« Après la Shoah on avait dit : plus jamais ça… Et pourtant ! »
Par Jacky Tronel | vendredi 23 mai 2014 | Catégorie : ACTUALITÉS, Dernières parutions | 4 commentairesLe travail de Francine Mayran, psychiatre et peintre-céramiste, par deux fois présenté sur ce blog, continue à interroger la responsabilité des Hommes témoins de l’Histoire et des génocides, qu’il s’agisse de celui des Juifs, des Tsiganes ou, plus récemment, de celui des Tutsis, au Rwanda.
Une première exposition de peintures s’est tenue le 27 avril dernier (photos), au Centre Européen de la jeunesse à Strasbourg, pour la 20e commémoration du génocide des Tutsi. Jusqu’au 30 mai 2014, cette même exposition est présentée au Cercle Bernard Lazare, 10 rue Saint-Claude, Paris 3e.
Le génocide des Tutsis
Une exposition de portraits-symboles du génocide des Tutsi sur différents thèmes (résilience, transmission, héroïsme, dignité…) des victimes assassinées, rescapées et des Justes. Ce travail de mémoire interroge au travers de portraits de Rwandais, les drames de toutes les victimes de génocide et la responsabilité des Hommes témoins de l’Histoire.
Le travail de l’artiste Francine Mayran
■ Des portraits à l’huile sur fond de sable rouge, qui renvoient au Rwanda, ce pays « aux mille collines » de beauté légendaire où coulent le lait et le miel.
■ Des portraits, où l’on fait face à l’humain et à la capacité à l’inhumain chez l’homme, où domine un sentiment de dignité qui s’oppose à l’inhumanité, à l’avilissement perpétrée par les bourreaux.
■ Un drame collectif. On y compte, on y recompte sans cesse ses morts. Encore aujourd’hui, on continue à découvrir des fosses de victimes assassinées.
■ Des destins individuels : Un génocide, c’est la somme des milliers, des millions de destins individuels. Des victimes assassinées sauvagement. Des survivants qui portent des traces indélébiles, des hommes, des femmes dont le génocide à coups de machettes, est gravé dans leur chair, leur corps, leur âme. Mais aussi des Justes, des « braves » qui nous permettent de garder foi en l’Homme et en l’Humanité…
En savoir plus…
Lire sur ce blog :
« Peindre la Mémoire » avec Francine Mayran : lien
« Témoigner de ces vies – Peindre la mémoire » : dernier opus de Francine Mayran : lien
Site officiel de Francine Mayran : lien
Bibliographie de l’auteur : lien
Filmographie : lien
Press-book : lien
Sur le génocide, voir le site : « Programme de communication sur le génocide au Rwanda et les Nations Unies ». Il s’agit d’un programme d’information et d’éducation mené par le Département de l’information des Nations Unies. Il a été mis en place par l’Assemblée générale le 23 décembre 2005 (résolution A/RES/60/225) « pour mobiliser la société civile afin de garder vivant le souvenir des victimes du génocide rwandais et de le transmettre par l’éducation, afin d’aider à empêcher que de tels actes ne se reproduisent. » Ce programme est axé sur les enseignements à tirer du génocide perpétré au Rwanda, afin d’aider à empêcher que de tels actes ne se reproduisent à l’avenir, et cherche à sensibiliser l’opinion au traumatisme subi par les survivants et aux difficultés auxquelles ils continuent encore d’être confrontés aujourd’hui.
Retour sur le Génocide – Quelques éléments historiques :
La population du Rwanda – plus de 7 millions d’habitants – se divise en trois groupes ethniques : les Hutus (qui constituaient environ 85% de la population), les Tutsis (14%) et les Twas (1%). Avant la période coloniale, les Tutsis occupaient généralement les couches les plus élevées du système social, et les Hutus les couches inférieures, mais la mobilité sociale était possible : un Hutu qui acquérait un grand nombre de têtes de bétail ou une autre forme de richesse pouvait être assimilé au groupe tutsi, tandis qu’un Tutsi pauvre était considéré comme un Hutu. Il existait aussi un système de clans. Le clan tutsi des Nyinginya étant le plus puissant. Au XIXe siècle, les Nyinginya élargirent leur influence par la conquête et en offrant leur protection en échange d’un tribut.
Le début des conflits ethniques
L’ancienne puissance coloniale, l’Allemagne, perdit le contrôle du Rwanda pendant la Première Guerre mondiale, et le territoire fut ensuite placé sous administration belge. A la fin des années 50, pendant la grande vague de décolonisation, les tensions augmentèrent au Rwanda. Le mouvement politique hutu, qui ne pouvait que tirer profit du scrutin à majorité absolue, gagnait en force, tandis que des segments de l’Establishment tutsi résistaient à la démocratisation et à la perte de leurs privilèges. En novembre 1959, un violent incident provoqua un soulèvement hutu qui fit des centaines de morts parmi les Tutsis et obligea des milliers d’autres à fuir vers des pays voisins. Ce fut là le début de ce qu’on appela « la révolution paysanne hutue » ou « la révolution sociale » qui dura de 1959 à 1961. Elle marqua la fin de la domination tutsie et l’exacerbation des tensions ethniques. En 1962, lorsque le Rwanda obtint son indépendance, 120 000 personnes, essentiellement des Tutsis, s’étaient réfugiées dans les Etats voisins pour échapper à la violence qui avait accompagné la prise graduelle du pouvoir par la communauté hutue.
Un nouveau cycle de conflit et de violence ethniques continua après l’indépendance. Les Tutsis réfugiés en Tanzanie et au Zaïre et cherchant à retrouver la position qui était la leur au Rwanda commencèrent à s’organiser et à lancer des attaques contre des cibles hutues et contre le Gouvernement hutu. Ils montèrent 10 attaques entre 1962 et 1967, chacune d’entre elles provoquant, en représailles, le massacre d’un grand nombre de civils tutsis au Rwanda, ce qui entraînait de nouveaux flux de réfugiés. A la fin des années 80, quelque 480 000 Rwandais étaient réfugiés essentiellement au Burundi, en Ouganda, au Zaïre et en Tanzanie. Ils continuaient de réclamer leur droit légal international de retourner au Rwanda, mais Juvénal Habyarimana, alors Président du Rwanda, estima que les pressions démographiques étaient déjà trop fortes et les perspectives économiques trop insuffisantes pour que le pays puisse recevoir de grands nombres de réfugiés tutsis.
La guerre civile
En 1988, le Front patriotique rwandais (FPR) fut fondé à Kampala (Ouganda). C’était un mouvement politique et militaire dont l’objectif déclaré était le retour des Rwandais exilés et la réforme du Gouvernement rwandais, en particulier le partage du pouvoir politique. Le FPR était composé principalement de Tutsis exilés en Ouganda, dont un grand nombre avait servi dans l’Armée de résistance nationale du Président Yoweri Museveni, qui avait renversé le Gouvernement ougandais précédent en 1986. Même s’il y avait des Hutus dans les rangs du FPR, la majorité, en particulier les dirigeants, était des réfugiés tutsis.
Le 1er octobre 1990, 7 000 combattants du FPR lancèrent une attaque majeure contre le Rwanda à partir de l’Ouganda. En raison des attaques perpétrées par le FPR qui firent des milliers de déplacés et d’une politique délibérée de propagande de la part du Gouvernement, tous les Tutsis vivant dans le pays furent qualifiés de complices du FPR, et les Hutus des parties d’opposition, de traîtres. Les médias, en particulier la radio, continuèrent de propager des rumeurs infondées, exacerbant ainsi les problèmes ethniques.
En août 1993, grâce aux efforts de rétablissement de la paix de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) et des gouvernements de la région, la signature de l’Accord de paix d’Arusha sembla avoir mis fin au conflit entre le gouvernement hutu de l’époque et le parti d’opposition le Front patriotique rwandais (FPR). En octobre 1993, le Conseil de sécurité créa la Mission des Nations Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR) dont le mandat consistait à maintenir la paix, à assurer une assistance humanitaire et, d’une manière générale, à appuyer le processus de paix.
Mais dès le départ, la volonté de réaliser une paix durable a été sapée par certains des partis politiques rwandais participant à l’Accord. L’Accord tardant à se mettre en place, les violations des droits de l’homme se généralisèrent et les conditions de sécurité se détériorèrent. Par la suite, il s’avéra, de manière irréfutable, que des éléments extrémistes de la majorité hutue, tout en adoptant un langage de paix, préparaient en fait une campagne d’extermination des Tutsis et des Hutus modérés.
Le Génocide
Le 6 avril 1994, la mort des Présidents du Burundi et du Rwanda dans un accident d’avion provoqué par un tir de roquette, déclencha plusieurs semaines de massacres systématiques et à grande échelle. Ces tueries – on estime jusqu’à 1 million le nombre des victimes assassinées – qui choquèrent la communauté internationale constituaient manifestement des actes de génocide. Entre 150 000 et 250 000 femmes furent également violées. Des membres de la garde présidentielle commencèrent à tuer des civils tutsis dans un quartier de Kigali situé près de l’aéroport. Moins d’une demi-heure après que l’avion s’était écrasé, des barrages contrôlés par des miliciens hutus souvent aidés par la gendarmerie (police paramilitaire) ou par du personnel militaire furent mis en place pour identifier les Tutsis.
Le 7 avril, la Radio Télévision Libre des Mille Collines (RTLM) diffusa une émission attribuant la responsabilité de l’accident d’avion au FPR et à un contingent de soldats de l’ONU, et commença à inciter les Hutus à éliminer les « cafards tutsis ». Plus tard au cours de cette même journée, le Premier Ministre, Mme Agathe Uwilingiyimana et 10 Casques bleus belges chargés de la protéger furent brutalement assassinés par des soldats du Gouvernement rwandais qui avaient attaqué sa résidence. D’autres dirigeants hutus modérés furent assassinés de la même manière. Après le massacre de ses soldats, la Belgique retira le reste de ses forces. Le 21 avril, après que d’autres pays demandèrent à retirer leurs soldats, la force de la MINUAR tomba du chiffre initial de 2 165 à 270.
Si l’absence d’un engagement résolu de la part de certains partis rwandais en faveur d’une réconciliation posait problème, ce drame fut exacerbé par la réaction incertaine de la communauté internationale. La capacité des Nations Unies de réduire les souffrances humaines au Rwanda était grandement limitée par la réticence des Etats Membres à réagir face aux nouvelles circonstances en place dans le pays en renforçant le mandat de la MINUAR et en envoyant des contingents supplémentaires.
Le 22 juin, le Conseil de sécurité autorisa des forces françaises à mener une opération humanitaire. Cette mission, appelée Opération Turquoise, permit de sauver des centaines de civils dans le sud-ouest du Rwanda, mais elle aurait également permis à des soldats, des responsables et des miliciens impliqués dans le génocide de fuir le Rwanda en passant par des zones contrôlées par ces forces. Dans d’autres régions, les tueries se poursuivirent jusqu’au 4 juillet 1994, date à laquelle le FPR prit le contrôle militaire de tout le territoire rwandais.
Les conséquences du génocide
Des responsables du Gouvernement, des soldats et des miliciens qui avaient pris part au génocide fuirent vers la République démocratique du Congo (RDC), à l’époque appelée le Zaïre, entraînant avec eux 1,4 million de civils, dont une majorité de Hutus à qui on avait dit que le FPR les tuerait. Des milliers d’entre eux furent tués par des maladies d’origine hydrique. Les camps servirent également de base aux anciens soldats du Gouvernement rwandais pour réarmer et se préparer à envahir le Rwanda. Ces attaques furent l’un des facteurs de la guerre en 1996 entre le Rwanda et la République démocratique du Congo. Les anciennes forces rwandaises continuent d’opérer en RDC avec des milices congolaises et d’autres groupes armés. Elles continuent de cibler les populations civiles, de provoquer des dégâts, et de faire des morts et des blessés.
Le Gouvernement rwandais a commencé à la fin de 1999 à instruire les procès tant attendus du génocide. Les retards tenaient au fait que le pays avait perdu la majorité de son personnel judiciaire, sans compter que la plupart des tribunaux, des prisons et autres infrastructures avaient été détruits. En 2000, plus de 100 000 génocidaires présumés attendaient d’être traduits en justice. En 2001, Le Gouvernement commença à instaurer un système de justice participatif, appelé Gacaca, (prononcé GA-CHA-CHA) afin d’examiner toutes les affaires en attente. Les communautés élirent des juges pour qu’ils instruisent les procès des coupables présumés du génocide accusés de crimes autres que la planification du génocide ou les viols. Les accusés qui doivent passer devant les Gacaca ont été remis en liberté provisoire en attendant de passer en jugement. Ces libérations ont provoqué de forts mécontentements parmi les survivants qui voient là une forme d’amnistie. Le Rwanda continue de recourir au système judiciaire national pour juger les personnes impliquées dans la planification du génocide ou les viols au titre du droit pénal ordinaire. Ces tribunaux ne remettent pas en liberté provisoire les personnes accusées d’actes de génocide.
Les tribunaux Gacaca prononcent des sentences moins sévères si l’accusé se repent et cherche à se réconcilier avec la communauté. L’objectif de ces tribunaux est d’aider la communauté à participer au processus de justice et de réconciliation du pays.
Au niveau international, le 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité a établi un Tribunal pénal international pour le Rwanda, dont le siège est actuellement à Arusha (Tanzanie). Les enquêtes ont démarré en mai 1995. Les premiers suspects ont comparu devant le Tribunal en mai 1996 et la première affaire a été instruite en janvier 1997. Ce Tribunal de l’ONU a compétence pour juger de toutes les violations du droit international relatif aux droits de l’homme commises au Rwanda entre janvier et décembre 1994. Il est habilité à poursuivre les membres de haut niveau du Gouvernement et des forces armées qui auraient quitté le pays et pourraient ainsi se soustraire à la justice. Le Tribunal a condamné à la prison à perpétuité Jean Kambanda, qui était le Premier Ministre pendant le génocide. Le Tribunal a également été la première cour internationale à condamner une personne accusée pour crime contre l’humanité et crime de génocide. Le Tribunal a également jugé trois directeurs de médias accusés d’avoir utilisé leurs médias respectifs pour inciter à la haine ethnique et au génocide. En avril 2007, le Tribunal avait prononcé 27 jugements contre 33 accusés.
Source : Programme de communication sur le génocide au Rwanda et les Nations Unies
Bonjour,
Pas de commentaire(s) mais plutôt deux questions:
J’aimerais avoir plus de précisions sur la portée de la signification de l’expression « Plus jamais ça… »
Cela signifie-t-il:
– Plus jamais ça… la guerre ? je vois que l’on est loin du compte.
– Plus jamais ça… les génocides ? je ne le constate pas.
– Plus jamais ça… la Shoah ? cela semble vrai et ce serait déjà ça de gagner.
Qui a employé pour la première fois cette expression ?
Merci d’avance de votre réponse.
« Plus jamais ça ! » est une expression empruntée à un slogan des mouvements pacifistes et antimilitaristes nés au lendemain de la Première Guerre mondiale (tel le « No More War Movement », fondé en 1921 au Royaume-Uni). La formule « Plus jamais ça ! » est réapparue en lien avec la Shoah. L’association Territoires de la Mémoire (Centre d’éducation à la résistance et à la citoyenneté) introduit la forme interrogative : « Plus jamais ça ? »… « C’est une question… pour rappeler que nos acquis sont fragiles et qu’il faut rester vigilant. Certaines idées sont vraiment dangereuses pour nos libertés et menacent la démocratie. […] Se souvenir est indispensable pour ne pas oublier… »
Tel est le sens du travail de Francine Mayran dont je recommande les deux derniers ouvrages : « La Shoah et son ombre » (2009) et « Témoigner de ces vies – Peindre la mémoire » (2012).
Monsieur,
Bravo pour votre site si riche et documenté.
Je me permets seulement de vous indiquer que « ça » ne prend pas d’accent, sauf dans l’expression « çà et là ».
Bien à vous.
Merci ! Voilà qui est corrigé…
Cordialement, JT