« Le Psaume du soldat prisonnier » de François de La Rocque, Cherche-Midi, 28/07/1943

Portrait du Colonel François de La Rocque, auteur du Pasaume du Soldat Prisonnier, Le Cherche-Midi, 28 juillet 1943.

« Mon Dieu, je lève les yeux vers vous du fond de la cellule où m’ont jeté, en nos temps difficiles, les passions des êtres et des peuples, […] Mon Dieu, qui de tant de misères avez fait surgir tant de force, que Votre Saint Nom soit célébré ! »

Non loin du château d’Olmet, à Vic-sur-Cère (Cantal) s’élève la chapelle Notre-Dame des Croix, inaugurée le 5 septembre 1964, à l’initiative des amis du colonel François de La Rocque, dont le château abritait un musée baptisé « la Maison du Souvenir ». On retrouve, gravé au fond de l’abside de cette chapelle, un extrait du « Psaume du soldat prisonnier » que le colonel de La Rocque écrivit en juillet 1943, dans l’une des cellules de la prison allemande du Cherche-Midi, située à l’angle de la rue du Cherche-Midi et du boulevard Raspail, à Paris.

Dans son ouvrage sur « Les Croix de Feu et le P.S.F. » (Éditions France-Empire, Paris, 1967), Philippe Rudaux précise : « Dans la cellule dite de Mata-Hari, au Cherche-Midi, […] le 8 [28] juillet 1943, La Rocque écrit Le Psaume du soldat prisonnier ».

Le colonel de La Rocque fut interné au Cherche-Midi du 24 juin 1943 à la fin du mois d’août de la même année.

À ma connaissance, ce texte n’a jamais été reproduit dans son intégralité… Il m’a été offert récemment par Philippe Durut, chercheur en histoire et administrateur du blog http://www.retours-vers-les-basses-pyrenees.fr. Qu’il en soit ici publiquement remercié ! Voici les circonstances de sa découverte : « Au hasard d’une acquisition d’un lot de documents du Parti social français auprès d’un bouquiniste bayonnais, se trouvaient deux textes dactylographiés, dont le Psaume du soldat prisonnier »…

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LE PSAUME du SOLDAT PRISONNIER (version intégrale)

Mon DIEU

– Qui avez fait le Ciel et la Terre et tous les êtres vivants et l’espèce humaine,
– Qui avez donné à cette dernière une âme immortelle percevant le bien et le mal, la beauté et la laideur, l’impérissable et l’éphémère, la félicité et la douleur,
– Qui avez déposé dans cette âme tous les germes de la Foi, de l’Espoir, et de l’Amour,
– Qui avez prescrit au reniement, au désespoir, à la haine d’être regrets ou remords, de la foi perdue ou rejetée, de l’espoir gâché ou mal fondé, de l’amour sali ou trahi,
– Qui avez asservi à nos âmes, nos corps mortels et pourtant accessibles aux somptuosités matérielles, morales et spirituelles crées sur Votre ordre,
– Qui, dans l’harmonie générale de Votre création, avez mis au premier rang les joies pures et valables de nos cœurs, de nos sens, et avez relégué parmi les déchets de nos erreurs, de nos fautes, le doute, la révolte et le vice,
– Qui avez disposé le long de notre existence terrestre les plus admirables préfigurations des ravissements infinis, nos pires épreuves ne dépassant jamais le prix des compensations futures,
– Qui, chez les croyants, imposez au malheur la primauté du bonheur, projetez les plans immédiats et sombres du malheur sur l’horizon radieux des bonheurs éternels.

Mon Dieu, soyez béni !

Mon Dieu

Je lève les yeux vers vous du fond de la cellule où m’ont jeté, en nos temps difficiles, les passions des êtres et des peuples,
– séparé de ceux que je sers, de ceux que j’aime, de ceux qui me conseillent, de ceux que je dirige, me voilà, isolé parmi les plus isolés, réduit à l’inactivité, face à ma conscience.
– Mais, j’ai dès la première minute, fait intime appel à Votre témoignage souverain, à Votre arbitrage souverain, à Votre souverain secours, et l’apaisement m’est venu,
– et l’étroitesse de mon cachot a fait place à l’immensité de Votre univers, les barreaux de ma fenêtre se sont écartés aux dimensions de Votre firmament, mes oubliettes se sont faites l’asile d’exaltants souvenirs, ma solitude s’est peuplée de chères présences, les murs de ma prison se sont mis à vaciller sous la poussée de l’avenir,
– et ma détresse est devenue sérénité, ma tristesse est devenue ferveur, mon abattement est devenu diligence, mon exil est devenu retraite préparatoire, mon cri d’angoisse est devenu un Alleluia.

Mon Dieu, qui de tant de misères avez fait surgir tant de force, que Votre Saint Nom soit célébré !

Vous avez répliqué à ma lamentation première par l’évocation de ce que Vous m’avez accordé, même si, temporairement, je m’en trouve frustré.
– Vous m’avez fait comprendre que ni la justice, ni la reconnaissance, ni la vérité ne m’autorisent à considérer comme perdu ce que Vous m’avez déjà donné.
– Vous avez obligé ma mémoire à reconstituer toutes les images dont Vous avez embelli la route de mon passé, de ce qui me sera rendu à l’heure de Votre choix.
Et je Vous ai dit ma confusion, ma gratitude, mon élan, Seigneur Dieu.
Et ma plainte s’est faite Oraison.

J’ai murmuré les touchantes prières apprises de ma douce Maman et celles dont ma jeunesse fût enrichie.
Ces prières, par la vertu des souffrances et du silence, ont entamé un colloque où j’osai Vous apporter ma pensée, où j’eu l’audace de solliciter, d’imaginer Vos réponses.
Je vous ai fait entendre les pauvres condicences
[sic] de votre serviteur, la simplicité de ma foi. Les lacunes de ma science religieuse se sont accommodées d’un langage que les rites solennels ne supportent point.
Pardonnez-moi, Dieu des Armées et des Peuples. Je vous rends honneur, je vous raconte ma peine, mes aspirations ainsi que le troupier à l’officier après la bataille, ainsi que l’ouvrier à un patron vénéré, ainsi que le Publicain à Vous-même.
Acceptez l’humble psaume d’un soldat prisonnier, Vous qui ouvrez vos sanctuaires aux dons rustiques du marin échappé à la tempête, du paysan protégé contre la famine, des malades sauvés de la mort…

Merci, Mon Dieu

– Pour la magnificence des aurores, l’enchantement des crépuscules et la poésie majestueuse des nuits étoilées.
– Pour l’émouvante successions des saisons qui, tout à tout
[sic], nous présente la rigoureuse féérie de l’hiver, nous fait vibrer au réveil de la Nature printanière, engendre l’apothéose des moissons d’été, suscite en nous l’automnale et l’humble mélancolie du « Nuc Dimittis ».
– Pour les montagnes, les mers, les campagnes, les villes, les déserts,
– Pour les Pyrénées, l’Île de France, la Méditérannée, l’Auvergne, Paris, le Sahara,
– Pour l’attachement du chien à son maître, pour le galop incomparable du pur-sang, pour la grâce inépuisable des oiseaux, pour le chant des cigales, pour le chatoiement des poissons sous le cristal des ruisseaux et des lacs,
– Pour les fleurs, les fruits, les arbres, pour la lumière et les nuages,
– Pour nos enfants, pour mon Père et pour ma Mère, pour mon Foyer, pour celles et ceux qui forment ma famille élue, pour mes Morts qui ne m’ont pas quitté…

Pour mon Pays

– Pour les hauts Faits de l’Art et de la Science, de la Charité, de l’Héroïsme dont sont tissés l’histoire du monde et, spécialement l’Histoire Française.
– Pour les belles actions dont Vous m’avez à moi-même procuré dont Vous m’avez à moi-même procuré le spectacle et dont mes subordonnés, mes supérieurs, mes compagnons, mes proches ont été les auteurs.

Pour les chefs que Vous m’avez donnés

Et non moins pour les laideurs, mes médiocrités dont la condition terrestre est inséparable et dont la malfaisance, la fréquence sont toujours rachetées par les exceptionnels mérites d’une de Vos créatures, phare éblouissant au milieu des ténèbres.
Louanges à Vous, Mon Dieu, qui avez voulu rendre de tels mérites réversibles sur l’ensemble des vivants, visibles, des égarés.

Louanges à Vous dont le Fils, après la double passion d’un supplice d’homme et du plus affreux supplice humain, a proclamé entre les deux larrons le « Pardonnez-leur » de l’indulgence et de la miséricorde infinie.
Louanges à Vous qui, dans mon infortune présente, me conférez ainsi le droit d’apprécier, d’escompter, de chérir encore les dons reçus de Vous, le droit de ne rien abandonner des jouissances licites, le droit de garder intactes mes tendresses et d’accroître sans cesse leur intensité.
Louanges à Vous qui agréez en holocauste ma privation momentanée de ces dons et ma franche hâte de les retrouver.
Louange à Vous qui m’encouragez, au fond de ma misère, à oublier cette misère dans le refuge des anciennes joies, dans l’attente des joies futures, sous le signe de votre Croix.

Seigneur, je vous offre allègrement et totalement ma détresse, assuré qu’à la vue de cette offrande :
– Vous soutiendrez ceux qui pâtissent de mon absence.
– Vous bénirez celles et ceux qui, magnifiquement, tiennent ma place de labeur.
– Vous réconforterez et délivrerez ceux qui, comme moi, sont en prison.
– Vous me rendrez plus digne et plus heureux qu’auparavant de la liberté une fois restituée.
– Vous garderez ce que je voudrais veiller à chaque instant : ma Patrie, mon service et tous ceux que j’aime.

Mon Dieu, de ma cellule, je Vous ai adressé ce psaume d’un soldat prisonnier.

Je n’ai ni l’ingratitude ni la présomption de renoncer à ce dont Vous m’avez comblé, puisque libre, j’y attachais mes efforts et affections, puisque libéré, j’y reviendrai d’enthousiasme.

Mais je vous soumets et je dépose à Vos pieds ce que je possède en propre : les imperfections, les faiblesses que j’entends m’interdire, les résolutions, les apostolats que j’entends accomplir.
Je vous implore comme le centurion dont Vous avez guéri le Fils : « Seigneur, je ne suis pas digne… mais prononcez seulement une parole ».

Transporté de l’appel de dilection, et de pitié lancé par le Christ jusqu’aux instants suprêmes de son Agonie, je crie vers Vous, vers les miens. Ce vers est du prophète David : « Je crois fermement que je reverrai les bienfaits du Seigneur sur cette terre des vivants… »

À mes Chéris,
À ma famille.
28.7.43.

Pour en savoir plus sur le Colonel de La Rocque…

Réécouter l’émission « Le Colonel de La Rocque en connaissance de cause » sur France Culture.
Invité(s) : Serge Bernstein, historien français du politique, spécialiste de la Troisième République.
Docteur en lettres, il enseigne à l’Institut d’études politiques de Paris.
Pascal Ory, professeur d’histoire contemporaine à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Il enseigne aussi à à Sciences Po Paris et à l’Ina :
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Notice sur le site SciencePo Centre d’Histoire : lien

À lire sur ce blog : « Quand la rose et le réséda fleurissaient sur les murs des cellules de la prison du Cherche-Midi » : lien

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