« Du droit à l’évasion » de Jacques Colombat n’est pas un traité d’escapologie !

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À première lecture, « Du droit à l’évasion » de Jacques Colombat semble faire l’apologie de l’évasion à la Marius Jacob. Or il n’en est rien ! Non, ce n’est pas un traité d’escapologie…
L’auteur, cinéaste et dessinateur, propose juste quelques pistes de réflexion sur l’enfermement et la privation de liberté à travers une foule d’anecdotes, issues de documents d’archives, de coupures de journaux et de citations en tout genre.
Cet inventaire à la Prévert des évasions réussies ou ratées, récentes ou anciennes, questionne le droit paradoxal à l’évasion. Ce recueil, abondamment référencé et illustré, interroge sur les « prisons ouvertes » et leur vertu. Jacques Colombat conclut ainsi : « Une prison sans murailles, sans serrures, sans grilles, sans barreaux, apparaît sans doute comme un progrès […]. Mais l’aboutissement ne serait-il pas de penser une prison sans prisonniers ? »
Le ton est donné, un brin provocateur, décalé et poétique. Regard sur la prison, vue de l’intérieur… pour mieux s’en évader !

Extraits…

« L’évasion est une opportunité que seule la prison peut offrir. Un projet d’évasion s’inscrit toujours contre le renoncement, le découragement. Il conteste le caractère irréversible de la condamnation, de l’autorité judiciaire et son exécution. Il suppose une résolution hors du commun, une constance, une ingéniosité au service d’un sens pratique qui demandera souvent des efforts physiques gigantesques. Toute incarcération devrait susciter un désir d’évasion, inévitablement, la pulsion vitale vers la liberté est le baromètre d’une bonne santé mentale. La résignation révèle un taulard malade, en danger, qui serait à présenter à un psychologue.

Si l’injustice de la condamnation, d’une peine jugée disproportionnée, des conditions de détention déplorables, des surveillants insupportables ne sont pas indispensables pour déclencher la prise de décision d’une évasion, ils peuvent y contribuer et révéler des vocations. »

« Du droit à l’évasion », Jacques Colombat, Riveneuve éditions, 2014, Paris

Un droit naturel

« Avant la loi Perben II (9 mars 2004), la justice tolérait un droit à l’évasion, si celle-ci ne faisait pas appel à la violence, à la corruption ou accompagnée d’effraction. On admettait le droit naturel à recouvrer la liberté. Si pour certains esprits le titre d’évadé pouvait être valorisant, il n’en restait pas moins que n’était pas auteur d’une évasion qui voulait. Ce titre se gagnait en respectant des règles très strictes énoncées par la loi. La première condition était, bien entendu, de faire partie au minimum de l’une des catégories suivantes : gardé à vue, détenu, condamné à une peine privative de liberté, placé sous écrou. À partir de cette situation, une absence prolongée et injustifiée ne méritait encore pas le titre d’évasion.

« Du droit à l’évasion », Jacques Colombat, Riveneuve éditions, 2014, Paris

Il restait en effet quelques conditions assez précises à remplir. Il fallait nécessairement que le candidat réalise sa fuite soit par violence, soit par effraction ou par corruption pour être reconnue par l’administration. N’étaient pas pris en compte les cas de fuites de détenus profitant de la négligence de personnels, de l’inattention de policiers ou faisant preuve de ruse, comme le cas de ce détenu qui lors d’une évasion par hélicoptère, s’accrocha au filin qui ne lui était pas destiné mais qui pendait de l’appareil. Dans ces cas, les détenus s’étaient bornés à profiter d’une occasion assimilable à un don, un avantage proposé, ils n’étaient pas à ce titre punissables. Les éléments constitutifs d’évasion n’étant pas alors réunis aux yeux de la justice, le titre officiel d’évadé n’était pas décerné. Dommage, mais les hommes ainsi rendus à l’air libre s’en faisaient sans doute une raison.

Depuis la loi Perben II qui a fortement aggravé la répression, le titre d’évadé a été beaucoup plus facile à obtenir. Longtemps, jusqu’en 2004 exactement, la loi est restée assez clémente avec ceux qui s’évadaient. Seul le « bris de prison » était vraiment réprimé : tant qu’on ne cassait rien, on ne risquait pas de voir sa peine aggravée. Façon de reconnaître une forme de « droit à l’évasion » que tous les avocats pénalistes abonnés au grand banditisme ont eu l’occasion de plaider au moins une fois dans leur carrière, le plus souvent avec un certain succès. Parce que l’évasion, aux yeux des jurés de cours d’assises, “ c’est presque une légitimité quand tu es enfermé ”, soutient Me Jean-Yves Liénard, l’élégant routier des prétoires. »

« Du droit à l’évasion », Jacques Colombat, Riveneuve éditions, 2014, Paris

Connivence

« On trouve parmi des avocats, des surveillants, des infirmiers, des cas de participation à des évasions par connivence. Ils encourent de lourdes peines, jusqu’à dix ans de détention. Toutes les personnes autorisées à pénétrer dans un établissement pénitentiaire ou à approcher des détenus opèrent sous la menace de pareilles sanctions en cas de connivence. Les plus exposés sont ceux qui bénéficient de ce genre d’autorisation : médecins, aumôniers, notaires, policiers, magistrats. »

Escapologie

« L’escapologie n’a rien d’une science exacte, l’imagination lui sert de carburant. Pour l’homme invisible imaginé par Wells seuls les objets qu’il manipule révèlent sa présence : un chapeau qui semble se déplacer seul dans l’espace, les marches d’un escalier qui se mettent à grincer sans raison. L’homme invisible crut ainsi gagner la liberté en se retranchant du monde. L’escapologie ou l’art de l’évasion s’applique parfaitement aux performances d’Harry Houdini. Homme de spectacle, son numéro connut un succès mondial au tout début du xxe siècle. On lui entravait les membres à l’aide de chaînes, de cordes, de menottes, de cadenas, de serrures et il réussissait chaque fois à s’en libérer brillamment en un temps record. Il augmenta encore les difficultés de sa démonstration : ainsi ligoté, il se faisait enfermer dans une malle, elle-même solidement bouclée par des chaînes cadenassées, le tout étant jeté dans une rivière. (Houdini mourut paisiblement dans son lit à Détroit le 3 octobre 1926.)

Si l’artiste imagine de nouveaux obstacles à sa libération, c’est en espérant un plus grand succès auprès du public. À l’inverse, les évasions des taulards n’ont rien d’un acte gratuit. Ils n’en espèrent rien moins qu’un changement radical de leur destin. Un point commun réunit cependant ces deux exercices pratiques : les ressources de l’imagination mises au service des contraintes chez l’un, au service de la liberté chez les autres. »

Prisons ouvertes

« Les principes de la réforme du système carcéral sont connus de longue date. Les textes du congrès pénitentiaire de Bruxelles de 1847 seront paraphrasés par la commission Amor de mai 1945 :

« Du droit à l’évasion », Jacques Colombat, Riveneuve éditions, 2014, Paris

• La peine privative de liberté a pour but essentiel l’amendement et le reclassement social du condamné.
• Un régime progressif est appliqué en vue d’adapter le traitement du prisonnier à son attitude et à son degré d’amendement. Ce régime va de l’encellulement à la semi-liberté. […] Le bénéfice de la liberté conditionnelle est étendu à toutes les peines temporaires.
• Le traitement infligé au prisonnier […] doit tendre principalement à son instruction générale et professionnelle et à son amélioration.
• L’assistance est donnée aux prisonniers pendant et après la peine en vue de faciliter leur reclassement.

Voilà qui est bel et bon, mais comment ne pas s’étonner que depuis près de deux siècles le constat de l’échec des prisons ne se traduise que par le maintien de ses règles ? »

Prisons ouvertes ?

« Évoquer l’enfermement ouvert peut paraître aussi antinomique que de fermer les maisons closes, mais l’une de ces deux propositions semble davantage porteuse d’avenir. »

Sources :

« Du droit à l’évasion », Jacques Colombat, Riveneuve éditions, 2014, Paris.

Jacques Colombat est un réalisateur de cinéma d’animation français né le 6 janvier 1940. Il a notamment travaillé avec Jacques Prévert, Pierre Prévert et Paul Grimault. Il réalise son premier court métrage d’animation, La Tartelette, en 1967. Il a également travaillé au studio d’animation de Shanghai, en Chine, lors de la réalisation de son long métrage Robinson et compagnie. La suite sur Wikipédia

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