Le repli tragique de la colonne de Cepoy (15-17 juin 1940)

Le samedi 15 juin 1940, au départ du camp de Cepoy (Loiret), 1 040 détenus de la prison militaire du Cherche-Midi et de son annexe de la Santé sont entraînés dans un exode qui va les conduire, à pied, jusqu’à Châtillon-sur-Loire. Ce repli tragique est marqué par l’exécution sommaire d’une quinzaine de prisonniers ; treize pour sûr, vraisemblablement davantage… Qui sont-ils, dans quelles circonstances ont-ils été abattus et pourquoi ?

L’évacuation de la prison militaire de Paris a été ordonnée par Georges Mandel, ministre de l’Intérieur, le 10 juin 1940. Au départ de Paris, quelque 1 865 prisonniers vont emprunter les routes de l’exode, à bord de bus de la TCRP et de camions militaires.

Scène d'exode, juin 1940. Jacky Tronel.

Scène d’exode, juin 1940. © Coll. Jean-Louis Audebert.

Le lendemain, mardi 11 juin, Orléans est la première étape de cet exode pénitentiaire. Le convoi fait halte au Camp des Groües, situé non loin de la gare des Aubrais. 825 prisonniers y sont débarqués tandis que la plus grosse partie du cortège poursuit son chemin jusqu’à Montargis où onze prisonniers condamnés à mort sont écroués à la maison d’arrêt en tant que « passagers ». Les autres, un peu plus d’un millier, poursuivent leur route jusqu’à Vésines, plus au nord. De là, à pied, ils sont dirigés vers les anciennes verreries de Montenon transformées en camp de détention, via le chemin de halage du canal du Loing, sur la la commune de Châlette-sur-Loing puis de Cepoy.

Le séjour à Cepoy est de courte durée. Le 15 juin, sur ordre de l’autorité militaire, une colonne de plus d’un millier de prisonniers quitte les lieux et emprunte, à pied, le chemin de halage du canal du Loing puis de Briare, en direction du Sud. Le lieutenant Buisson du peloton de Gardes mobiles de Montargis en assure le commandement.

Canal du Loing. Moulins en aval des Verreries de Montenon, Cepoy. Collection Jacky Tronel

Peu après leur départ du Camp de Cepoy, les prisonniers sont passés, à pied, devant les deux anciens moulins de Montenon et ont suivi le chemin de halage en direction de Châlette-sur-Loing. © Coll. Jaques Chollet.

L’un des repliés, Georges Decarli, se souvient de cette longue marche et de l’animosité qu’elle suscite : « La population se défoule-t-elle ou entretient-elle notre moral ? Elle nous insulte et crie : Tuez-les tous ! » Les instructions sont strictes : il ne faut laisser personne derrière. Deux pelotons de gardes mobiles encadrent la colonne des prisonniers, placée sous le commandement du capitaine Loyeux. Au cours de la première étape, longue de dix-huit kilomètres, Cepoy-Montcresson, « 6 détenus furent tués pour rébellion, tentative d’évasion ou refus de suivre » . Au cours de la deuxième étape, Montcresson-Briare, « 7 détenus furent tués pour les mêmes motifs » , ce qui porte à treize le nombre des détenus exécutés pendant la marche de la colonne de Cepoy à Briare. Or, les témoignages s’accordent tous pour dire que le nombre de prisonniers exécutés sommairement dépasse de beaucoup le chiffre officiel de 13 détenus abattus… Outre les exécutions, les désertions sont nombreuses, au point que sur les 1 865 prisonniers au départ de Paris, le nombre de ceux qui arrivent au Camp de Gurs, terminus du repli, est de 1 020.

Sources : SHD-DAT, Vincennes, sous-série 13 J et Archives Nationales, cote BB/18/3271.

Note blanche donnant des instructions sur les prisonniers du Cherche-Midi et de la Santé.

Selon de multiples témoignages, il est établi que le capitaine Loyeux a donné l’ordre de tirer sur les fuyards. Lui-même reconnaît que les armes de l’escorte furent chargées en présence des détenus, « en application stricte des instructions sur la conduite des prisonniers en temps de guerre » précise-t-il.

Le 11 mars 1941, il déclare : « Sur la quinzaine de détenus dont le dossier révèle la mort, quelques-uns étaient des fuyards, incontestablement. Par contre, plusieurs ont été abattus parce que souffrant de la faim depuis plusieurs jours (au même titre d’ailleurs que leurs gardiens qui n’étaient pas mieux alimentés) ou malades, ils n’ont pas pu suivre. Tel est notamment le cas de Ludre qui, atteint d’une violente crise d’asthme, n’aurait pu suivre la marche, pourtant fort lente, de la colonne ».

Dans une note du 7 mars 1941 sur les responsabilités engagées dans le meurtre du comte Thierry de Ludre, il est établi que « le massacre de ces traînards est l’œuvre d’un peloton de gardes mobiles de Vendôme (ou quelquefois de Marocains à qui les gardes disaient “ tire dessus ” ) commandées par l’adjudant-chef Boiteux […] Ce peloton gardait la partie arrière de la colonne, tandis que le Capitaine Loyeux se trouvait en tête, et recevait chaque soir le compte-rendu suivant : “ aujourd’hui X fuyards, dont X abattus ”. Un lieutenant, Bisson, qui commandait un autre peloton de la garde mobile, aurait invité Boiteux à cesser ces exécutions sommaires. Boiteux n’en a tenu aucun compte. Le dossier ne précise pas si Buisson avait signalé cette situation à Loyeux, qui seul avait qualité pour donner des ordres à Boiteux ».

Cet épisode méconnu de l’exode pénitentiaire illustre la grande confusion qui, au moment de la débâcle, règne à tous les niveaux du commandement. Deux éléments ont, semble-t-il, conditionné le comportement du personnel d’encadrement des prisonniers : premièrement, le souci de ne laisser échapper aucun espion ni membre appartenant à la « cinquième colonne » – jugée responsable du désastre frappant le pays – et, deuxièmement, la peur panique d’être rejoint par l’ennemi. Si l’extrême lenteur du repli alliée à la fulgurance de la percée de la Wehrmacht peut expliquer cette peur, le caractère expéditif et radical des mesures prises à l’encontre des détenus défaillants a de quoi surprendre sous un gouvernement, certes, déliquescent, mais toujours de la IIIe République.

Navigation de plaisance sur le canal du Loing, chemin de halage en aval du Camp de Cepoy, commune de Châlette-sur-Loing. © Photo Jacly Tronel.

Chemin de halage du canal du Loing, quelques centaines de mètres en aval du Camp de Cepoy.
Le 15 juin 1940, les détenus de la prison militaire de Paris empruntent ce chemin lors du repli pénitentiaire
qui les conduit jusqu’à Châtillon-sur-Loire. © Photo Jacky Tronel, août 2009.

Le 18 juin 1940, tous les ponts ayant sauté, le convoi de prisonniers se trouve dans l’impossibilité de franchir la Loire. Sur le point d’être rejoints par les Allemands aux environs de Châtillon-sur-Loire et Neuvy-sur-Loire, les détenus, profitant de l’absence de commandement et de la pagaille généralisée, s’égaillent dans la nature.

Dans une circulaire du 17 juillet 1940, Armand Camboulives, directeur de l’Administration pénitentiaire et des services de l’Éducation surveillée, évoque les « inconvénients graves qu’entraîne pour la sécurité publique la libre circulation de plusieurs centaines d’individus particulièrement dangereux ». Des consignes sont aussitôt données par le ministre de l’Intérieur en vue de leur arrestation…

Pour en savoir plus : La Prison militaire de Paris face à la débâcle de juin 1940

Écluse de la Sablonnière, à Conflans-sur-loing, près de laquelle le comte Thierry de Ludre aurait été exécuté, le 15 juin 1940.

Conflans-sur-Loing, panneau situé en façade de l’écluse de la Sablonnière, lieu présumé de l’exécution du comte Thierry de Ludre,
le 15 juin 1940. © Photo Jacky Tronel.

En 1993, Gaston Leloup, président de la Société d’émulation de l’arrondissement de Montargis, et son épouse, entreprennent des recherches dans toutes les communes traversées par la colonne de prisonniers. Pour l’été 1940, ils relèvent dans les registres de l’état-civil tous les décès d’individus inconnus, étrangers à la région et dont les corps ont été inhumés sur place pendant l’exode et exhumés ensuite pour être transférés dans les cimetières. À l’issue de ce travail minutieux, ils parviennent à identifier sept personnes qui auraient été abattus au cours des trois journées allant du 15 au 17 juin 1940. Les deux premières victimes de l’exode sont exécutées environ deux kilomètres après Montargis, à Saint-Firmin des Vignes, en bordure du canal de Briare. Le troisième est plus connu : Thierry de Ludre. Il est abattu juste avant l’écluse de la Sablonnière, à Conflans. On ignore les circonstances de la mort des deux suivants. On sait seulement qu’ils furent découverts au pied d’une passerelle traversant le canal, deux kilomètres après le bourg de Montbouy, au lieu-dit « Les Brangers ». La sixième victime est un boulanger, tué de sang-froid au faubourg Puyreau, sur la commune de Sainte-Geneviève, au lieu-dit Sainte-Potentienne. La septième et dernière exécution connue se serait produite à la suite d’une bousculade entre un garde et un détenu, du côté de Briare.

Sources : Le Camp de Montenon en juin 1940 et l’évacuation des prisons de Paris par Gaston Leloup,
Bulletin n° 94 de la Société d’émulation de l’arrondissement de Montargis.

Canal de Briare à Montbouy. Photo Jacky Tronel.Façade de l'écluse de Montbouy, sur le canal de Briare.

Village de Montbouy, situé au sud de Montargis, traversé par le canal de Briare et le Loing. Écluse n° 26.
© Photos Jacky Tronel.

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