« Le fait religieux en prison : configurations, apports, risques » à Sciences Po, octobre 2013
Par Jacky Tronel | vendredi 1 novembre 2013 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | 3 commentairesLes 28 & 29 octobre 2013, la Direction de l’Administration pénitentiaire (DAP/PMJ5), avec le concours de l’École de droit de Sciences Po et le soutien du GIP Mission de recherche Droit et Justice organisait deux journées d’études internationales à Sciences Po, Amphithéâtre Chapsal – 27 rue Saint Guillaume, 75007 Paris. Le thème en était : « Le fait religieux en prison : configurations, apports, risques ». En voici le compte-rendu établi sur la base de notes prises à la volée…
« L’esprit moderne s’est défini avant tout par sa lutte contre la religion. […] il faut refuser ouvertement l’idée de la rupture entre les ténèbres de la religion et les lumières de la modernité, car le sujet de la modernité n’est que le descendant sécularisé du sujet de la religion. » Alain Touraine, Critique de la modernité, 1992.
Argumentaire
Les liens entre la prison et la religion ont en France une origine ancienne et ont fortement évolué. Ultime réconfort et caution charitable dans l’ensemble disparate des prisons d’Ancien Régime, puis composante majeure du « traitement pénitentiaire » dans une institution progressivement légitimée à affirmer cette vocation (naissance de la prison pénale), la présence religieuse vise aujourd’hui à satisfaire l’exercice d’un droit reconnu aux personnes détenues. La laïcisation de l’institution qui, jusqu’à l’abord des années 1990, correspondait au mouvement de fond de sécularisation de la société française, doit dorénavant composer avec la pluralisation religieuse de la population incarcérée. À l’image d’autres institutions républicaines, la prison est traversée par des revendications qui, sans nécessairement remettre en cause son caractère laïque, l’invitent à considérer le fait religieux comme une dimension structurante de la vie carcérale.
Cette réémergence du phénomène religieux pose logiquement des questions à l’administration pénitentiaire, notamment : – celle de la cohabitation institutionnelle des religions en prison et dès lors de l’organisation des cultes par l’autorité administrative et les aumôneries – et celle de la coexistence même des croyants, et de leurs relations aux autres, notamment non croyants, dans un contexte où les emprunts au registre religieux relèvent plus nettement que par le passé des formes de codification qui règlent la vie sociale en détention : présentation de soi, relations intra-carcérales, rapport à l’autorité.
Ces questions ont été examinées au cours de ces journées d’études sur la base des résultats de deux recherches inédites – dont l’une soutenue par la Mission de recherche Droit et Justice – enrichies de comparaisons internationales.
Ouverture et présentation des Journées
par Christophe JAMIN, directeur de l’École de Droit de Sciences Po et présentation des Journées par Isabelle GORCE, directrice de l’administration pénitentiaire.
La mise en place des cultes en prison découle de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’état dont l’article 2 pose le fondement légal des services d’aumônerie :
« La République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. En conséquence, à partir du 1er janvier qui suivra la promulgation de la présente loi, seront supprimées des budgets de l’État, des départements et des communes, toutes dépenses relatives à l’exercice des cultes.
Pourront toutefois être inscrites auxdits budgets les dépenses relatives à des services d’aumônerie et destinées à assurer le libre exercice des cultes dans les établissements publics tels que lycées, collèges, écoles, hospices, asiles et prisons. »
… de l’article 26 de la loi du 24 novembre 2009 pénitentiaire :
« Les personnes détenues ont droit à la liberté d’opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix, selon les conditions adaptées à l’organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l’établissement. »
… et de l’article D439-3 du code de procédure pénal :
« Les aumôniers et les auxiliaires bénévoles d’aumônerie ne doivent exercer auprès des détenus qu’un rôle spirituel et moral en se conformant aux dispositions du présent titre et au règlement intérieur de l’établissement. »
C’est donc l’administration pénitentiaire qui fixe le cadre de leur mission. Leur rôle est d’assurer la célébration du culte et de fournir une assistance spirituelle.
Il y a en France 1 312 aumôniers des prisons (914 bénévoles et 398 rémunérés). Ils représentent 6 cultes (catholique, protestant, israélite, musulman, orthodoxe et bouddhiste), plus un septième : témoin de Jéhovah, depuis la décision du Conseil d’État du 6 octobre 2013.
Mme Valérie DECROIX, directrice interrégionale des services pénitentiaires Est-Strasbourg, préside la séance du lundi après-midi.
Profil, rôle et éthique professionnelle des aumôniers de prison : évolutions et mise en perspective
L’aumônerie et les associations catholiques dans les prisons de France au XXe siècle
par Olivier LANDRON, maître de conférences en histoire à la Faculté de théologie de l’Université catholique de l’Ouest.
Historique de la formation de l’Aumônerie générale des prisons (1945), à partir de l’action du Père François Marty et de l’abbé Rodhain.
Rôle des associations catholiques dont l’OVDP (Œuvre de la Visite des Détenus dans les Prisons), association fondée en 1932 et que Paul Amor associa à sa réflexion en vue de la réforme pénitentiaire de 1945 qui prévoyait un statut aux visiteurs de prisons.
L’aumônerie au défi du changement religieux
Description de la situation actuelle quant au rôle et à la place des aumôneries (dans un contexte de pluralisation religieuse), par Céline BÉRAUD, maître de conférences en sociologie à l’Université de Caen, corresponsable de la recherche financée par la DAP (Direction de l’administration pénitentiaire) sur le fait religieux en prison.
Avec l’ouverture au pluralisme religieux, nous assistons à la transformation d’un paysage jusque-là monolithique. C’est ce que révèle l’enquête sociologique et ethnographique menée dans les prisons à la demande de la DAP.
Évolution des effectifs des aumôniers : ils sont passés de 638 en 1995 à 1298 en 2011. La moitié est catholique, le quart est protestant et un dixième est musulman. Le modèle catholique façonne et « formate » les nouveaux aumôniers représentant les autres cultes. S’il existe une diversité de profils, l’engagement masculin est majoritaire, plus de la moitié d’entre eux est non clerc. Quant à la moyenne d’âge, elle se situe autour de 62 ans. L’article 2 de la loi de 1905 rend possible mais non indispensable leur rémunération.
Si l’on assiste à une diversité des modalités d’intervention, le socle commun est constitué par la célébration du culte et de l’assistance spirituelle. L’aumônerie n’est pas une institution figée, elle est vivace du fait de l’émergence de nouvelles religions dont l’islam. L’importance du modèle catholique pourrait représenter une difficulté pour les nouveaux cultes, de même que la non rémunération est susceptible de poser un problème en terme de recrutement. C’est particulièrement sensible avec les aumôniers musulmans, en sous-effectif.
La nomination de nouveaux aumôniers repose sur le principe de la double confiance, celle de l’aumônier national référent, d’une part, et celle de l’administration pénitentiaire, d’autre part. On exige d’un aumônier qu’il maîtrise bien la langue française.
L’aumônerie de prison en Angleterre et au Pays-de-Galles
par Danièle JOLY, professeur à l’Université de Warwick et directrice du Centre de relations ethniques (CRER)
L’islam présent en Grande-Bretagne est très différent de celui que l’on connaît en France. Il est caractéristique de la péninsule indienne (Bangladesh, Pakistan) et, dans une moindre mesure, de l’Afrique orientale. En qualité de membre du Commonwealth, les membres de minorités ethniques sont considérés comme des citoyens à part entière. On peut parler d’institutionalisation de l’islam dans les prisons de Grande-Bretagne.
En 1976, une loi interdisait la discrimination sur la base de la couleur et de la race d’origine. En 2010, le critère de la religion était ajouté. Le Service des prisons s’engage à respecter et à promouvoir la non discrimination raciale et religieuse vis-à-vis du personnel, des détenus et des visiteurs. Les musulmans se sont mobilisés et ont profité de ces lois sur la discrimination illégale pour s’afficher et obtenir des accommodements (vestimentaires par exemple).
En Angleterre, la prison est considérée comme « une fabrique de vertus ». Cette tâche est dévolue à l’aumônier. Il lui incombe de prendre en charge la santé morale, mentale et spirituelle du détenu. Il a obligation d’enregistrer la religion du prisonnier à son entrée et a le devoir de le visiter dès son arrivée.
Les trois principales fonctions nécessaires et indispensables à l’ouverture d’une nouvelle prison sont celles de gouverneur, médecin et aumônier. C’est dire si la fonction d’aumônier est valorisée. Il possède un statut de prestige aux prérogatives importantes allant même jusqu’à la gestion de la prison. C’est un fonctionnaire. L’aumônier principal est anglican. Les membres de religion minoritaire ont les mêmes droits que ceux de la religion majoritaire.
En Grande-Bretagne, il y a 84 000 détenus (86% de chrétiens et 12% de musulmans) répartis dans 136 prisons qui comptent 50 aumôniers à plein temps et 150 aumôniers à mi-temps, sans compter les visiteurs de prison.
L’aumônerie de prison en Suisse
par Mallory SCHNEUWLY PURDIE, responsable de recherches, Université de Lausanne, qui présente les résultats de l’enquête : « Enjeu sociologique du pluralisme religieux dans les prisons ».
Il n’y a pas d’aumônerie nationale en Suisse. Le pays, formé de 26 cantons, est un état fédéral. Il compte 170 prisons d’une capacité de 3 à 450 places. Dans le cadre des aumôneries, seules deux églises sont reconnues : l’église catholique romaine et l’église évangélique réformée. Les fidèles d’autres religions peuvent, sur demande, recevoir des visites d’un représentant de leur confrérie ou religion. Dans les faits, des arrangements pragmatiques se font au cas par cas. Il existe par exemple trois aumôniers salutistes. 30 visiteurs religieux officient. On trouve parmi eux : les témoins de Jéhovah, les quakers, les mormons, des représentants de la mouvance New Age, des nonnes bouddhistes et des pasteurs évangéliques.
Le service d’aumônerie est universaliste. Le magistère d’un aumônier de religion catholique ou réformée s’adresse à tout détenu, quelle que soit sa religion. La pratique religieuse est pensée en terme collectif et non individuel. Il n’existe aucun texte de loi en Suisse qui ancre le pluralisme religieux et la pluralité des intervenants religieux.
Table ronde en présence des aumôniers nationaux des prisons :
OUVERTURE DE LA JOURNÉE DU MARDI
Président de séance : M. Philippe POTTIER, directeur de l’ÉNAP (École de l’administration pénitentiaire, Agen)
Des connaissances nécessaires pour l’administration pénitentiaire
par Emmanuel BRILLET, chargé d’études, DAP/PMJ5
Il est nécessaire de mettre en perspective la place de la religion en milieu carcéral. L’administration pénitentiaire est profondément laïcisée. Sa doctrine est laïque et séculière. Après la période révolutionnaire, sous le Consulat mais surtout après la Restauration, on assiste à un retour de la religion qui devient consubstantielle à la peine d’enfermement. L’article 117 du règlement des prisons du 30 octobre 1841 prévoit que tout catholique assistera à la messe et tout jeune détenu au catéchisme. La figure de l’aumônier est valorisée.
Dans le contexte de l’affirmation du régime républicain, les choses semblent s’inverser. Le règlement du 11 novembre 1885 prévoit la suppression de l’obligation d’assister aux offices religieux. Le 6 février 1947, le rôle de l’aumônier est cantonné au pastoral, au spirituel. On assiste à une perte d’influence de la culture religieuse.
La tendance s’est à nouveau inversée avec la pluralisation religieuse et la recrudescence de la demande d’assistance spirituelle. Cela va de paire avec un réinvestissement de la référence religieuse chez les jeunes générations issues de l’immigration. La religiosité est revivifiée et s’affiche publiquement.
Le fait religieux est à appréhender dans sa dimension structurante de la vie carcérale. La laïcisation de l’institution doit être reconsidérée à l’aune du fait religieux. Avec la réémergence du religieux, on assiste à un mouvement de bascule qui cette fois n’est pas impulsé par le haut, par l’institution, mais par le bas.
La référence à la religion apparaissant comme marqueur identitaire interroge. Le fait religieux renvoie à la dimension culturelle, au-delà du cultuel. La visibilisation des identités religieuses accentuent le communautarisme.
Le milieu carcéral ne doit pas être un enjeu d’appropriation religieuse. L’administration doit veiller à lutter contre le prosélytisme politico-religieux et se poser la question : À partir de quand la référence religieuse devient-elle intrusive ?
« Des hommes et des dieux en prison »
Présentation de la recherche sur le fait religieux en milieu carcéral : « La religion en prison au prisme d’une sociologie de l’action » par Céline BÉRAUD, maître de conférences en sociologie à l’Université de Caen, Claire de GALEMBERT, chargée de recherche au CNRS et Corinne ROSTAING, maître de conférences en sociologie à l’Université Lumière Lyon 2
Le religieux confine au cultuel, au culturel et à l’ethnique. La manifestation d’appartenance au religieux est complexe à interpréter. Les questions qui se posent à l’administration pénitentiaire :
Comment la religion vient-elle au détenu ? Des aumôniers, pour quoi faire ? Qu’est-ce que cela nous apprend sur la laïcité ?
L’universalité du principe de laïcité est à l’épreuve des usages. Son caractère est mouvant dans le temps et dans l’espace. On se dirige vers une véritable reconnaissance de l’utilité sociale de la religion. La religion est un outil de contrôle social. Elle est convoquée aux fins de palliatifs. C’est la « religion qui apaise ».
La reproblématisation de la question religieuse dans les années 2000 a conduit à la création d’un référent cultuel, la revalorisation du culte et de l’aumônerie accompagnée d’un rattrapage à l’égard des cultes « nouveaux entrants ». Les conséquences en ont été l’apparition d’un islam radical, la judiciarisation et la montée des droits (avec la médiatisation des rapports du contrôleur général des lieux de privation de liberté). Dernier exemple en date, le bras de fer entre les témoins de Jéhovah et l’administration pénitentiaire avec au final l’obtention d’un aumônier national témoin de Jéhovah.
L’offre cultuelle et culturelle est hétérogène. Le contraste entre établissements est important. On peut parler de laïcités négociées, entre interdits et tolérances. Trois types de gestion du religieux se détachent : gestion déléguée, régulée (négociée) ou défensive.
La religion peut constituer une ressource utile pour la gestion de la détention. Les usages de la religion par le détenu sont pluriels : 1 – pour soi : comme « bouclier identitaire », évasion spirituelle, source de re-personnalisation et prévention du suicide ; 2 – par rapport à autrui : pour exister autrement, pour se protéger ou s’imposer à autrui (caïdat religieux) ; 3 – en tant que ressource tactique : comme espace de liberté, outil de négociation, de résistance et de subversion.
La religion peut apparaître comme une ressource propice à l’intégration, un vecteur de structuration du prisonnier. On observe une stabilité des ancrages religieux, avec peu de ruptures radicales. La conversion en prison résulte davantage de la réactivation d’un processus commencé en amont.
Les aumôniers : une position aux frontières. Statutairement, ils ne sont pas soumis à l’administration pénitentiaire, bien qu’ils soient agréés par elle et qu’ils aient signé une convention avec elle. Leur espace d’intervention est protégé par la clef dont ils disposent et qui leur permet de circuler librement dans la détention, jusqu’aux quartiers disciplinaires.
Du fait de sa relation non contrainte, non hiérarchique et confidentielle avec le détenu, l’aumônier apparaît comme un facilitateur, un médiateur, une vigie. L’administration pénitentiaire attend de l’aumônier qu’il lutte contre la radicalisation religieuse, qu’il prévienne les suicides et qu’il neutralise les tensions. Ce rôle de « pompier », d’entre-deux, est difficile à tenir… Apparaissent quatre actions « idéales-typiques » de l’aumônier : 1 – celle du liturge (qui se tient à distance de l’administration pénitentiaire) ; 2 – celle du partenaire (interface) ; 3 – celle de l’agent (présentant un risque de subordination à l’administration) ; 4 – et enfin celle du militant (qui a un regard critique à l’égard de l’administration, au profit du détenu).
Les détenus musulmans sont victimes de logiques racisantes et discriminatoires. L’islam apparaît comme la « première religion carcérale »… Question : peut-on considérer les aumôniers musulmans comme partenaires de l’administration pénitentiaire et ne pas les rémunérer ?
Présentation de la recherche sur le processus de radicalisation religieuse en prison
… par Farhad KHOSROKHAVAR, directeur d’études à l’EHESS, Ouisa KIES, doctorante en sociologie et attachée de recherche au Cadis, EHESS et Nancy VENEL, maître de conférences en science politique à l’Université Lumière Lyon 2.
La focalisation exclusive sur l’islam peut engendrer un sentiment de stigmatisation du détenu, réel ou imaginaire.
La radicalisation, c’est la concomitance d’un double registre : 1 – une idéologie radicale et violente et 2 – le passage à l’action violente. Nous assistons à un changement de paradygme avec l’apparition d’un fondamentalisme religieux polyforme. Les frustrations dues à la surpopulation carcérale peuvent également conduire à la radicalisation religieuse.
Plusieurs types de fondamentalistes existent : le singleton (solitaire, il passe à l’action seul), le duo et le trio, ainsi que le converti pour qui l’islam est une forme de catharsis spirituelle et dont on ne sait pas si, à la sortie de prison, il versera ou non dans la radicalisation.
Nancy Venel fait remarquer que les rapports au religieux sont pluriels, protéiformes et susceptibles d’évoluer. La religion peut jouer le rôle d’appui éthique, donner lieu à une reprise en main de son existence, prendre la forme d’une résistance à l’homogénéité de l’institution carcérale, permettre l’affichage d’un signe distinctif et contribuer à une reconquête de sa liberté individuelle, de son intimité et de son identité propre.
La religion peut être vécue de façon conformiste par rapport à la tendance dominante, ou dans un esprit oppositionnel à la société et à l’administration pénitentiaire ou bien encore revêtir une forme de résistance souterraine… pour éviter le risque de perdre le bénéfice de ses remises de peines.
La population carcérale musulmane, en région parisienne, atteint les 60%.
Le rôle de l’aumônier est trop ambigu. Il reste à définir. Cela passe par une formation des aumôniers et des personnels pénitentiaires.
Table ronde
… en présence de MM. Louis-Xavier THIRODE, chef du bureau central des cultes au ministère de l’Intérieur ; Christophe MILLESCAMPS, directeur de la maison centrale de Saint-Maur ; et Julien MOREL d’ARLEUX, sous-directeur des personnes placées sous main de Justice, DAP.
Religion, réinsertion et prévention de la récidive : quelle place pour les intervenants religieux dans les programmes mis en œuvre en milieu carcéral ?
Président de séance : Jean-Paul WILLAIME, directeur d’études à l’École Pratique des Hautes Études (EHPE), ancien président de la Société Internationale de Sociologie des Religions (SISR).
L’exemple des programmes et prisons confessionnels aux États-Unis
… par Aurélie LA TORRE, chargée de cours en sociologie à l’Université de Miami / doctorante au Centre Maurice Halbwachs (CNRS/EHESS/ENS).
Ces programmes basés sur la foi font l’objet de contrats avec des organisations religieuses extérieures et ont pour principal objectif de réduire la récidive hors les murs. C’est une nécessité impérieuse pour les pouvoirs publics compte-tenu de l’inflation carcérale : En 1975, le taux d’incarcération était de 100 citoyens américains internés pour 100.000 habitants… en 2011, il était multiplié par 7 avec 716 internés pour 100.000… ce qui représente environ 7 millions d’Américains dans les prisons, soit 1 adulte sur 33.
À la fin des années 1990, George Bush a apporté son soutien aux mouvements évangéliques « Fraternité des prisons » [« Prison Fellowship » fut fondée aux États-Unis en 1976 par Charles W. Colson après qu’il eût purgé une peine de prison pour un délit lié au Watergate. Colson avait été auparavant le conseiller du Président Richard Nixon]. Quant à Georges Bush, il avait eu lui-même des problèmes d’alcoolisme et de drogue qu’il avait finit par résoudre en puisant dans la foi chrétienne d’un « Born Again Christian ». Les années 2000 devinrent « les années de la compassion » et nombreuses furent les organisations religieuses d’aide aux prisonniers à intervenir en milieu carcéral. Avec quels résultats ?
La question a été posée de savoir si ces programmes basés sur la foi avaient eu un impact sur la récidive. Sur la cinquantaine d’études réalisées, seules 5 sont exploitables ou pertinentes. Quatre d’entre elles ne relèvent aucune réduction de la récidive. Une seule note un léger effet positif. L’absence de résultats significatifs n’est pas preuve de résultats négatifs !
Le rôle de la religion dans la réhabilitation des sortant(e)s de prison dans l’ex-Allemagne de l’Est et en Italie
… par Irène BECCI, professeure assistante à l’Université de Lausanne.
La sortie de délinquance par le religieux : quelle dimension empirique ?
… par Marwan MOHAMMED, chargé de recherches ENS / CNRS
La religiosité est-elle un frein à la délinquance et à la récidive ? L’étude portait sur 70 cas étudiés dans les quartiers sensibles de l’Est parisien. 70% des 70 cas étudiés reconnaissent le rôle de la religion dans le phénomène de « dessistance » engagé. Ce phénomène se décompose en trois étapes : 1 – la conscientisation (préalable à l’action) ; 2 – l’initiative (la mise en actes), étape la plus fragile et 3 – la pérennisation qui repose essentiellement sur l’emploi. L’absence d’emploi à la sortie est synonyme de mort sociale. Les « sorties religieuses » sont hétérogènes et ne dépendent que des personnes qui s’y engagent en fonction des opportunités. On ne peut parler de rédemption par le religieux et encore moins de radicalisation par la religiosité lors de la sortie de prison.
Clôture et synthèse
… par Danièle HERVIEU-LEGER, directrice d’études à l’EHESS.
Rappel : la religion en prison est un fait minoritaire. Attention à l’effet de prisme induit par la présence de l’islam… L’espace carcéral participe de la sécularisation de la République. La pluralisation de la scène religieuse carcérale s’exprime dans une individualisation des parcours et une montée en puissance des attentes de communalisation.
Nous assistons à une dynamique de pluralisation qui ouvre des possibilités d’acclimatation ou d’accréditation à des religions socialement controversées telles que l’islam ou bien encore les témoins de Jéhovah.
Nous sommes passés d’un modèle de l’organisation de la prison à un autre : de la régénération possible du prisonnier par l’acceptation de la peine (au XIXe), à la prison devenue espace de socialisation et de resocialisation.
On a noté le trouble qui affecte la figure de l’aumônier (actuellement en phase de reconfiguration) dont le rôle a évolué vers l’assistance personnalisée en vue de créer du lien social et humain. La pluralisation du religieux provoque une accélération de la concurrence entre les différents acteurs (visiteurs, médiateurs, intervenants artistiques, enseignants, psys, éducteurs…). Nous sommes dans une phase de reconsidération de la fonction de l’accompagnant, source de tensions et de contradictions.
L’image renvoyée par les six aumôniers ayant participé hier à la table ronde est celle de « témoins d’une commune humanité ». Le religieux est perçu comme un laboratoire des échanges et des interrogations qui se posent entre le monde social et le monde carcéral.
Allocution de clôture de Mme Christiane TAUBIRA, Garde des Sceaux, ministre de la Justice
Il était environ 18 h… Devant prendre mon train pour retourner dans mon cher Sud-Ouest, je n’ai pu assister à l’allocution de clôture de la ministre.
Photo ci-contre : la ministre de la Justice dans son discours d’ouverture des journées d’études sur « Mineurs : l’éducation à l’épreuve de la détention », le 29 octobre 2012, à Sciences-Po Paris. À sa droite, Christophe JAMIN, directeur de l’École de Droit de Sciences Po. Source
D’après les échos qui me sont parvenus, à son arrivée, contrariée de n’avoir pas été attendue pour les paroles de conclusion, la Ministre a souhaité réentendre la totalité de l’intervention de Mme HERVIEU-LEGER…
La ministre s’est ensuite exprimée, pendant 1 h.15 environ, et a procédé à un tour d’horizon de la problématique de l’incarcération mais aussi du sentiment national actuel de désespérance et de perte de repères : « Mon optimisme indestructible est en train de se fissurer… Soyez, vous ici présents, le fer de lance du renouveau national ! » se serait-elle exclamée.
S’agissant du fait religieux en prison, voici la question qui se poserait à la Chancellerie : Le détenu est-il doté des moyens et de l’assistance spirituelle nécessaires pour ne pas revenir en détention ?… et non pas : restera-t-il attaché à une religion en particulier ?
Puis, s’agissant des aumôniers, Christiane Taubira aurait repris à son compte la notion de « témoins d’une commune humanité »…
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Sur ce même sujet, cf le résumé des journées d’études sur le blog d’Éric Rommeluère : lien
Merci pour ce compte-rendu assez complet de ces journées d’études sur ce thème d’actualité intéressant !
Il est utile en général d’observer comment cela se passe dans d’autres pays, pour profiter de leur expérience et élargir notre vision du sujet.
Dommage que vous n’ayez pas pu écouter le discours final de Christiane Taubira et l’avis qu’elle a éventuellement pu exprimer à propos de l’agrément des aumôniers témoins de Jéhovah, à la suite des récents arrêts du Conseil d’Etat.
Savez-vous si les actes de ces journées d’études seront prochainement publiés ?
Cordialement,
Davy.
Un représentant de la DAP à qui je posais la question de savoir si les actes du colloque seraient publiés un jour m’a répondu que s’ils devaient l’être, ce ne serait pas avant longtemps ! Ceux de l’année dernière « Mineurs : l’éducation à l’épreuve de la détention » n’ayant toujours pas fait l’objet d’une publication.
Je ne peux vous en dire plus…
Cordialement,
JT
Le fait religieux en prison : configurations, apports, risques. Actes des journées d’études internationales organisées par la Direction de l’administration pénitentiaire (DAP) les 28 et 29 octobre 2013 à Sciences Po Paris
Auteurs : Direction de l’administration pénitentiaire
Editeur : Ministère de la justice
ISBN : 978-2-11-131012-4
215 pages – Parution : 2014
Le texte intégral est disponible au format pdf sur le site officiel du ministère de la Justice : lien