« Die Zukunft », un journal allemand antifasciste au camp de Gurs
Par Jacky Tronel | lundi 12 juillet 2010 | Catégorie : Dernières parutions, RECHERCHES | 4 commentairesFondé par l’Allemand Willi Münzenberg en octobre 1938, « Die Zukunft » est présenté comme « la revue des émigrés antihilériens ». Son existence est éphémère… En septembre 1939, deux exemplaires réussissent à pénétrer au camp de Gurs.
Groupe d’internés politiques allemands du camp de Gurs, arborant fièrement Die Zukunft (source AN, F/7/15125).
Demande de permission d’envoi du Die Zukunft aux internés parlant allemand
Le 17 novembre 1939, les administrateurs du journal Die Zukunft (dont le siège se situe au 41 boulevard Haussmann, Paris IXe) adresse la requête suivante au commandant du Camp de Meslay-du-Maine (Mayenne) : « L’hebdomadaire Die Zukunkt paraît à Paris depuis plus d’un an. N’ayant jamais causé la moindre observation de la part des autorités françaises, notre journal continue à paraître sans interruption avec l’approbation du Commissariat Général à l’Information de la Présidence du Conseil. Die Zukunkt est l’organe officiel de l’Union Franco-Allemande dont voici les membres français les plus éminents : MM. Jean Paul-Boncour, Yvon Delbos, Mgr E. Beaupin, MM. Jean Perrin, Ernest Pezet, etc. Avec l’appui de ses collaborateurs, entre autres des hommes d’État et des politiciens français et anglais comme MM. Winston Churchill, Anthony Eden, Duff Cooper, Lord Davies, le Ministre de l’Extérieur des États-Unis, M. Ickes [Harold LeClair Ickes], le Ministre de l’Intérieur de la Suède Arthur Engberg, MM. Henri de Kerillis, Georges Duhamel, etc. Le journal a mené – toujours avec la même énergie – une lutte contre Hitler et Staline… »
La même démarche est entreprise auprès du commandant du Camp de Gurs… Le 6 septembre 1939, Paul Eduard Koch accuse réception de deux exemplaires du journal, ce sont eux que l’on aperçoit sur la photo.
Antifascistes allemands, lecteurs du Die Zukunft
Paul Edouard Koch, interné au camp de Gurs en compagnie d’un petit groupe d’anciens brigadistes allemands et autrichiens écrit à la rédaction du journal : « Le plus tragique en tout est que nous courrons le péril d’être considérés comme les disciples de Staline. » Quelques jours plus tard, le 25 septembre 1939, la direction du Die Zukunft lui adresse un message d’encouragement : « Plusieurs de nos amis se sont engagés, d’autres sont partis pour les centres de travailleurs volontaires. Nous ne sommes qu’un très petit cercle, qui est resté ici et notre travail est limité. Le journal paraît toujours. Depuis la déclaration de la guerre trois numéros viennent de paraître. […] Maintenant Staline a laissé tombé le masque, les troupes russes ont donné le coup de poignard à l’armée polonaise. […] Si nous vainquons, nous vainquons sur nos ennemis mortels ensemble : sur Hitler et Staline. »
Paul Eduard Koch, interné à Gurs, répond à la question posée par l’hebdomadaire Picture Post :
« Devrions-nous aider la Finlande », dans un tract intitulé : « Nous avons deux ennemis mortels : Hitler et Staline ! »
Willi Münzenberg, fondateur du Die Zukunft
« Après l’incendie du Reichstag en 1933, Willi Münzenberg s’exile à Paris. Avec ses amis, Arthur Koestler, Manès Sperber, Paul Nizan et tant d’autres, il met au point le Livre Brun, un réquisitoire contre la terreur antisémite et le nihilisme national-socialiste immédiatement traduit dans dix-sept langues. Göring qualifie Münzenberg de « premier ennemi du Reich » ! Mais Willi Münzenberg ne s’arrête pas là. Ecœuré par le pacte germano-soviétique, l’ancien maître de la propagande de l’Internationale Communiste s’oppose désormais à Moscou ! Il écrit : « Staline ! Le traître c’est toi ! » dans son hebdomadaire, Die Zukunft. […] Interné par le gouvernement français parmi des milliers d’exilés antifascistes alors que la Wehrmacht menace le pays, Willi Münzenberg est assassiné par des agents staliniens dans une forêt d’Isère en juin 1940. »
Extrait d’une bio présentée par Alain Dugrand, co-auteur avec Frédéric Laurent de « Willi Münzenberg : Artiste en révolution (1889-1940) », Fayard, 2008. Photo : source www.lescommunistes.org
En rupture avec l’Internationale communiste à partir de 1937, Willi Münzenberg déclare, dans un texte qu’il destine vraisemblablement aux autorités françaises : « Il me semble que la conquête et la transformation du Parti Communiste est impossible de l’intérieur, je commence à en convaincre certaines personnes importantes et des fonctionnaires des organisations communistes pour préparer ma rupture. En même temps je me rallie à plusieurs leaders bien connus de l’opposition allemande bourgeoise en organisant avec eux le Deutsche Freiheitspartei. […] En été 1938 je fais mes préparatifs pour la publication de la Zukunft qui devient l’organe des meilleurs éléments de l’opposition allemande à Paris, Londres et aux Etats Unis. Le premier numéro du journal paraît au mois d’octobre 1938, marqué par mon article « la déclaration d’alliance de la classe ouvrière allemande » qui contient mon programme. En France je participe à la création de l’Union Franco-Allemande […] Une organisation parallèle se constitue à Londres et est initiée en Amérique pendant l’été 1939. Après avoir quitté le parti, j’ai rassemblé mes amis et collaborateurs et nous avons constitué le groupement des « Amis de l’Unité Socialiste d’Allemagne » qui s’engage activement dans la lutte contre le Parti Communiste et l’Internationale Communiste. Nous avons des succès éclatants dans toutes les agglomérations de l’émigration en France, Angleterre, Belgique, Danemark, etc. En Allemagne, nous sommes entrés en relation avec quinze centres importants de la lutte clandestine. Plus de la moitié des anciens combattants allemands en Espagne qui se trouvent actuellement au camp de Gurs sont devenus membres de notre groupement. Je ne me dissimule pas que toute cette activité multiple était possible uniquement par l’appui des autorités françaises. Je regrette qu’en ce moment le travail de ce groupement se trouve entravé par l’arrestation de quelques-uns de mes collaborateurs. […] Je serais heureux de pouvoir continuer une activité qui sert la libération du peuple allemand, la cause de la France et de l’humanité entière. »
…cité dans le livre « Willi Münzenberg 1889-1940, un homme contre », colloque d’Aix en-Provence de mars 1992, Éditions Le Temps des cerises, 1993.
En novembre 1939, Die Zukunft adressé aux internés allemands (Joseph Knau, Gustav Seidel, Joseph Dichpol et Johann Staffenberger) du Camp de Gurs se heurte à un « Retour à l’envoyeur » (AN, F/7/15125)
Si vous avez reconnu quelqu’un sur l’une des photos des internés politiques allemands et autrichiens du Camp de Gurs, n’hésitez pas à me le faire savoir en laissant un commentaire…
Pour info, les archives du Die Zukunft sont conservées au Caran en F/7/15123-15130.
Juste une remarque à propos de la citation de Dugrand et Laurent sur le Livre Brun… Dire de lui qu’il s’agit d’« un réquisitoire contre la terreur antisémite et le nihilisme national socialiste »… me semble discutable. Le Livre brun était surtout une arme de propagande autour du procès Dimitrov. Münzenberg fut d’ailleurs un stalinien aveugle jusqu’en 1938, essentiellement chargé de la propagande de l’Internationale. Effrayé par les procès de Moscou, il s’est ensuite dégagé des affaires en cherchant des soutiens du côté des démocraties… C’est pourquoi il me semble plus approprié de dire que « Münzenberg et ses amis chargés de la propagande de l’Internationale communiste ont fait du Livre brun un réquisitoire sans faille contre Hitler et contre ce que le système nazi secrète en lui de terreur, notamment antisémite ».
With regard to the first photo: is it possible that the man third from the right with his hands in his pockets and jacket open is Willi Munzenberg? Although I believe he was interned at Camp Chambaran in 1940. Are you sure these photos were taken at Gurs?
Même s’il semble y avoir une ressemblance, il y a peu de chance pour que l’homme en question soit Willi Münzenberg. Vraisemblablement, la photo a été prise au camp de Gurs, car dans ce même dossier (Archives nationales, F 7/15125), il y avait d’autres photos de Gurs et il semblerait que ce soit les mêmes baraquements… À ma connaissance, Willi Münzenberg n’a pas été interné à Gurs, mais bien au camp pour étranger de Chambaran, près de Lyon. De plus, une personne m’a assuré que cet homme blond qui a les mains dans les poches serait Walter Todt, antifasciste allemand, ancien membre des Brigades internationales, actif dans la résistance française et connu sous le pseudonyme de Jean-Jacques Boulanger (décédé en 1995)…
Merci pour cette correction. Je vous félicite pour votre site Web très informatif. Ces photos sont merveilleuses.