Yves Péron et les trotskistes de la prison militaire de Nontron en 1944
Par Jacky Tronel | mercredi 7 mai 2014 | Catégorie : Dernières parutions, DES HOMMES… | 3 commentairesLa lettre de doléances du détenu Yves Péron, futur député communiste de la Dordogne écroué à la prison militaire de Nontron en 1944, renseigne sur les relations tendues qui existaient entre communistes staliniens et trotskistes internés dans les prisons militaires sous Vichy.
Cette lettre – non publiée à ce jour – adressée au Capitaine Pointeau, commandant la prison militaire de Nontron, témoigne de l’antagonisme très fort qui opposait staliniens et trotskistes, ces derniers étant considérés par les communistes comme « des ennemis de la France », « des gens qui, selon nous, ont trahi les intérêts les plus sacrés de leur pays »…
La lettre d’Yves Péron datée du 12 Février 1944
Sources : Service Historique de la Défense
Département de l’armée de Terre, Vincennes, 13 J 1425
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« Le détenu Péron Yves, matricule 409… à Monsieur le Capitaine commandant la Prison Militaire de Nontron.
Permettez-moi d’user de la faculté qui nous est laissée de formuler le samedi les demandes à la direction de la Prison pour vous exposer les faits suivants :
J’ai été très étonné d’apprendre que mon compagnon de chambre Chaintron avait été mis en cellule de punition sans que j’arrive à en soupçonner le motif. Vous comprendrez qu’une si grave mesure fasse naître en moi une émotion bien compréhensible. Quoi qu’il ait pu faire, mon camarade n’a pu être animé que de la volonté de rendre moins pénibles les conditions de notre détention, car son honnêteté et son sens de la discipline ne peuvent être mis en doute. Depuis plus de huit mois, ces conditions ont été s’aggravant sans que, croyons-nous, la responsabilité nous en incombe.
Jusqu’en juin de l’année dernière, conformément à une pratique qui est toujours en usage dans d’autres détentions, les communistes de la prison de Nontron ont été laissés ensemble, et séparés des autres détenus condamnés pour d’autre motifs. Et je ne pense pas que, durant cette période, la direction de la prison ait eu à se plaindre de leur attitude. Ils se sont efforcés de se conformer strictement au règlement de la prison. Aussi notre étonnement fut grand quand nous apprîmes qu’à compter du 18 juin nous allions être contraints de vivre dans la promiscuité de gens qu’il convient de considérer comme des ennemis de la France [les trotskistes sont ici sous-entendus]. Si des faits ont pu justifier cette mesure, nous n’en sommes pas responsables.
Nous, nous aimons notre pays, nous l’avons servi avec fidélité, et nous considérons que l’action que nous avons menée n’avait d’autre but que de rendre à notre patrie son indépendance. Beaucoup des nôtres sont tombés pour cet idéal patriotique.
On peut penser ce qu’on voudra des communistes. On peut même prétendre que notre activité n’atteint pas le but que nous poursuivions ; on ne peut nier qu’elle soit absolument désintéressée et généreuse. C’est pourquoi la cohabitation qui nous a été imposée avec des gens qui, selon nous, ont trahi les intérêts les plus sacrés de leur pays, pour des raisons qui n’étaient pas toujours idéologiques, devait nous apparaître odieuse et aggravent, au moins moralement, notre sort.
Les dernières mesures, prises en décembre, qui nous ont séparés à huit de l’ensemble des autres camarades, n’ont fait qu’aggraver notre sort. Au surplus, depuis cette époque nous n’avons cessé d’être l’objet des incessantes provocations, des allusions insidieuses, des sous-entendus insultants des éléments avec qui nous avons été mêlés. J’éprouve de la douleur et de l’indignation à entendre faire, tous les jours, l’éloge de ceux qui ont déporté mon père et le condamnent au silence absolu depuis près d’un an. J’ai dû subir le chant de ces gens en apprenant qu’un de mes cousins, que la confiance populaire avait fait siéger au Conseil général de la Seine, était mort, à 55 ans, en Allemagne, déporté dans un de ces camps réservés aux Français de zone occupée, qui ne renoncent pas à affirmer qu’ils demeurent, plus que jamais, fiers de leur Pays et soucieux de sa grandeur. Et si des incidents ont pu être évités, qui eussent pu être violents, c’est grâce à notre patience et à notre sang-froid. Dernièrement encore, l’entrée dans la prison de revues éditées par des organisations politiques ont [sic] servi de prétexte à des insinuations calomnieuses dont nous avons senti toute l’injustice.
Jamais nous n’aurions donné à la direction de la prison l’occasion d’avoir recours à des mesures disciplinaires si des conditions normales et humaines nous avaient été réservées, comme celles dont jouissent nos camarades dans d’autres prisons.
J’ai donc l’honneur de vous demander de m’autoriser à soumettre à l’autorité supérieure, par la voie hiérarchique, cette situation qui me paraît imméritée. Avec l’espoir d’une réponse favorable, je vous prie de croire, mon Capitaine, à ma respectueuse considération. »
Signé Péron
Cette lettre de réclamations valut quinze jours de mitard à son auteur, puis son transfert vers la prison militaire de Mauzac, quelques semaines plus tard…
Photo anthropométrique du détenu Yves Péron,
le 26 janvier 1943, prison militaire de Nontron.
Source : « Fonds de Moscou », CAC Fontainebleau,
aimablement transmise par Jean-Jacques Gillot
Au sujet de cette lettre…
Le récit de Michel Bloch, nous éclaire sur les raisons du placement de Jean Chaintron en cellule disciplinaire ainsi que sur les relations qui existaient à Nontron entre staliniens et trotskistes :
« Chaintron [Jean] et Calas [Raoul] étaient arrivés à établir des contacts avec l’extérieur. Dans les colis de vivres on passait des messages et évidemment, une fois, un gardien a saisi un de ces messages. Il y a eu des sanctions : plusieurs camarades sont descendus au cachot et les cours d’histoire et de géographie ont été interdits. »
« Il y a eu aussi trois ou quatre résistants, avec lesquels nous n’avons eu aucun contact parce qu’ils étaient trotskistes. Dans le Parti français, à la veille de la guerre, on considérait les trotskistes comme des traîtres. Je ne partageais pas cette opinion, j’avais fréquemment entendu parler de Trotsky avec intérêt et respect. En tout cas l’administration les avait isolés. Ils étaient dans une cellule tous les trois et ils descendaient dans la cour à d’autres heures que nous. L’un d’eux était mon homonyme, Gérard Bloch qui a été candidat trotskiste après la guerre à Clermont-Ferrand, sans succès d’ailleurs. Je crois bien que je ne l’ai jamais vu. »
Source : Colette et Michel Bloch, Des prisons en France sous l’occupation, Aléas éditeur, Lyon, 2007, pages 31 et 32.
Les trois trotskistes dont Michel Bloch fait mention sont : Gérard Bloch, Abraham Sadek et Maurice Zavaro.
Inscription d’Yves Péron au registre d’écrou de la prison militaire de Nontron (Dordogne), avril 1942. SHD-DAT, Vincennes, 13 J 871.
À propos des relations entre communistes et trotskistes
Dans Le livre noir du communisme, Stéphane Courtois et Jean-Louis Panné évoquent l’antagonisme qui opposait les uns et les autres à Nontron. Les auteurs attribuent à Michel Bloch un rôle majeur dans cette mise à l’index des trotskistes, contredisant le témoignage de l’intéressé :
Dans les prisons et les camps français de Vichy, les trotskistes furent systématiquement mis en quarantaine. À Nontron (Dordogne), Gérard Bloch fut victime de l’ostracisme du collectif communiste dirigé par Michel Bloch, fils de l’écrivain Jean-Richard Bloch. Incarcéré ensuite à la prison d’Eysses, Gérard Bloch fut averti par un instituteur catholique que le collectif communiste de la prison avait décidé de l’exécuter, en l’étranglant dans la nuit. [René Dazy, Fusillez ces chiens enragés !… Le génocide des trotskistes, Olivier Orban éditeur, Paris, 1981, p. 248]
Inscription d’Abraham Sadek au registre d’écrou de la prison militaire de Nontron (Dordogne), septembre 1942. SHD-DAT, 13 J 871.
Abraham sadek est écroué à Nontron du 15/09 au 15/12/1942, puis transféré au Puy-en-Velais via la prison militaire de Mauzac.
Dans ce contexte de haine aveugle, l’affaire de la « disparition » de quatre trotskistes, dont Pietro Tresso, fondateur du Parti communiste italien, au maquis FTP « Wodli » installé en Haute-Loire, prend toute sa signification. Évadés de la prison du Puy-en-Velay en même temps que leurs camarades communistes, le 1er octobre 1943, cinq militants trotskistes furent « pris en charge » par ce maquis communiste. L’un d’entre eux, Albert Demazière, fut par hasard séparé de ses camarades. Il est le seul survivant de ce groupe de cinq : [Pietro] Tresso, Pierre Salini, Jean Reboul, Abraham Sadek [l’un des trotskistes de la PM de Nontron] furent exécutés à la fin octobre, après un simulacre de procès très significatif. Les « témoins » et acteurs encore vivants [en 1997] rapportent en effet que ces militants ont été accusés de projeter « d’empoisonner l’eau du camp », accusation moyenâgeuse qui renvoie aux origines juives de Trotski (dont le propre fils, Sergueï fut aussi accusé des mêmes intentions en URSS), et d’au moins un des prisonniers du maquis (Abraham Sadek). Ainsi, le mouvement communiste montrait qu’il n’était pas exempt de la plus grossière régression antisémite. Avant leur assassinat, les quatre trotskistes furent photographiés, vraisemblablement pour identification par les instances supérieures du PCF, et forcés d’écrire leur biographie.
Sources : Stéphane Courtois, Nicolas Werth, Jean-Louis Panné, Andrzej Paczkowski, Karel Bartosek, Jean-Louis Margolin,
Le livre noir du communisme – Crimes, terreur, répression, Robert Lafont, Paris, 1997, p. 359 et 360.
Pierre Broué, Roger Vacheron, Meutres au maquis, Grasset, Paris, 1997.
Merci Jacky pour cet article édifiant mais… pas surprenant.
Amicalement,
Patrice
Un de mes oncle a été surveillant à la prison de Nontron, j’aurai aimé avoir des détails sur le comportement des surveillants vis à vis des détenus.
Merci
Bonjour,
La bibliographie relative à cette prison militaire est très pauvre. Il existe le témoignage de Colette et Michel Bloch, « Des prisons en France sous l’occupation » (Aléas éditeur, Lyon, 2007)… et puis quelques rapports conservés aux Archives départementales de la Dordogne et au Service Historique de la Défense à Vincennes. À la date du 15 janvier 1944, un état des effectifs de la prison militaire signale la présence d’un chef d’établissement (André Pointeau, qui sera exécuté par un maquis FTPF à la Libération), d’un aide-comptable (Lindor Manien), d’un greffier, de dix surveillants, de trois gardes de police, de quatorze surveillants auxiliaires… pour un total de 119 détenus.