Émile Bauchet, militant pacifiste écroué à la prison militaire de Paris
Par Jacky Tronel | mardi 5 juillet 2011 | Catégorie : Dernières parutions, DES HOMMES… | Pas de commentaireDéserteur en 1919, rattrapé dix ans plus tard par la justice militaire et condamné le 10 juillet 1929 à un an de prison, Émile Bauchet est écroué au Cherche-Midi jusqu’en avril 1930. Objecteur de conscience militant, il rejoint la Ligue internationale des combattants de la paix (LICP) et fonde, en décembre 1958, le Comité national de résistance à la guerre et à l’oppression (CNRGO).
Au cours de sa détention à la prison militaire de Paris, Émile Bauchet reçoit de nombreux témoignages de soutien
provenant de mouvements pacifistes d’inspiration chrétienne. Cliquez sur la photo pour lire la lettre.
Biographie sommaire
Né le 23 février 1899 à Roissy-en-France (Seine-et-Oise), BAUCHET Émile, Alexandre meurt le 7 août 1973, à Villers-sur-Mer (Calvados). C’est le dernier-né d’une famille de dix enfants, fils d’un jardinier alcoolique et d’une blanchisseuse. Deux de ses frères sont tués à la guerre, un troisième est gazé, l’un de ses beaux-frères, père de trois enfants, meurt à la guerre également.
Après un apprentissage dans la maçonnerie, il est mobilisé en 1919 et déserte quatorze mois plus tard. Arrêté en 1929, il est condamné à un an de prison par un tribunal militaire,
le 10 juillet 1929. Louis Lecoin (à qui l’on doit le premier statut des objecteurs de conscience : loi n° 63-1255 du 21 décembre 1963), Han Ryner et Georges Pioch témoignent en sa faveur… Il purge sa peine à la prison militaire du Cherche-Midi, à Paris. À la faveur d’une remise de peine, il est libéré en avril 1940.
Son parcours de militant pacifiste
Au début des années 1930, Bauchet exerce la profession d’entrepreneur de transports à Dives-sur-Mer (Calvados), en association avec le militant anarchiste Paul Barbé.
Objecteur de conscience, il collabore, de 1927 à 1936 au Semeur de Normandie (Caen & Falaise, 280 numéros, de juillet 1923 au 25 novembre 1936), organe de défense des objecteurs de conscience fondé par Alphonse Barbé, frère de Paul, en 1923. À la suite de la liquidation judiciaire du journal, en novembre 1932, Bauchet succède à Barbé en tant qu’administrateur.
Émile Bauchet créée et préside la Fédération calvadosienne de la Ligue internationale des combattants de la paix (LICP) qui se signale par une activité assez intense dans la première moitié des années 1930. Aux dires du préfet, elle comprend alors dix sections et cinq cents adhérents, organisant de nombreuses réunions et conférences, souvent animées par Marcelle Capy ou Robert Jospin.
Il est également membre du bureau national (trésorier) aux cotés de Georges Pioch (président) et René Gérin (secrétaire général). La LICP compte également un Comité d’honneur comprenant, entre autres membres, Romain Rolland, Victor Margueritte, Victor Méric, Georges Duhamel, Sébastien faure, Jules Romains, Félicien Challaye, Han Ryner, Henri Jeanson, Gérard de Lacaze-Duthiers, Maurice Rostand, Rudolph Rocker, Stefan Zweig et Upton Sinclair. Par ailleurs, il collabore à La Patrie humaine, au Barrage et à La Voie de la Paix (Auberville sur mer, au moins 199 numéros d’octobre 1951 à 1973), publication dont il est le gérant et qui disparaît avec lui.
En juillet 1935 il est l’un des signataires, au nom de la LICP, d’un manifeste paru dans Le Libertaire (12 juillet) appelant à l’organisation d’une conférence nationale contre la guerre et l’union sacrée et dont le secrétariat est assuré par Robert Louzon. Le manifeste est signé par de nombreux militants anarchistes et syndicalistes.
En 1951, Émile Bauchet et Félicien Challaye fondent La Voie de la Paix, organe pacifiste de résistance à la guerre et à l’oppression.
Sous son impulsion et celle de Félicien Challaye, ex-président de la Ligue Internationale des Combattants de la Paix (LICP) fondée par Victor Méric avant 1939, naît le Comité National de Résistance à la Guerre et à l’Oppression (CNRGO), le 2 septembre 1952.
« La philosophie du pacifisme »
Extraits du supplément à La Voie de la Paix, 25 février 1958, Auberville-sur-Mer :
En introduction, Félicien Challaye, l’auteur de la brochure, définit la philosophie du pacifisme en ces termes : « Les membres du Comité National de Résistance à la Guerre et à l’Oppression, les rédacteurs de La Voie de la Paix, sont d’accord pour condamner toute guerre, quel que soit son prétexte, quelle que soit sa cause. Ils repoussent tout préparatif de guerre, tout armement collectif, toute organisation militaire, tout traité, tout pacte visant à grouper certains pays en vue d’une guerre possible. Leur pacifisme est un pacifisme absolu, un pacifisme intégral. Dans un esprit de tolérance, nous ne refusons point la qualité de pacifiste à certaines personnalités qui, aimant sincèrement la paix, croient devoir, cependant, accepter la guerre pour répondre à ce qu’ils nomment une agression non provoquée, et qui, à cet effet, consentent à une armée baptisée par eux défensive. Tel fut le cas, par exemple, du grand Jean Jaurès, si profondément attaché à la paix qu’il est mort pour elle, et, cependant, auteur d’un ouvrage recommandant une Armée Nouvelle. Il s’agit donc, ici, d’un pacifisme relatif […]
On peut croire sincère le pacifisme relatif de certains esprits subtils et de certains cœurs généreux. Mais nous nous refusons à qualifier de pacifiste tout groupe, tout parti, tout État admettant la guerre et l’armement, sous quelque forme que ce soit.«
Dans cet opuscule de 48 pages évoquant La Philosophie du Pacifisme (février 1958), l’auteur abordent quatre formes de Pacifisme qu’il désigne ainsi : l’utilitarisme (doctrine de l’intérêt personnel et de l’intérêt général) ; l’intuitionnisme moral (faisant appel à une donnée immédiate de la conscience morale qui ordonne de ne causer aucun mal à autrui) ; le théisme « plusieurs penseurs chrétiens des premiers siècles, – Origène, Lactance, Tertullien, – repoussent délibérément toute guerre et, par voie de conséquence, condamnent le service militaire. Cette thèse trouva des fidèles qui l’appliquèrent jusqu’à la mort. Plusieurs martyrs préférèrent la mort au service militaire. À toutes les époques, l’esprit chrétien fait naître des sentiments qu’il faut bien appeler internationalistes et pacifistes. […] Parmi les objecteurs de conscience actuels, beaucoup estiment qu’ils doivent obéir à l’ordre de Dieu : tels, aujourd’hui, les Témoins de Jéhovah. ») ; le panthéisme (« doctrine conduisant à la condamnation de toute guerre en raison des liens qui nous unissent à l’Être Infini).
[…] Entre ces diverses philosophies, il y a des points communs. Toutes affirment la valeur de l’être, le prix de la vie humaine. Pour toutes, la guerre apparaît à la fois crime et folie ; le crime des crimes et la folie des folies ; ou encore, selon la formule de Léonard de Vinci ‘la plus bestiales de toutes les bêtises’.
C’est en apparence seulement que l’opposition à la guerre paraît être d’ordre négatif. La guerre est une négation, la négation des existences, des droits humains, des joies humaines. Le militarisme générateur de guerre est une négation. Les logiciens nous apprennent que la négation d’une négation est une affirmation. En niant la valeur de la guerre et du militarisme, nous affirmons la valeur d’une humanité délivrée des sanglants massacres et des ignobles misères, la valeur d’un monde embelli et pacifié. »
À propos des courriers de soutien reçus au Cherche-Midi
Les 24 et 27 septembre 1929, l’agent principal Innocenzi, commandant la prison militaire, transmet en communication au gouverneur militaire de Paris (Bureau de la Justice militaire) plusieurs courriers à l’adresse du détenu Bauchet, « pour avis sur la remise au destinataire ».
La lettre de The Young Anti-Militarists et la carte ci-dessus n’ont jamais été transmises à Émile Bauchet… Ci-dessous la traduction (effectuée par le Bureau de la Justice militaire) de la carte envoyée de Bulgarie par Ivan K. Iordanov, Gara Trembech, Trnovsko, Tirnova, Bulgarie.
Y avait-il concordance de vues entre ces tenants d’un pacifisme théiste et Émile Bauchet ? La question reste posée…
Source : Dictionnaire international des militants anarchistes
Service Historique de la Défense – Département de l’Armée de Terre / Cote 9 N 357.