Torsten Hecht : l’artiste inconnu du Camp de La Braconne

Le point de départ de cette histoire se situe à Monpazier (Dordogne). C’était un samedi de la fin du mois d’août 2009. Joëlle et Lucien, férus d’Histoire, organisaient une rencontre avec Sylvie et Jean-Louis. Sylvie nous présentait l’aquarelle (ci-dessous) dont le détenteur initial, Maurice Moreau, était casernier au camp de la Braconne. C’est ainsi que Maurice avait obtenu cette œuvre d’artiste, « en échange d’un service »…

Aquarelle réalisée à l'automne 1939 au Camp de La Braconne par Torsten Hecht, interné allemand

La signature figurant dans le coin inférieur droit du tableau étant à peine lisible, nous nous interrogions sur l’identité de l’auteur… Seule l’initiale du prénom (T) et les deux ou trois premières lettres du patronyme semblaient à peu près déchiffrables. Et nous hésitions entre HEL, MEL et NEL…

Signature Tortsen Hecht sur aquarelle d'un interné allemand du Camp de La Braconne.

Un appel à témoignages publié sur ce blog il y a plus d’un an n’ayant suscité aucun commentaire, je me suis décidé à aller consulter aux Archives départementales de la Charente, à Angoulême. J’y fus très bien accueilli. La présidente de la salle de lecture m’indiqua une double cote d’archives fort intéressante : 4 M 157 / 158. Et là, je parvins à identifier l’artiste inconnu du Camp de La Braconne !

Recherche aux Archives départementales de la Charente…

C’est une fiche signalétique « Formule A – Étrangers qui, munis d’une carte d’identité à validité normale, déclarent être réfugiés et demandent à bénéficier du droit d’asile » qui a attiré mon attention.
Elle était au nom d’un certain HECHT, Torsten, de nationalité allemande, « industriel dessinateur » de profession, signée par l’intéressé lui-même. « Fait à La Braconne le 11 février 1940 ».
Ce n’est pas la signature de ce document administratif qui m’a mis sur la voie, trop différente de celle de l’aquarelle ; c’est l’initiale du prénom, les lettres du nom ainsi que la profession de l’intéressé. Tout semblait correspondre…

Fiche signalétique de Torsten Hecht, interné au Camp de La Braconne

Qui était Torsten HECHT ?

Né le 7 août 1903 à Kiel, grand port sur la mer Baltique, en Allemagne, il est le fils de Hans HECHT et de Hanna LINDBERG, tous les deux de nationalité allemande. Torsten se marie le 27 décembre 1927 avec Marthe KARST, à Karlsruhe. Il est dessinateur industriel.

Le 11 février 1940, Torsten déclare s’être réfugié en France et reconnaît par la même s’être soumis aux prestations imposées par le décret-loi du 12 avril 1939.

Torsten Hecht : interné au Camp de La Braconne, déclaré apte en 1940.

Il figure sur une liste d’internés du Camp de La Braconne, déclarés « aptes » à être affectés dans une compagnie de travailleurs étrangers (CTE).

Extrait d'une liste manuscrire de ressortissants allemands internés au Camp de La Braconne en 1940.

Nous ne disposons d’aucune autre indication qui pourrait nous renseigner sur son affectation au sortir du Camp de La Braconne.
A-t-il été versé dans une compagnie de travailleurs étrangers ?
A-t-il été remis aux autorités allemandes conformément aux obligations imposées à la France par la convention d’armistice ?

En espérant que quelqu’un pourra nous en dire plus sur le parcours de Torsten Hecht… l’artiste inconnu du Camp de La Braconne.

Dans un prochain article, je reviendrai sur ce camp d’internement, « camp pour ressortissants d’une puissance étrangère ennemie » dont on ne sait que peu de choses, si ce n’est qu’il devint un camp américain après guerre…

Source : Archives départementales de la Charente, Angoulême, 4 M 157 – 4 M 158.
Aquarelle de Torsten Hecht : collection Sylvie Mascaut.

6 Commentaires de l'article “Torsten Hecht : l’artiste inconnu du Camp de La Braconne”

  1. GRUNEBAUM dit :

    Bonjour,
    T. HECHT a été versé dans une CTE en même temps que mon père et mon oncle. Ils ont pu quitter La Braconne véhiculés par des camions de l’armée et rejoindre la Dordogne (St-Astier) où nous étions réfugiés depuis août 1939. T. Hecht habitait la région de Périgueux. Il travaillait pour ou avec le Monoprix de Périgueux et permit à ma mère, qui confectionnait des balles à partir de losanges de tissus assemblés et remplis de sciure de bois (!!) d’en vendre un certain nombre à ce grand magasin. Ma mère connaissait Hecht car étant originaire de Karlsruhe comme son épouse. Celà devait se passer en 1943 ou 1944. J’ignore ce qu’il est devenu par la suite (émigration vers les Amériques ?)
    Cordialement, R.Grunebaum

  2. Jacky Tronel dit :

    Merci pour ces informations. Torsten HECHT a donc quitté le camp de La Braconne pour se rendre à Saint-Astier, en Dordogne…
    Il y avait à Saint-Astier le 645e Groupement de travailleurs étrangers (GTE), composé essentiellement d’Espagnols. Il fonctionna pendant toute la durée de la guerre.
    J’ai vérifié dans « Les Juifs en Dordogne » de Bernard Reviriego (Éditions Fanlac / Archives départementales de la Dordogne, Périgueux, 2003) et je n’ai pas trouvé trace de Torsten HECHT.
    Par contre, p. 345, l’auteur a consacré une fiche à GRUNEBAUM Edgar, qui pourrait être votre père ? :
    « GRUNEBAUM Edgar, allemand, né le 8 février 1908 à Rulzheim, commerçant, entré en France le 3 décembre 1935, date à laquelle il quitte la Sarre suite au plébiscite. Domicilié à Saint-Astier, rue Sadi-Carnot, avec sa femme, Laure HOMBURGER, née le 17 août 1912 à Karlsruhe. Il a sans doute un fils prénommé Robert, né le 25 mai 1939 à Strasbourg. Prestataire au 313e à Saint-Sauveur du 3 février 1940 au 22 octobre 1940. Il intervient pour faire libérer sa famille internée au camp de Gurs. Incorporé au 647e sous le matricule n° 647.574 le 11 juin 1942, dont il est libéré à l’issue de la guerre. Il est recensé à Saint-Astier au 1er mai 1944 ainsi que Laure et Else Grunebaum. Son épouse figure sur la liste des personnes à arrêter lors de la rafle du 26 août 1942, mais son nom est rayé de la liste avec la mention : enfant français [suivi des cotes d’archives suivantes] (42 W 9, 42 W 57 – dossier, 42 W 58, 42 W 61, 42 W 239-2 et 42 W 240). »
    Je pourrais vous mettre en relation avec Bernard Reviriego si vous le souhaitiez…
    Bien à vous, JT.

  3. Jacky Tronel dit :

    Jean-Jacques Delorme porte à notre connaissance que Torsten avait une sœur, Ingeborg Hecht, née le 11 février 1907. L’artiste aurait habité jusqu’en 1975 à Karlsruhe. Il serait l’auteur d’ouvrages dont Unserer Lieben Frau. Dichtungen des deutschen Mittelalters. Zusammen gestellt und mit Federzeichnungen verziert von Torsten Hecht, Freiburg, Momber, 1923. Quart, Orig.-Halbpergamentband mit goldener Deckelvignette, 30 S.
    Voici un autre lien vers un article (en allemand) qui fait également mention de Torsten Hecht : Ausstellung Helmut Mey
    Merci Jean-Jacques pour ces précisions.

  4. Wulf Klohn dit :

    Question : Qui était Torsten HECHT ?
    Réponse : L’information que vous avez sur mon oncle Axel Torsten Hecht est déjà assez bien fournie…
    Son paternel, Hans Hecht, était angliciste et professeur à l’université de Bâle, puis à partir de 1922 à l’université de Goettingen. En 1935 il a été forcé à prendre la retraite anticipée dans le cadre des persécutions nazies. Toutefois, il a été relativement protégé du à ses années de service militaire de 1914-18 ainsi qu’au fait que sa 2ème épouse, Hanna Meinhold, était arienne selon les critères nazis. Sa mère, Hanna Lindberg, était de nationalité finlandaise et de culture suédoise. Elle a été philologue et à ce qu’il semble la première femme à obtenir un doctorat en philosophie de l’université de Helsinki. Hanna Lindberg est morte en 1909 quand Torsten n’avait pas 6 ans et sa fille Ingeborg juste un an et demi. Pendant la guerre 14-18 les enfants Hecht étaient parqués chez leur grand-mère Helene Hecht, née Bamberger, à Mannheim. Helene Hecht était nièce de l’homme politique allemand Ludwig Bamberger ainsi que du premier PDG de la BNP Henri Bamberger. Dans le cadre de la coopération franco-allemande de l’époque, Helene Hecht a été déportée le 20 octobre 1940, à l’âge de 86 ans, vers le camp de Gurs. Etant donnée qu’il lui était interdit de porter avec elle ses médicaments, elle est sans doute morte le même jour. Je ne sais pas où sa dépouille a été balancée – possiblement dans une fosse commune à Colmar.
    Torsten Hecht a appris et exercé le métier de scénariste à Berlin, Mayence et Karlsruhe. Il a perdu son job avec le théatre municipal de Karlsruhe dans le cadre de la première loi raciste du régime nazi. Je ne sais pas exactement ce qu’il a fait après mais j’imagine qu’il a traversé le fleuve pour se refaire une existence à Strasbourg. Je l’ai rencontré à Karlsruhe en 1964 et puis encore en 1974, mais à l’époque je ne savais pas comment l’interroger. Il était patron d’une entreprise qui montait des expositions (Kama). Selon ce que je crois savoir (mais je ne possède pas de preuves), Torsten a pris le chemin de la France profonde au moment de la drôle de guerre. Plus tard il s’est joint à la résistance et a pris la nationalité française avec le nom de Alex Brochet (brochet étant la traduction de hecht). Torsten boitait un peu suite à un impact de balle reçu lors de ses activités de résistant. Il a été en Algérie mais ce qu’il a vu là ne lui a pas plu. Il est devenu soldat français et a rejoint la colonne De Lattre de Tassigny, avec laquelle il est rentré en Allemagne traversant le Rhin à Karlsruhe. C’est là qu’il a pris congé des militaires et repris ses activités civiles. J’ai l’impression subjective que ses concitoyens le regardaient avec un mélange d’admiration (encore vivant?) et de haine (puisse-t-il crever!), dont il se foutait éperdument.
    Marthe, son épouse, a toujours été avec lui. Elle était belle et avait été « prima ballerina » au théâtre. Selon un témoignage, pour Marthe, « le soleil se levait et se couchait avec Torsten ». Moi, je l’ai connu pas riche, comme ses ancêtres, mais toujours grand seigneur.
    Ineborg Klohn née Hecht, soeur de Torsten, est l’auteur de nombreuses publications ethnologiques au Chili. Ingeborg Hecht, celle qui a écrit sur les misères de la vie en Allemagne pendant la période nazie, appartient a une autre famille avec le même patronyme.

  5. GRUNEBAUM Robert dit :

    C’est avec plus d’un an de retard que je reprends contact : en effet, je n’avais pas reconsulté votre blog après ma contribution dans la recherche de T. Hecht (qui a été retrouvé à Karlsruhe). Je suis effectivement le Robert Grunebaum du livre de M. Reviriego, ancien archiviste du Département de la Dordogne [Les Juifs en Dordogne, Éditions Fanlac / Archives départementales de la Dordogne, Périgueux, 2003]
    Mes grands parents, paternels et maternels, étaient internés à GURS, d’où mon père et ma tante, Mme ROSENTHAL ont réussi à les libérer ! J’ignore totalement dans quelles circonstances une telle libération a pu se faire : peut être avez vous des explications à ce sujet ?
    Avec mes excuses pour ce long décalage et mes meilleurs voeux pour 2013.
    Bien cordialement,
    Robert GRUNEBAUM

  6. Wulf Klohn dit :

    Il se trouve sur le Web des informations sur le Camp de Gurs, par exemple les dessins de Mickey Mouse d’un detenu du nom de Horst Rosenthal :
    http://thenoisingmachine.wordpress.com/2009/11/02/mickey-mouse-in-the-gurs-internment-camp/
    Horst Rosenthal a par la suite été transféré à Auschwitz et n’est pas revenu. Gurs était un camp établi pour acueillir des réfugiés de la guerre civile espagnole et a été abandonné dès la fin de cette guerre. Quand en octobre 1940 les Gauleiter Bürckel et Wagner ont arrangé la déportation en France des juifs de Bade, le Palatinat et l’Alsace-Lorraine, à ce qu’il apparaît les autorités françaises n’avaient pas été prévenues. Il a fallu trouver vite un campement pour acueillir tout ce monde, ainsi que le droit de voie ferrée pour les transporter. Gurs était déjà abandonné et les conditions d’accueil étaient éxécrables mais, bien que la mortalité était haute, ce n’était pas un camp d’êxtermination. Les conditions de Gurs se sont améliorés petit à petits et nombreux sont les detenus qui ont obtenu la libération par voie administrative ou se sont évadés. D’autres, tel que Rosenthal, ont été transférés « vers l’Est » sur demande des Allemands.

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