“Hitler à Paris – Juin 1940” de Cédric Gruat
Par Jacky Tronel | lundi 6 septembre 2010 | Catégorie : ACTUALITÉS, Dernières parutions | Pas de commentaireC’est la « Blitz Besuch », la « visite éclair » d’Hitler à Paris, à une date que certains situent le dimanche 23 juin 1940, d’autres le 28, soit le jour anniversaire du Traité de Versailles…
Que sait-on de cette visite et des objectifs qu’elle poursuit ?
À quelle stratégie répond-elle ? Que se cache-t-il derrière ces images d’un Hitler se présentant sous les traits d’un amoureux de l’art et de la culture ?
C’est à ces questions que l’historien Cédric Gruat tente de répondre dans un essai critique paru sous le titre Hitler à Paris, juin 1940 aux Éditions Tirésias (juin 2010).
Une visite de Paris au pas de course…
Dès six heures du matin, en ce jour du mois de juin 1940, Hitler entreprend au pas de course une visite de Paris : l’Opéra, la Concorde, l’arc de triomphe. Sur l’esplanade du Trocadéro, il pose devant les photographes, dos à la Tour Eiffel, puis se dirige vers l’École militaire. Aux Invalides, il se recueille longuement devant le tombeau de Napoléon Ier. Il remonte ensuite vers le jardin du Luxembourg, s’arrête au Panthéon, descend le boulevard Saint-Michel à pied, ses deux gardes du corps à distance, remonte en voiture la place Saint-Michel. Sur l’île de la Cité, il admire la Sainte-Chapelle et Notre-Dame, puis la rive droite (le Châtelet, l’hôtel de ville, la place des Vosges, les Halles, le Louvre, la place Vendôme). Il remonte ensuite vers l’Opéra, Pigalle, le Sacré-Cœur, avant de repartir à 8 h.15. Un survol de la ville complète sa visite. Il ne remettra plus jamais les pieds à Paris.
Présentation de l’éditeur :
« En juin 1940, Adolf Hitler est à Paris. Les images tournées alors par la propagande allemande, suite de clichés réalisés à l’Opéra, à la Madeleine ou sur l’esplanade du Trocadéro, le montrent allant de monuments en lieux emblématiques dans une ville presque déserte. Contre toute attente et seulement quelques jours après la signature de l’armistice et le début de l’Occupation, le chef de l’Allemagne nazie ne vient pas célébrer sa victoire militaire sur la France, mais visiter en touriste incognito la Ville lumière pour la seule et unique fois de sa vie.
À travers une mise à nue sans concession, Cédric Gruat désarticule et « désarchitecture »
la visite de ce peintre raté dans cette ville unique qui incarne pour lui l’âme de la vie artistique. Levant le voile sur les mystères et les flous entourant cette véritable « traversée »
de Paris, il en montre les enjeux symboliques et propagandistes au-delà du récit traditionnel qui en est généralement fait. Et révèle la stratégie du dictateur allemand, alors obsédé par la fabrication de son mythe. »
Le compte-rendu de lecture de Nicolas Bernard :
« Juin 1940. La France s’est finalement rendue après six semaines de campagne à peine. Après cette capitulation, le vainqueur, Adolf Hitler, se rend personnellement à Paris pour en faire la visite. Photographié devant la Tour Eiffel, filmé, y compris même en couleur, le Führer s’est-il simplement comporté en touriste amoureux des arts, ou a-t-il, au contraire, paramétré ce bref séjour à des fins propagandistes, voire diplomatiques ? Étonnamment, cet épisode anecdotique du début de l’Occupation, mille fois évoqué, reste méconnu, jusque dans sa datation :
le 23 juin ? le 28 ?
L’historien français Cédric Gruat s’est intéressé à cet événement lourd de symboles, pour en déterminer la signification. Il souligne avec pertinence de nombreux éléments significatifs de cette visite : Hitler la conduit et la représente avec rapidité (au point que l’on parlera de Blitz Besuch, la « visite éclair »), en compagnie de l’architecte Speer et du sculpteur Brecker, ainsi que d’officiers de la Wehrmacht (ce qui n’était pas initialement prévu), ce pour faire le tour des principaux monuments de Paris, les plus emblématiques (l’Opéra, la Madeleine, la place de l’Etoile, les Invalides, le Trocadéro). Ce passage n’a rien d’improvisé : tout a été planifié jusque dans les moindres détails, la sécurité étant bien présente, quoique soustraite au regard des caméras – à l’exception notable des policiers français, réunis par la Préfecture à la dernière minute. Même la date semble avoir été calculée : il semble en effet que l’épisode intervienne le 28 juin 1940, c’est à dire 21 ans jour pour jour après la signature… du Traité de Versailles.
Il apparaît que l’objectif du dictateur nazi, d’après Cédric Gruat (et on le suivra volontiers),
a été plural. Tout d’abord, marquer sa victoire par l’image, en se réappropriant les emblèmes parisiens les plus connus. Ensuite, accentuer sa propre « générosité » :
Hitler ne détruit pas Paris, il la visite ; Hitler ne méprise pas Paris, il l’admire – et de pousser le vice jusqu’à se recueillir sur le tombeau de Napoléon (à l’instar de ce dernier se recueillant sur celui de Frédéric II en 1806). Bref, la tournée parisienne de Hitler met en avant son statut de triomphateur respectueux de l’adversaire. Hypocrisie, bien sûr (car Hitler cherche en réalité à éclipser la capitale parisienne en agrandissant sa propre capitale, Berlin), mais servant un discours diplomatique censé rassurer l’Occident sur ses propres intentions.
Indéniablement, cette visite démontre que Hitler avait le sens de la mise en scène. Ces images-choc du tyran occupant la « Ville Lumière » feront le tour du monde, récupérées même par la propagande adverse pour insister sur le danger nazi. Le film allemand de la visite ne sera toutefois pas diffusé en France avant longtemps – on lui préférera les séquences de la Libération, celles du peuple de Paris suivant de Gaulle faisant contrepoids au Paris désert de juin 1940…
L’étude brillante de Cédric Gruat révèle ainsi à quel point l’anecdote peut se révéler des plus significatives, et que l’histoire de la Deuxième Guerre Mondiale reste encore à réécrire, tant elle reste pétrie d’idées reçues. » Nicolas Bernard / Histobiblio.com.
L’auteur :
Né en 1973 à Paris, Cédric Gruat est historien. Ses recherches portent sur l’histoire de l’image et des représentations en France dans les années trente et quarante. Après avoir travaillé au Mémorial de la Shoah, il est actuellement conseiller historique pour la collection documentaire Mystères d’Archives (INA ; Arte). Il est l’auteur de l’ouvrage « Amis des Juifs. Les résistants aux étoiles », paru aux Éditions Tirésias en 2005. Il est également membre du comité de rédaction de la revue d’Histoire Arkheia.
Sur la photo, Hitler est entouré de l’architecte Albert Speer (à gauche) et du sculpteur Arno Breker (à droite).
© US National Archives / Roger-Viollet.