1940-1945, l’Aquitaine au microscope, comme jamais !
Par Jacky Tronel | vendredi 3 février 2012 | Catégorie : ACTUALITÉS, Dernières parutions | Pas de commentairePour la première fois à l’échelle d’une région, 30 chercheurs entreprennent d’expliquer comment fut perçu et vécu le régime de Vichy, en focalisant leurs regards et leurs analyses sur l’Aquitaine. Au terme d’une étude minutieuse au plus près des réalités locales, ils révèlent comment en Dordogne, en Gironde, dans les Landes, en Lot-et-Garonne et dans les Pyrénées-Atlantiques, le pouvoir vichyste a cherché à s’organiser, à s’implanter et à réprimer. De ce tableau exceptionnellement détaillé émerge une Aquitaine où sévit une minorité collaboratrice et collaborationniste, mais aussi une population qui, pour partie, s’accommode de Vichy pendant qu’une autre, sans résister explicitement, refuse au quotidien un régime qu’elle désapprouve.
« Vichy en Aquitaine » est un ouvrage collectif co-dirigé par les historiens Jean-Pierre Koscielniak et Philippe Souleau, récemment publié aux Éditions de l’Atelier. Trois auteurs périgordins y ont contribué : Jacques Puyaubert (« Un républicain aquitain sous Vichy : Georges Bonnet »), Bernard Reviriégo (« Les GTE en Dordogne : des camps de travail forcé au service de Vichy ») et Jacky Tronel (« Du Cherche-Midi à Mauzac : origines et fonctions de la prison militaire de Paris repliée en Aquitaine »).
Une approche micro-historique
Réduire l’échelle pour approfondir et élargir les connaissances, telle était l’intention des auteurs. En décortiquant l’Aquitaine comme territoire représentatif au plan géographique, sociologique, économique et politique, la trentaine de chercheurs engagée dans cette aventure scientifique apporte une contribution historique inédite livrant des réponses qui bousculent le communément admis.
De gauche à droite : Jacky Tronel, Jean-Pierre Koscielniak, Philippe Souleau, Séverine Pacteau de Luze et Jacques Puyaubert.
Photo Jean-Claude Faure, journal Sud-Ouest
Dans sa préface, l’historien Denis Peschanski qualifie la démarche micro-historique des auteurs qui consiste à aller vers le plus petit, comme « seule échelle à laquelle les mécanismes complexes peuvent être évalués ». Dans sa conclusion, Jean-Marie Guillon souligne que « cette approche remet en question bien des idées simples ». Dix ans de recherche auront été nécessaires aux trente chercheurs pour faire aboutir ce travail qui s’inscrit « dans un vaste effort de compréhension d’un phénomène complexe ».
L’Aquitaine comme un laboratoire
Trois convictions de terrain ont présidé à la construction de l’ouvrage :
1. – Les situations locales offrent l’occasion de passer au crible les différents niveaux de fonctionnement administratifs permettant de mieux appréhender l’impact du régime sur la société, sur les sociétés, devrait-on dire ;
2. – L’Aquitaine, mosaïque de pays marqués par des identités fortes et une tradition rurale dominante, est un extraordinaire territoire d’expérimentation du « retour à la terre » prôné par la Révolution nationale de Vichy ;
3. – La situation stratégique de l’Aquitaine la place au cœur des événements. Son ouverture sur l’Atlantique, la proximité des Pyrénées comme zone frontalière et la ligne de démarcation qui traverse la région lui octroient un rôle et une position essentiels (une zone permanente de guerre, une forte pression de l’occupant).
Encadrer, Enraciner, Réprimer
Structuré en trois parties, l’ouvrage scrute les spécificités des cinq départements aquitains dans ce qu’elles ont de notoire pour la recherche sur la Seconde Guerre mondiale.
1. Encadrer – Le système vichyste repose sur un encadrement décentralisé « centralisé ». Pour nous permettre de le comprendre, Philippe Souleau analyse tous les rouages de l’appareil administratif. Il détaille le rôle et les pouvoirs réaffirmés des préfets départementaux, véritables proconsuls dès 1940 et observe la mission des préfets régionaux, nouvellement créés. Ces acteurs de l’administration territoriale sont les relais du régime auprès de la population ; ils jouent un rôle prééminent dans la rupture avec le modèle républicain au profit d’un modèle autoritaire. Leurs prérogatives en matière économiques et sociales sont immenses. Ils assurent aussi une mission de contrôle de l’ordre et de la sécurité.
La première partie du livre observe également le comportement des élites, niveau essentiel de l’organisation politique et sociale de la France des années 1940. La région Aquitaine cumule les contraires et les contradictions : à la culture radicale animée par un idéal républicain bien ancré, s’opposent les courants communistes et néo-socialistes et celui, puissant, de la droite catholique, nationaliste et réactionnaire. Qu’ils soient hommes politiques, hauts fonctionnaires ou membres éminents du clergé, le rôle des notables a été fondamental pour relayer, faciliter, ralentir ou contrer les desseins du régime. Jacques Puyaubert évoque le cas du périgordin Georges Bonnet – ancien ministre des Affaires étrangères puis de la Justice – et approfondit les raisons qui l’ont amené a joué, jusqu’en 1943, « la partition du maréchalisme ».
2. Enraciner – L’État se pose en pédagogue exclusif. La propagande est un outil prépondérant pour instruire et rallier l’opinion à l’« union de la Nation », pour « l’adhésion à l’œuvre du Maréchal ». La presse, sous contrôle, est incontournable pour véhiculer les messages du Gouvernement. Autre pilier du pouvoir vichyste, la censure. Manipulation, orientation, désinformation, quel fut l’impact réel du système d’information propagandiste sur la population ? L’analyse des comportements, à l’échelle territoriale ou dans le cadre de groupes sociaux (syndicats, folkloristes, hiérarchie catholique, protestants), dévoile au lecteur ces arcanes comme dans un roman passionnant.
3. Réprimer – Les politiques répressives sont au cœur de l’histoire de Vichy. Chaque département en a subi les violences. De l’exclusion à la déportation, la répression et la persécution ont pris une ampleur considérable et un caractère protéiforme qui font de l’Aquitaine un territoire spécifique. Police, gendarmerie et milice, inféodées au pouvoir, ont mis en œuvre ces politiques de répression et d’exclusion avec une violence légitimée.
Par ailleurs, comme en témoignent les Groupements de travailleurs étrangers (pas moins de huit en Dordogne) étudiés par Bernard Reviriego, les camps de Gurs, de Mérignac et de Casseneuil, la centrale d’Eysses, ou encore « la prison militaire de Paris repliée à Mauzac » dont Jacky Tronel retrace l’exode jusqu’à Gurs puis le repli à Mauzac en Dordogne, les lieux d’enfermement sont nombreux dans le Sud-Ouest. Ici plus qu’ailleurs, ces espaces incarnent les politiques ostracisantes et répressives de Vichy qui traquent les « indésirables », définis selon des préceptes raciaux, sociaux et religieux.
« L’approche régionale permet d’entrer dans la finesse de l’analyse. De fait, plus on s’approche du terrain, plus on prend ses distances avec les analyses sommaires de la société. Il est rare cependant de disposer d’un panel aussi large d’études sur une même région qui autorise, à la fin de l’ouvrage, de disposer d’une vision à la fois globale et détaillée », telle est la conclusion du préfacier, Denis Peschanski, historien spécialiste des camps d’internement français de la Seconde guerre mondiale.
Vichy en Aquitaine, sous la direction de Jean-Pierre Koscielniak et Philippe Souleau, préface Denis Peschanski, postface Jean-Marie Guillon.
Les Éditions de l’Atelier, novembre 2011, 440 pages, 30 €, ISBN 978-2-7082-4034-6.
Pour connaître la liste complète des 30 contributeurs ainsi que le titre de leurs communications, suivre ce lien…
Les photos ont été prises le 21 janvier 2011, à l’occasion de la présentation et de la signature du livre, à Ste-Foy la Grande (Gironde), à l’invitation de la société d’Histoire « Les Amis de Sainte-Foy et sa région » et de son président, Jacques Puyaubert.
© Photos Jean-Claude Faure, journal Sud-Ouest.