Sante Garibaldi et la fédération garibaldienne de Bergerac, en mai 1939
Par Jacky Tronel | samedi 16 juin 2012 | Catégorie : Dernières parutions, DES HOMMES… | 2 commentairesÀ la veille de l’entrée en guerre du Royaume-Uni et de la France contre l’Allemagne nazie, tous les mouvements pacifistes et antifascistes, à l’exemple de la fédération garibaldienne, sont mobilisés. En dépit de cet engagement soutenu, ils ne parviennent pas à éviter l’embrasement de l’Europe, puis du monde. La montée des dictatures – celles de Franco, Hitler, Mussolini et Salazar – est inversement proportionnelle à l’effondrement soudain des démocraties…
À propos d’une photo légendée : « Fédération Garibaldienne – 14 mai 1939 »…
Défilé pacifiste du 14 mai 1939, à Bergerac
Cette photo, prise rue de la Résistance à Bergerac (Dordogne), à la hauteur de la rue du Colonel de Chadois, représente un défilé composé essentiellement d’hommes, endimanchés, précédés de deux agents de la force publique. En réponse à un appel à témoignage publié dans l’hebdomadaire Le Démocrate indépendant du 6 décembre 2007, M. Pierre Tricaud, bergeracois, croit reconnaître les agents de police Lacroix, à gauche sur la photo, et Dubur, à droite. Quant à l’homme au chapeau marchant en tête du cortège, de petite taille, il s’agirait de Maurice Moulinier (élu maire de Bergerac le 18 mai 1935). À sa gauche, l’homme à forte carrure, au costume clair et au foulard (vraisemblablement de couleur rouge), front dégarni, n’est autre que Sante Garibaldi, petit-fils du général Giuseppe Garibaldi (1807-1882), artisan de l’unité italienne et « citoyen du monde », pour reprendre le titre de la biographie que lui a consacré Alfonso Scirocco (Éditions Payot, 2005). On peut également apercevoir, à l’avant du cortège, Raymond Berggren (ex-commissaire militaire, capitaine de réserve et futur chef départemental de l’Armée secrète) marchant derrière une femme en partie masquée sur la photo par le gendarme Dubur – Cliquez sur la photo pour l’agrandir.
Défilé pacifiste du 14 mai 1939 à Bergerac. En tête du cortège, costume clair, Sante Garibaldi. Coll. J. Tronel.
Les Garibaldiens dans la presse régionale
Le dépouillement de la presse de l’époque ne révèle aucune trace de cette manifestation « garibaldienne» à la date du 14 mai 1939. En revanche, le journal La voix socialiste – Hebdomadaire des fédérations socialistes S.F.I.O. de la Dordogne et de la Charente, édition des 25-26 février 1939, signale la tenue d’une « Conférence du Colonel Garibaldi » le jeudi 16 février « devant une salle comble – un millier d’auditeurs – à la salle du Casino Rey », à Bergerac. Victor Amanton, secrétaire de parti à la S.F.I.O., auteur de l’article, rappelle les origines nobles du « chef des Garibaldiens de l’Argonne, antifasciste à tous crins…». Amanton poursuit, avec emphase : « Garibaldi – ce nom qui pour nous hommes de gauche est tout un passé illustre : 1870, Magenta, Solférino, l’Argonne en 1914, où deux frères Garibaldi dorment de leur dernier sommeil – affirme que les sentiments du peuple italien ne correspondent en rien à ceux de Mussolini, de Ciano [ministre des Affaires étrangères de 1936 à 1943] et des chefs fascistes italiens. Le peuple italien, malheureusement sous le joug et sous la botte, sait et pense que la démocratie française ne saurait être pour lui une ennemie sur les champs de bataille où rêvent de le précipiter les dictatures. Communauté d’origine latine, de culture, de besoins de liberté, de sang versé sur les sols français et italien, il est impossible de les dresser l’un contre l’autre, alors que l’Italie souffre d’un voisinage hitlérien sur le Brenner […] Garibaldi fait un appel pathétique aux nombreux Italiens qui ont reçu sur la terre française qu’ils fécondent par leur labeur, la plus cordiale hospitalité, qui sont prêts à en témoigner auprès de leurs camarades opprimés et malheureux de la péninsule. Si demain, malgré leur volonté, un conflit éclatait, ils seraient avec Garibaldi, dans les rangs de la nation généreuse : la France ». Garibaldi s’adresse ensuite aux Italiens présents dans la salle et dans leur langue. « Il reçoit une belle ovation, et une superbe gerbe d’œillets rouges lui est offerte ». Participaient également à cette conférence M. Herpe, président de la section de la Ligue des droits de l’homme de Ste-Foy la Grande et Gaston Martin, ancien député du Lot-et-Garonne, professeur à la Faculté des lettres de Bordeaux.
Quelques semaines après la conférence du Colonel Garibaldi, dans son édition du 29 avril 1939, le journal Vérité, organe de l’Union Socialiste et Républicaine, dirigé par l’ancien député Gaston Simounet, lance un appel à tous les Italiens les invitant à se « grouper autour de la Tradition Garibaldienne, pour affirmer au Peuple de France […] que l’Amitié Franco-Italienne est toujours intacte. Le moment est venu de faire comprendre au gouvernement de Rome qu’on ne trompera pas le peuple italien dans ses affections. SEULS vous ne pouvez rien faire. UNIS autour de la Tradition Garibaldienne vous pourrez faire entendre la grande voix du peuple italien. Italiens… une fois de plus les Garibaldiens vous appellent pour sauver l’Union Latine. »
Suit l’adresse du siège de la Fédération d’Associations des Garibaldiens de l’Argonne, des Combattants dans l’Armée Française et sympathisants garibaldiens qui n’est autre que l’adresse personnelle de Sante Garibaldi : 63, chemin Roustaing, à Talence (Gironde). Puis, pour tous renseignements et inscriptions, deux noms sont indiqués : ceux de Guillaume Plazzi, rue de Reims à Bergerac et de Raymond Berggren, « président des Officiers républicains », même adresse.
Sante Garibaldi au cours d’un meeting antifasciste à Bordeaux, en 1938. Coll. Annita Garibaldi Jallet.
Sante Garibaldi, biographie sommaire :
Sante Garibaldi est né à Rome en 1885. Au cours de la Première guerre mondiale, avec ses frères Bruno et Costante, il s’engage en Argonne aux côtés de la France. Sante émigre en France après la prise du pouvoir par Mussolini. Il réside à Verteillac, en Dordogne, puis s’installe à Bordeaux où il prend la tête d’une société de travaux publics. À Bordeaux, on lui doit notamment la construction du grand stade municipal ainsi que la piscine Judaïque. Très engagé politiquement, il œuvre à la tête du mouvement garibaldien démocratique, puis, après l’armistice, entre en résistance. La Gestapo l’arrête le 24 juin 1943 et l’enferme au Fort du Hâ, à Bordeaux. Il est déporté à Dachau en septembre 1943.
Libéré le 24 avril 1945, il meurt à Caudéran des suites de son internement, le 4 juillet 1946. Le 30 décembre 1948, le président Vincent Auriol lui décerne, à titre posthume, la cravate de Commandeur de la Légion d’Honneur.
1° photo : Le grand et gros personnage en tête du cortège n’est pas mon père, Sante Garibaldi. Le nœud à son cou est certainement noir, c’est le « fiocco » mazzinien.
2° photo : On retrouve le personnage sur la photo où l’on voit mon père de profil, devant un monument, qui parle à ses garibaldiens.
Interessant, merci. Annita Garibaldi Jallet.
Merci pour ces précisions. Puisqu’il y a eu confusion, votre rectificatif est le bienvenu !
J’en profite pour signaler votre récente contribution : Annita Garibaldi-Jallet, « Le bicentenaire de la naissance de Giuseppe Garibaldi. Un bilan de mid-term » in Garibaldi : modèle, contre-modèle, sous la direction de Jean-Yves Frétigné et Paul Pasteur, Presses universitaires de Rouen et du Havre, 2011.
… suivi du commentaire de l’éditeur : « Annita Garibaldi-Jallet, professeur émérite de l’université de Bordeaux et arrière-petite-fille du héros romantique, dresse ici le premier bilan des enjeux des commémorations du bicentenaire de la naissance de celui dont Victor Hugo écrivait : « Garibaldi ! Qu’est-ce que Garibaldi ? »