Au sujet des atrocités commises par les Allemands à la prison militaire de Bordeaux…
Par Jacky Tronel | vendredi 16 juillet 2010 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | 4 commentairesDu mois de septembre 1940 à la fin du mois d’août 1944, la prison militaire de Bordeaux occupait les bâtiments de la caserne Boudet, rue de Pessac, et devenait l’annexe de la prison allemande du Fort du Hâ. Les conditions de détention des prisonniers français nous sont connues grâce à la déposition faite le 16 novembre 1944 par Charles Maucourant, chargé de l’entretien des bâtiments militaires…
Le 16 novembre 1944, le Général commandant la 18e région militaire à Bordeaux, adresse « un procès-verbal d’audition renfermant d’intéressantes déclarations de M. Maucourant au sujet des atrocités commises par les Allemands à la Prison Militaire », caserne Boudet, rue de Pessac à Bordeaux.
Ancienne caserne Boudet, siège du tribunal militaire et de la prison militaire, quartier Saint-Augustin, Bordeaux.
Photo Jacky Tronel.
Procès-verbal d’audition
L’an mil neuf cent quarante quatre et le seize novembre, Nous, Gitard, Lieutenant Commandant la Prison militaire de Bordeaux, avons reçu de M. Maucourant, casernier, la déclaration suivante :
« Je me nomme Maucourant Charles ; je suis né à Limoges le 16 octobre 1901 ; je suis administrateur de la caserne Boudet et de la Prison militaire à Bordeaux, 188 rue de Pessac. J’exerce mes fonctions sous les ordres de la Chefferie du Génie ; ces fonctions m’appellent à parcourir constamment les bâtiments pour en assurer la conservation. Avant d’être administrateur des bâtiments j’étais chef magasinier au Parc régional du Génie qui occupait alors les locaux de la Prison Militaire. C’est dire que je connais parfaitement, depuis très longtemps, les moindres parties de la caserne et de la Prison. Pendant l’occupation allemande mes fonctions n’ont pas été suspendues. La Chefferie du Génie s’était transformée en un Service civil des Bâtiments, fonctionnant à Bordeaux, 67 rue du Commandant Arnoult et continuant, sur la demande des autorités allemandes, à assurer la garde et l’entretien des bâtiments militaires. Je n’ai donc pas cessé de me rendre tous les jours sur les lieux et j’ai pu ainsi effectuer d’intéressantes constatations sur les actes des occupants. »
Plan de la caserne Boudet, située à l’angle de la rue de Pessac et de la rue des Treuils, Bordeaux, 1947.
« La Prison militaire avait été réaménagée par le Génie français en mai-juin 1940 et le Parc du Génie avait été transféré rue François de Sourdis. Dès le mois de septembre 1940 les Allemands ont utilisé la Prison militaire pour y incarcérer des civils français ; la prison du Fort du Hâ regorgeait déjà de monde par suite des arrestations massives opérées dès l’arrivée des Allemands. Les premiers incarcérés à la Prison militaires étaient des hommes ; pendant deux semaines environ ils ont été gardés par des surveillants civils du Fort du Hâ placés sous les ordres de gradés allemands, puis très rapidement un personnel militaire allemand a pris tous les services de la prison sous le commandement du capitaine Bickel.
Quelques mois plus tard, les allemands ont fait murer toutes les ouvertures de l’ancien tribunal militaire et des pièces et logements attenants, de même que celles du bâtiment principal de la caserne Boudet. Tous s’est alors transformé en prison, et l’effectif des détenus, parmi lesquels ont alors figuré des femmes, n’a pas cessé d’augmenter.
Au début, le traitement des détenus était dur et brutal, et leur nourriture était insuffisante ; mais aucune torture ne leur était infligée. Cette situation a duré jusqu’au dernier mois de l’année 1943 ; à cette époque un changement subit est survenu à cet égard et j’ai été amené à constater les atrocités suivantes :
1° La nourriture des détenus, qui avait toujours été insuffisante s’est encore réduite ; d’après les déclarations que j’ai reçues de M. Norbert Dispersyn, demeurant 105 rue du Professeur Arnozan, Le Bouscat, qui était chef cuisinier des Allemands. Ces derniers se livraient à un trafic éhonté, détournant les denrées destinées à l’alimentation des prisonniers et les vendant au marché noir. Ces denrées étaient transportées par un camionneur nommé Antonio, qui était au service de M. Martinez, entrepreneur de transports rue Kléber à Bordeaux. Par suite de ces détournements, qui se faisaient au vu et au su des officiers, sans doute même avec leur complicité, l’alimentation des détenus ne comprenait plus que des soupes claires, du pain en boîtes [sic] et de l’eau.
2° Les détenus restaient constamment enfermés ; ils ne sortaient pas plus d’une fois tous les deux mois. Les Allemands avaient fait installer des w.c. et des lavabos à tous les étages pour n’avoir pas à laisser sortir les prisonniers. Lorsqu’ils sortaient, ils étaient contraints de passer leur temps à faire du pas gymnastique dans la cour, très souvent en tenant les mains en l’air. Lorsque l’un d’eux tombait sous le poids de la fatigue ou de la faim, il était frappé violemment par les sous-officiers à coups de cravache ou à grands coups de pied et il devait reprendre le pas gymnastique. Lorsqu’il n’en pouvait plus, il était porté dans sa cellule et violemment battu. »
« 3° Par tous les temps, les détenus qui ne voulaient pas parler étaient immergés, tout vêtus, dans le lavoir de la cour de la prison et on leur plongeait la tête sous l’eau pour les forcer à parler. Ce traitement ne cessait que lorsque le détenu restait sans connaissance ; on le ranimait alors et on l’incarcérait sans même lui donner de vêtements secs. Ce même traitement recommençait le lendemain et les jours suivants, jusqu’aux aveux.
4° Les Allemands ont fait transformer deux w.c. en cellules de punition. Dans ces cellules, de dimensions très étroites, ils ont placé un caillebotis en bois qui servait de plancher. Lorsqu’un détenu refusait de parler, il était mis aux fers et placé dans l’une de ces cellules. On avait soin, au préalable d’y verser de l’eau en quantité suffisante pour que le niveau dépasse d’un centimètre environ le plancher en caillebotis lorsque le détenu s’y trouvait. Ce dernier avait aussi les pieds dans l’eau et il ne pouvait se coucher à moins de s’allonger dans l’eau. Le séjour des détenus dans ces cellules de punition pouvait durer plusieurs jours. Ces cellules existent toujours.
5° À plusieurs reprises, ayant eu à m’introduire dans la chapelle de la prison, j’y ai remarqué la présence de madriers fixés au mur et supportant des crochets de pedottes, de menottes spéciales, de sangles et d’autres instruments. Je ne les ai jamais vu utiliser. Lorsque les Allemands ont été partis, ces divers instruments ont été remis au commissaire divisionnaire Chiron qui a dû les déposer à l’Intendance de police. Ils ont été reproduits en photographie par certains journaux locaux. J’ai alors appris qu’ils étaient utilisés pour torturer les Français détenus.
6° Les sous-officiers surveillants et les soldats allemands portaient constamment une cravache en nerf de bœuf et je les ai vus souvent en frapper violemment les détenus au cours de leurs rares instants de sortie dans la cour. »
7° Dans la cour d’entrée de la Prison militaire, les Allemands avaient installé deux grands chiens dont la niche est encore visible. Ces chiens étaient lâchés contre les détenus qui n’obéissaient pas assez vite. Un jour, vers 11 h.30 du matin j’ai vu les deux chiens que l’on dressait en les excitant, contre un détenu français amené dans cette cour. Ce détenu a été gravement mordu. J’ai dû me sauver pour éviter d’être aperçu et je n’ai pas su ce qu’il était advenu du malheureux mannequin vivant.
Le présent procès verbal d’audition a été clos et signé au jour et mois ci-dessus indiqués. »
Sources : Service Historique de la Défense, département de l’armée de terre, 13 J 1421 et 13 J 1497.
Il serait intéressant de recouper ce témoignage avec d’autres sources que celle des archives de la Justice militaire. Qui souhaiterait compléter cet article sera le bienvenu !…
Est il possible de trouver les archives de la caserne Boudet et si oui, y a-t-il un site?
Merci.
Comme indiqué dans l’article, les sources proviennent du Service Historique de la Défense (Vincennes), cotes 13 J 1421 et 13 J 1497. Il est également possible qu’il y ait des traces aux Archives départementales de la Gironde… À vérifier, car personnellement, je n’ai pas eu l’occasion de m’y rendre. JT
Bonjour,
Je suis historienne et je recherche des renseignements sur la détention de l’Abbé Bergey, curé de Saint-Emilion, au Fort du Ha de Bordeaux, de la Libération à son procès (acquittement en juillet 1950). Pouvez-vous m’aider ?
Bonjour,
Je détiens un tableau reproduisant une messe de minuit dans le fort du Hâ durant l’occupation allemande et signé RBS. Je souhaiterais plus d’informations sur son auteur . merci de me contacter si cela vous intéresse.