« Tu ne tueras point », le film censuré de Claude Autant-Lara
Par Jacky Tronel | jeudi 1 novembre 2012 | Catégorie : Dernières parutions, VARIA | 2 commentairesAdler est un jeune séminariste allemand que ses convictions pacifistes font détester de ses camarades, mobilisés comme lui. Lors de la libération de Paris, il exécute un résistant. Pour fuir ce cauchemar, il entre dans un cloître. Mais, dans le but de se couvrir, son sergent, qui a ordonné son exécution, incite le supérieur du couvent à engager Adler à se livrer.
Au Cherche-Midi, il se retrouve voisin de cellule de Jean-François Cordier, un objecteur de conscience de religion catholique qui a, malgré la guerre, obstinément refusé de porter une arme. En cours de procès, Cordier se déclare objecteur de conscience athée, et non plus religieux. Adler, pour avoir tué et obéi, sera acquitté, tandis que Cordier, pour avoir refusé de tuer et désobéi, sera condamné à un an de prison tacitement renouvelable.
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Fiche technique du film « Tu ne tueras point »
Film français – Yougoslavie-Liechtenstein, 1960.
Réalisateur, Producteur : Claude Autant-Lara ;
Scénariste, Dialoguiste : Jean Aurenche, Pierre Bost, C. Autant-Lara ;
Directeur de la photographie : Jacques Natteau ; Décorateur : Max Douy ;
Compositeur : Charles Aznavour ;
Interprètes : Laurent Terzieff (Jean-François Cordier), Suzanne Flon (Mme Cordier), Horst Frank (Adler).
Noir et blanc, 90 min.
Tribulations d’un réalisateur avec la censure
Tourné en Yougoslavie, avec des capitaux surtout italiens, par une équipe française, le film de Claude Autant-Lara, de langue française, est cependant une coproduction liechtensteino-yougoslave à majorité liechtensteinoise.
« Il faut saluer Autant-Lara pour son courage et son intégrité. Désireux depuis des lustres de tourner un projet intitulé L’objecteur, le fils de Louise Lara, éjectée de la Comédie-Française pour cause de pacifisme en temps de guerre, parvint contre vents et marées à réaliser ce vibrant éloge à ce qui est pour lui le courage suprême : le refus de porter les armes et de tuer ses frères, même sur ordre supérieur. Ne trouvant pas de producteur, il mit dans l’entreprise jusqu’à son dernier sou, alla tourner en Yougoslavie et tenta de pousser en pleine guerre d’Algérie le même cri que sa mère avait lancé en 14-18. Il n’y parvint pas, la censure qui veillait au grain n’ayant autorisé l’exploitation du film qu’en 1963, soit un an après les accords d’Évian. Son film devait être sacrément gênant puisqu’on s’arrangea pour le faire sortir pendant la saison morte, ce qui empêcha Tu ne tueras point de toucher un vaste public et de provoquer un salutaire débat sur le problème de l’objection. Son film doit gêner encore puisque jamais aucune chaîne de télé ne le reprend. Posant pourtant le problème avec une grande clarté et une grande honnêteté, il constituerait un excellent point de départ à un débat des « Dossiers de l’écran ». On ne peut souhaiter qu’un jour Tu ne tueras point trouve la notoriété de son équivalent dans le domaine de la chanson, Le déserteur de Boris Vian. »
Texte de Guy Bellinger, Guide des films de Jean Tulard, Robert Laffont, Paris, édition 2005.
Le pacifiste et libertaire Louis Lecoin, photographié devant l’affiche du film de Claude Autant-Lara,
« Tu ne tueras point » [source].
« A partir de 1958, Claude Autant-Lara tournera encore 13 films, de qualité inégale, mais empreints d’une salutaire pensée libertaire. De cette dernière période, je voudrais retenir deux titres Tu ne tueras point et Le journal d’une femme en blanc. Fidèle aux convictions de sa jeunesse et à la mémoire de sa mère, à 60 ans, Claude Autant-Lara, en pleine guerre d’Algérie, reprend son bâton de pèlerin pour la défense du pacifisme dans le monde. Tu ne tueras point qui s’est d’abord appelé L’Objecteur, met en scène un jeune homme qui refuse de porter les armes pendant la deuxième Guerre Mondiale. Laurent Terzieff est impressionnant dans le rôle. On sent, derrière le travail de l’acteur, un engagement moral personnel. L’entreprise fut ardue. N’ayant pas trouvé de financement, le cinéaste investit son propre argent dans la production du film qui sera finalement tourné en Yougoslavie. Sélectionné au Festival de Venise en 1961, L’objecteur – Tu ne tueras point sera présenté sous pavillon yougoslave, la France ayant refusé qu’il concoure sous pavillon français. Suzanne Flon obtient le prix d’interprétation féminine [voir l’affiche]. Mais Autant-Lara n’en a pas fini avec les difficultés. Le film reste bloqué deux ans, la censure n’autorisant son exploitation en France qu’en 1963, soit un an après les accords d’Évian. »
Extrait du discours de Francis Girod, prononcé lors de sa réception sous la Coupole, en hommage à Claude Autant-Lara. [lien].
Claude Autant-Lara, politique et polémique…
Claude Autant-Lara, né Claude Autant le 5 août 1901 à Luzarches (Val-d’Oise), meurt le 5 février 2000 à Antibes (Alpes-Maritimes), à l’âge de 98 ans.
Après le succès populaire, en 1946, de Sylvie et le Fantôme, avec Odette Joyeux, le réalisateur français met en scène, l’année suivante, Micheline Presle et Gérard Philipe dans Le Diable au corps, tiré du roman de Raymond Radiguet.
Anticonformiste et provocateur, il affirme : « Si un film n’a pas de venin, il ne vaut rien ». Le film est salué à sa sortie par le critique André Bazin mais quelques années plus tard, il devient l’une des cibles de François Truffaut dans son pamphlet contre le cinéma français dit « de qualité » intitulé « Une certaine tendance du cinéma français ».
En 1949, il adapte à l’écran la pièce de Feydeau, Occupe-toi d’Amélie, qu’il considérera comme son film préféré. Puis il enchaîne les comédies sombres et les aventures douces-amères comme L’Auberge rouge (Fernandel) en 1951, La Traversée de Paris (Jean Gabin, Bourvil et Louis de Funès) en 1956, La Jument Verte (Bourvil), inspirés de Marcel Aymé, et En cas de malheur (Jean Gabin et Brigitte Bardot) en 1959, d’après Simenon. Son adaptation du roman de Stendhal, Le Rouge et le Noir, en 1954, lui vaut de violentes critiques des futurs cinéastes de la Nouvelle Vague, qui lui reprochent d’incarner un cinéma dépassé. Dans un article publié dans les Cahiers du cinéma, le jeune critique François Truffaut s’en prend à ce symbole d’« une certaine tendance du cinéma français », dont les conceptions artistiques relèvent selon lui d’un autre âge. En réaction, Autant-Lara critiquera invariablement l’ensemble du mouvement de la Nouvelle Vague. [Source photo]
Il tourne encore une quinzaine de films avant de cesser ses activités de réalisateur dans les années 1970. Il publie alors plusieurs livres de souvenirs, des recueils de discours et des pamphlets comme Télé-Mafia, Les fourgons du malheur ou Le Coq et le Rat. Ses mémoires, intitulées La Rage dans le cœur et publiées en 1984, témoignent de son amertume.
Le 18 juin 1989, il revient sur le devant de la scène médiatique, de manière controversée – c’est le moins que l’on puisse dire – en étant élu au Parlement européen sur la liste du Front national. Doyen d’âge de la nouvelle assemblée, il préside – comme le voulait alors la tradition – la session inaugurale, en juillet 1989. Il prononce un discours où il exprime notamment ses « inquiétudes face à la menace culturelle américaine ». La quasi-totalité des députés sort de l’hémicycle afin de ne pas assister au discours d’un élu du Front national.
À la suite de cette polémique, il tient des propos reproduits par le mensuel Globe en septembre 1989, disant au sujet de Simone Veil : « Que vous le vouliez ou non, elle fait partie d’une ethnie politique qui essaie de s’implanter et de dominer… Oh elle joue de la mandoline avec ça [les camps de concentration]. Mais elle en est revenue, hein ? Et elle se porte bien… Bon alors quand on me parle de génocide, je dis, en tout cas, ils ont raté la mère Veil ! ». [source]
Le garde des Sceaux d’alors, Pierre Arpaillange, fait engager des poursuites pour « injures raciales, diffamation raciale et incitation à la haine raciale. » Claude Autant-Lara est relaxé, mais l’ampleur du scandale suscité par ses propos l’amène à démissionner de son mandat de député européen. En outre, les membres de l’Académie des beaux-arts, dont il était vice-président pour l’année, lui demandent de ne plus siéger parmi eux. Il est remplacé à sa mort par le cinéaste Francis Girod. Le 17 décembre 2003, de l’éloge qu’il prononce sous la Coupole on retiendra ceci : « Les errements de la fin de vie de Claude Autant-Lara entachent l’image de l’artiste et masquent la force d’une œuvre ». Source : Mashpedia [lien].
Voir la critique du film dans les Cahiers du Cinéma, tome XXV, n° 146, août 1963.
Salut,
Je m’intéresse beaucoup à ce beau film. Est-ce que vous savez où il est disponible ?
Merci en avance.
Mani
Bonjour,
En 1996, Claude Autant-Lara (1901-2000) léguait la totalité de ses archives personnelles à la Cinémathèque suisse, à Lausanne. Il doit donc s’y trouver…
Il semblerait qu’il soit également accessible aux chercheurs, sous la cote AGP98-B9, à La Cinémathèque Française, 51 rue de Bercy, 75012 Paris.
JT