils ne doivent plus y rester longtemps. Enfin, des décisions ont été prises. La prison réaménagée, est devenue une prison de femmes, où seront détenues les prévenues de crimes et délits qui actuellement vivent dans la promiscuité des filles publiques à Saint-Lazare. Les jeunes condamnés dont elles prendront la place iront à Fresnes, où des pavillons sont spécialement construits pour eux.
Reste à loger les enfants maudits que la Petite Roquette réservait jusqu’ici aux maisons de correction, aux patronages. Vont-ils aller eux aussi à Fresnes prenant définitivement cette fois la route qui, conduit aux centrales et des centrales aux bagnes ?
Eh bien, non, et c’est le directeur de l’administration pénitentiaire, M. Cazeaux, qui m’a laissé entrevoir cette bonne nouvelle – les chapardeurs, les vagabonds, les fortes têtes, qui ont l’excuse de n’avoir pas vingt ans, n’iraient plus dans les prisons, où une loi inhumaine veut qu’ils soient traités plus durement que les hommes.
À ces dégénérés, fils d’alcooliques, de voleurs, de criminels, on offrirait enfin la sauvegarde d’un purgatoire : une maison où il n’y aurait plus de gardiens en uniforme, plus de cellules, plus de barreaux, plus de cachot noir ; où les enfants maudits disposeraient de l’espace ; où ils croiraient jouir de la liberté ; où ils deviendraient peut-être d’excellents garçons.
Il faut 25 millions pour que ce rêve devienne une réalité prochaine…
Est-il trop beau pour être vrai ? Henri DANJOU. »

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Les photos qui illustrent le reportage sont d’Albert Harlingue.
La photo d’Henri Danjou est de Carl Mydans (source).

Pour en savoir plus : « Faut-il détruire la Petite-Roquette ? », dossier réalisé par Philippe Poisson.

Lire sur ce blog : « L’exode de 36 détenues de la Petite Roquette transférées à Libourne en juin 1940 ».

3 Commentaires de l'article “« Les enfants maudits de la Petite Roquette » un reportage d’Henri Danjou (1929)”

  1. Fonseca dit :

    1929 ou 1939 ?

  2. Jacky Tronel dit :

    … Il s’agit bien de l’édition du 4 avril 1929 du magazine « Détective » (1re année – N° 23).
    Voir le fac-similé de couverture du journal en cliquant sur le lien suivant : lien.
    La prison fut ouverte dès 1856. On commença par y placer des mineurs délinquants, qui y demeurèrent jusqu’en 1930. Ensuite, la prison devint une prison pour femmes…
    Lire « Les enfants de la Petite-Roquette », Michelle Perrot, L’Histoire n° 100, mai 1987, p. 30-38.

  3. […] Pour en savoir plus lire le billet publié par  Jacky Tronel | samedi 21 avril 2012 sur le site de Prisons-cherche-midi […]

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