Hermann-Henry Gowa, peintre allemand interné au camp de Lambesc (avril-juin 1940)
Par Jacky Tronel | dimanche 21 juillet 2013 | Catégorie : Dernières parutions, DES HOMMES… | 1 CommentaireParmi la galaxie des camps d’internements qui fleurissent en France au cours des années 1939 – 1940, on compte, dans les Bouches-du-Rhône, plusieurs lieux de privation de liberté dont le camp des Milles et celui, moins connu, de Lambesc. Des Allemands et des Autrichiens, qualifiés d’indésirables par le gouvernement de la Troisième République y sont assignés à résidence, parce que ressortissants de puissances en guerre contre la France.
Le texte qui suit sur le camp de Lambesc est le fruit du travail de l’historienne Claire Lutrin-Le Pors. Je dois celui sur le peintre Henry Gowa au galiériste Alain Paire.
Camp de Lambesc : 343 internés
Le camp de Lambesc fonctionna quelques semaines à peine, entre le 18 avril et le 22 juin 1940. En 1940, un peu moins de 2.000 habitants sont recensés à Lambesc qui fut par ailleurs le lieu de naissance du facteur Joseph Roulin, ami de Van Gogh. Le village vivait principalement de l’agriculture et de la petite industrie de la conserve. Lune des conserveries, Gillet & fils (connue plus tard sous le nom de Beaudoux & Cie), est réquisitionnée pour abriter les internés qu’on ne garde plus dans la Tuilerie des Milles, provisoirement fermée le 18 avril 1940.
Le commandant du camp des Milles, le capitaine Charles Goruchon, conduit le transfert officiel depuis Les Milles jusqu’à la conserverie. Plusieurs centaines de prisonniers et une centaine de gardes rejoignent Lambesc ; on suppose que ces hommes sont arrivés au village par le train, grâce à la ligne de chemin de fer qui reliait Aix-en-Provence et Salon. Les internés sont logés parmi les étages de l’usine ; lorsqu’ils ne sont pas de garde, les officiers ont domicile chez l’habitant. La conserverie Gillet & fils se situe à quelques centaines de mètres de la mairie, route de Caireval : ses locaux sont aujourd’hui en grande partie détruits, des logements et des parkings occupent son emplacement. Le mess des officiers est en face de la mairie, sur l’emplacement de l’actuel syndicat d’initiative ; les internés prennent leurs repas à l’usine Barbier-Dauphin qui se trouvait sur l’actuelle place du marché.
Les Naufragés, huile sur toile d’Henry Gowa.
Il est extrêmement difficile de reconstituer ce que fut entre avril et juin la vie quotidienne des internés. La conserverie n’existe plus, une épaisse chape de silence a longtemps recouvert cet épisode de la Seconde guerre mondiale. On ne dispose pas, comme c’est le cas pour les Milles d’un récit biographique. Les internés « les plus prestigieux » des Milles, ceux que l’on retrouve fin juin dans la Tuilerie et dans le Train des Milles (Max Ernst ou bien Franz Hessel) n’ont pas connu Lambesc. On peut conjecturer que la vie à Lambesc est un peu moins rude qu’aux Milles : l’âcre poussière rouge des briques n’accapare pas les poumons des exilés, la nourriture est médiocre. Des dessins montrent des paillasses superposées, un regroupement en dortoirs ; il y a des points d’eau au rez-de-chaussée, des commodités et un arbre dans la cour, les malades sont envoyés au Couvent des Religieuses de Saint Thomas de Villeneuve. Ce qui demeure prégnant, c’est l’absence des femmes, la grande promiscuité infligée aux hommes, les arrivées et les départs. Tout reste profondément anxiogène : l’absurdité de la situation (au nom de quel aveuglement bureaucratique, des étrangers pour la plupart anti-nazis sont-ils devenus des suspects ?), le manque d’informations et de contacts avec l’extérieur, l’angoisse quand on songe à la venue prochaine dans le Midi des troupes allemandes n’ont pas de cesse.
À partir des documents conservés aux Archives Départementales des Bouches-du-Rhône, Claire Lutrin établit le séjour à Lambesc de 343 internés. 179 étaient de nationalité allemande, 128 étaient Autrichiens. À quoi s’ajoutaient 25 hommes de « nationalité inconnue » : 8 Polonais, 1 Russe, 1 Tchèque et 1 apatride, « né dans la partie russe de la Pologne ». 226 d’entre eux ont moins de 40 ans. Le plus jeune interné a 18 ans, le plus âgé en a 63. Les plus aisés parmi les internés autrefois pensionnaires des Milles sont pour la plupart parvenus à partir pour l’étranger, les moins fortunés sont restés dans les camps. Parmi ceux qui passent par Lambesc, 79 hommes ont servi dans la Légion étrangère, 32 d’entre eux ont été médaillés. Sur 21 fiches figure la mention « Israélite ».
Hermann-Henry Gowa (1902-1990)
Dans son ouvrage Lettres des internés du camp des Milles, Guy Marchot mentionne les séjours de deux écrivains-journalistes, Oswald Hafenrichter et Werner Rings. Auxquels s’ajoutent six peintres : Bettelheim, Edzard, Kreisler, Schieffer, Tischler et Gowa.
Parmi les « intellectuels » internés aux camps des Milles et de Lambesc, figure donc le nom de Hermann-Henri Gowa. Ce nom était connu parce que cité dans l’ouvrage d’André Fontaine où l’on aperçoit les reproductions de deux de ses dessins aquarellés de format 21 x 27 cm (un carnet entier de vingt-deux dessins et aquarelles de Lambesc est en possession du Musée juif de Francfort) : ces images représentent l’intérieur du camp ainsi que le petit métier de cireur de chaussures. Une stèle-témoin prend place dans le parcours du Site-Mémorial du Camp des Milles, des catalogues et une publication de Jean-Albert Cartier aux Éditions Pierre Caillier (1956) sont consacrés à ce peintre. Parce que le prénom d’Hermann évoquait fâcheusement Goering, Gowa avait prévu qu’on l’appelle Henry.
Dans l’ouvrage collectif Les barbelés de l’exil (Presses Universitaires de Grenoble, 1979) Gilbert Badia a composé pour Gowa l’un des chapitres de ses Trois destins d’émigrés. Son étude évoque tout d’abord le livre ultime de l’écrivain et homme de théâtre Walter Hasenclever qui se suicida aux Milles, le 21 juin 1940. Dans son autobiographie Les Hors-la-loi, Hasenclever fait de Gowa l’un de ses personnages majeurs : le peintre apparaît sous le nom de Golo.
Gilbert Badia indique que pendant l’avant-guerre, Henry Gowa s’était bien intégré dans le Midi de la France. Né à Hambourg le 25 mai 1902, issu d’une famille juive qui possédait depuis trois siècles une importante papeterie, Gowa avait suivi des études d’histoire de l’art et de philosophie à Munich. Dans son pays natal, dès l’âge de 23 ans, il avait imaginé des décors pour des pièces de théâtre et commencé à exposer. En 1933, trois mois après l’accession d’Hitler au pouvoir, il décide d’émigrer en France. En 1935, la société des Beaux-arts de Nice lui donne possibilité d’exposer ses tableaux, il trouve du travail en tant que décorateur pour des maisons privées de la Côte d’Azur. Divorcée de sa première femme qui était allemande, Gowa rencontre en 1938 Annie Roussel qui est également peintre : il l’épousera en septembre 1940, trois enfants, Patrick (1942) Chantal (1944) et Anne-Sabine (1947) naîtront de leur union.
On peut recomposer dans ses grandes lignes le sort réservé à Henry Gowa pendant les années 1939 / 1940. Le 5 septembre 1939, en même temps que Walter Hasenclever et Ferdinand Springer, il se présente au Fort Carré d’Antibes, un camp improvisé où l’on dort à la belle étoile et dont il est libéré le 25 septembre. Après quoi, on retrouve sa trace, tout d’abord à Lambesc, ensuite au camp des Milles et puis dans le Train-fantôme qui s’en va vers Bayonne le 22 juin 1940. L’odyssée du Train des Milles s’achève quelques jours plus tard : le convoi rebrousse chemin, il est ensuite stoppé en rase campagne, à proximité de Nîmes. Les passagers du train effectuent une longue marche parmi les garrigues, vers un autre camp où l’on se hâte de décharger des bottes de paille et des tentes marabout. Cette longue marche jusque vers le château de Saint-Nicolas, dans le Gard, est magistralement transposée dans une toile peinte par Gowa le 27 juin 1940.
Henry Gowa avait par ailleurs raconté à l’historien Klaus Voigt que la physionomie du personnage central d’une autre de ses toiles, Les naufragés, lui avait été inspirée par le visage et l’histoire d’un commendant viennois rencontré à Saint-Nicolas-du-Gard.
Libéré des camps, Gowa retrouve dans la région de Nice son épouse Anne. Il expose ses tableaux à la galerie Muratore et travaille de nouveau comme décorateur pour des films, notamment avec Henri Alekan. L’arrivée des troupes allemandes en septembre 1943 l’oblige à prendre la fuite : sa femme est interrogée par la Gestapo, il s’en va se cacher dans un village perché de l’arrière-pays, Le Broc, où il reviendra beaucoup plus tard, en 1955, pour élaborer la maquette des vitraux de la chapelle. En 1946, Gowa fera retour en Allemagne, il dirige l’école des Beaux-Arts de Sarrebruck. Sa carrière est solide, son travail est salué par des articles d’Abel Gance et de Franz Maserel. Il réalise des expositions à Paris, Munich, Strasbourg, Menton, Hambourg et Berlin. Sa mort survint à Munich le 23 mai 1990, son oeuvre fut représentée en France par la Galerie Ver-Vert Montparnasse de Mad et Jean-Claude Benoit qui avait organisé à Vichy, en 1987, une exposition de Gowa. Pour cette circonstance, Gowa s’était rendu depuis Munich jusque vers l’Allier où il fut conduit en voiture par un jeune ami, en dépit de très grandes difficultés (pour les dernières années de sa vie, il avait accepté d’être amputé de deux jambes).
Bibliographie et exposition
Deux livres : Lambesc, la mémoire oubliée par Claire Lutrin-Le Pors, Édition Tourne la Page et Lettres des internés du camp des Milles par Guy Marchot, préfaces d’Yvon Romero et Alain Chouraqui.
Une exposition « Lambesc et son canton 39-45 : chronique des années sombres », s’est tenue du 8 au 23 juin 2013. Grâce au travail mené par Alain Astaud et Tiphaine Prélat-Motta, le fil lointain des relations de Lambesc avec Gowa vient d’être renoué.
Des démarches auprès de Béatrice Schneiderreit, dernière élève et assistante de Gowa ont été entreprises. Celle-ci a retrouvé parmi les cartons de son maître un dessin de format 21 x 36 cm (ci-contre) : le portrait de l’un des compagnons d’infortune de Gowa. Pour l’heure, ce portrait de grande finesse n’a pas pu être identifié. Son nom figure parmi les 343 internés recensé par Claire Lutrin. Plus de 70 ans après sa réalisation, cette pièce signée et datée par l’artiste figurait dans l’exposition et sera vraisemblablement versée dans les collections du musée de Lambesc.
Blog d’Alain Paire : ici
Photos de l’artiste, de haut en bas :
1 – Hermann-Henry Gowa, photo Karl Michaely : lien
2 – Henry Gowa dans son studio à Nice en 1936, coll. Musée Juif de Francfort : lien
3 – Henry Gowa, 1955, coll. Musée Juif de Francfort : lien
J’avais déjà entendu parler de celui des Milles mais jamais de celui de Lambesc. Continuez de rédiger des articles de la sorte, ils sont vraiment très intéressants.