« Plus aucun Français ne veut être gardien de prison… »

Léopold Larue, surveillant civil auxiliaire à la prison militaire de Mauzac.Le 30 décembre 1943, à la demande des Allemands, Joseph Darnand est nommé par Pétain secrétaire général au Maintien de l’ordre. La Milice investit alors l’administration pénitentiaire et reprend les choses en main… Le 22 mai 1944, sous couvert d’André Baillet, directeur général de l’Administration pénitentiaire,
Jocelyn Maret, son adjoint, adresse une lettre à Darnand lui indiquant les «précautions à prendre notamment en prévision d’un débarquement pour assurer la sécurité des prisons où sont concentrés les prévenus ou les condamnés terroristes ou communistes». Il se montre précis dans ces remarques, pressant dans ses demandes, et avertit le responsable de la Milice que s’il n’abonde pas dans son sens, il se verra contraint de lui demander de bien vouloir le relever de ses fonctions…

Léopold Larue, surveillant civil auxiliaire à la prison militaire de Paris repliée à Mauzac (Dordogne). Coll. J. Tronel.

Texte de la lettre de Jocelyn Maret adressée à Joseph Darnand :

Depuis 4 mois que j’ai été appelé à la Sous-Direction de l’Administration Pénitentiaire et des Services de l’Education Surveillée j’ai eu l’occasion de visiter un certain nombre de prisons de grand effectif. J’ai effectué ces visites en détail en ayant soin d’interroger non seulement les prévenus ou les condamnés mais aussi et surtout le personnel de surveillance.

[…] De ces diverses visites, voici les conclusions que j’ai pu tirer :

1°) Depuis que les prévenus pour activité communiste ou terroriste sont concentrés dans les 11 prisons spécialisées il y a moins ou pour ainsi dire plus d’évasions de cette catégorie de prisonniers.

2°) Toutefois et je suis très affirmatif en cas de débarquement, ces prisons seront ouvertes par le personnel de surveillance et les détenus seront rendus à la liberté.

Et ceci :
a) parce que la garde extérieure de ces prisons ne sera pas à même de résister à une attaque venant à la fois de l’extérieur et de l’intérieur,

b) parce que le personnel de surveillance intérieur, plus particulièrement les éléments jeunes ou récemment incorporés, est plus que suspect.

Extrait de la lettre de Jocelyn Maret, adressée le 22 mai 1944 à Joseph Darnand.

J’affirme que, à part quelques surveillants chefs ou premiers surveillants qui ont l’amour de leur métier, le personnel de surveillance actuel se désintéresse complètement de sa tâche ou, ce qui est pire, n’est entré dans la Pénitentiaire que dans le but précis de faire évader des détenus. C’est ainsi que certains surveillants auxiliaires sont entrés dans l’Administration Pénitentiaire, sur ordre du Parti Communiste. Toutes les précautions prises pour éviter ces candidatures demeurent jusqu’à présent inopérantes parce que les enquêtes menées par les soins des Préfets sont superficielles et parce que nous avons un besoin extrêmement impérieux de personnel.

En effet chaque jour je prends la décision de révoquer 4 ou 5 surveillants. En réalité c’est dans la proportion de 50 % qu’il faudrait les révoquer. Je n’ai presque aucune candidature pour les remplacer. Les 30 surveillants que devait me fournir la Milice ne m’ont jamais été envoyés. Plus aucun Français ne veut être gardien de prison.

En conséquence et pour essayer dans la mesure des faibles moyens dont je dispose, de pallier à ces difficultés, je demande :

1°) que des ordres soient donnés aux Intendants de Police régionaux pour que la garde extérieure des prisons soit sensiblement renforcée et composée d’éléments sûrs. En effet il arrive fréquemment que ce soit des agents de police urbains qui sont chargés de ces soins. En contact quotidien avec la population des villes où se trouvent les dites prisons, ils n’oseraient jamais ouvrir le feu sur une attaque venant de l’extérieur où seraient mêlés en manifestant des femmes et des enfants de la dite population.

2°) que les soldes allouées aux surveillants soient relevées conformément à ma demande que je vous ai remise dernièrement, sous forme de l’indemnité de services pénibles, spéciale à l’Administration Pénitentiaire. Un surveillant auxiliaire gagne à l’heure actuelle moins qu’un agent de police. Un surveillant Chef ne touche pas l’indemnité de services pénibles ce qui lui fait une solde à peine égale à celle d’un surveillant auxiliaire.

Le métier de surveillant de l’Administration Pénitentiaire est particulièrement déconsidéré. Il est absolument indispensable de donner à ces surveillants une situation sinon enviable tout au moins intéressante. Ce serait à mon avis la seule façon possible de se les attacher en partie. À l’heure actuelle ils sont particulièrement tentés, pour augmenter leur traitement, de favoriser le passage des lettres des détenus ou de leur rendre de menus services moyennant rétribution, ce qui crée naturellement des compromissions.

3°) Enfin il ne sera plus possible d’accumuler les prévenus terroristes ou communistes dans les prisons si le Ministre de la Justice ne fait pas le nécessaire auprès des Juges d’instruction pour que les affaires soient instruites rapidement et soient rapidement passées aux sections spéciales.

[…] Les chiffres […] des prévenus pour délit communiste ou terroriste […] ne cesse de croître et avec une telle rapidité et dans une telle proportion que sous quelques jours il sera matériellement impossible d’emprisonner ces prévenus et d’en assurer la garde.

[…] Si vous ne croyez pas devoir abonder dans mon sens et faire prendre d’urgence les diverses mesures proposées ci-dessus, je ne saurais prendre plus longtemps la responsabilité du service que vous aviez bien voulu me confier et je me verrais contraint de vous demander de bien vouloir me relever de mes fonctions.

Lettre du 22 mai 1944, à en-tête du Ministère de l’Intérieur, direction de l’Administration pénitentiaire et des Services de l’Education surveillée, Cabinet du Directeur, réf. 258.S/SD (Source AN F7 14900).

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