« La Rosse », journal pour poilus de la guerre 1914-1918

Journal de poilus "La Rosse" n° 43, Le Havre, collection Jacques Saraben

Il y a peu, Jacques Saraben me confiait la collection quasi complète d’un journal de poilus de la guerre de 1914-1918 du nom de La Rosse, appartenant à son père, accompagnée de ce mot qui en dit long sur l’attachement qu’il y porte : « À la mémoire du père, Julien, dans le génie, de l’oncle Georges, aviateur, que je n’ai pas connu… (gaz moutarde), d’un cousin (tous deux auraient été peintres), fauchés à la bataille de la Marne, de Raymond, brancardier, mon grand-père maternel… et de tant et tant d’autres, des gueules cassées… de cette Grande guerre que les nouvelles générations ignorent ».

Les journaux de tranchées, un véritable phénomène

La Première guerre mondiale est le premier conflit où apparaît un phénomène médiatique de masse : au sein des unités engagées, des créations sporadiques de « journaux de tranchées » fleurissent, imprimés ou polycopiés. Ce sont autant de gazettes d’unités combattantes, d’unités de réserve, de camps de prisonniers, de sections sanitaires, d’associations de blessés, en France, en Allemagne, comme sur le front d’Orient. Beaucoup de ces titres ne dépassent pas quelques numéros ; d’autres survivront à la guerre, tel Le Crapouillot (1915-1996).

Un certain nombre de ces titres ont été numérisés, à la BDIC et à la BNF. Parmi eux, on trouve des noms plus ou moins évocateurs : Bavons dans l’paprika, Gardons le sourire, Hurle obus, Il est interdit de bousculer les bégonias, La Félix Potin…ière, La Femme à barbe, La Fusillade crépitante et humoristique, La Gazette des boyaux, La Guerre joviale, La Revue biscuitée du briscard, La Vie poilusienne, L’Anti-cafard, Le Boyau. Organe pour se boyauter, Le Bulletin désarmé, Le Cafard muselé, Le Coin-coin, Le Cri du boyau, Le Gafouilleur, Le Grospère, Le Klaxon, Le Lacrymogène, Le Pou, Le Quand même !, Le ratapoil, Le Rire aux éclats, Le Sans-cravate, Le Soleil d’or… riant, Le Temps buté, Les Idées noires, L’Esprit du cor, L’Indiscret des poilus, On les aura, On progresse…, Poil… et plume, Rigolboche, Sans tabac ! Organe aimablement rosse…

Ces collections, aujourd’hui numérisées, sont accessibles en ligne : lien.

« La Rosse », journal pour poilus originaires du Havre

Journal pour Polius "La Rosse" n° 3, 3 octobre 1915.

À la différence de bien des journaux de tranchées, « La Rosse » est un journal de l’arrière conçu pour donner des « nouvelles du pays et… d’ailleurs ». Le pays dont il s’agit est le Pays havrais.

Dans les premières éditions, le directeur de publication signe sous le pseudonyme de « Map », ensuite, sous le nom de Marcel Prunier. Il s’agit très vraisemblablement du même personnage, artiste peintre…

Les dessins, lavis et aquarelles qui illustrent les couvertures et les articles de « La Rosse » sont les œuvres des ex-étudiants havrais des Beaux-Arts de Paris (atelier Colin).

Journal pour Polius "La Rosse" n° 9, 13 février 1916.

Journal pour Poilus "La Rosse" n° 9, 13 février 1916.

Journal pour Polius "La Rosse" n° 12, 19 mars 1916.

« La Rosse », étymologie…

Au sens premier du terme, un « rosse » désigne un mauvais cheval. Au sens figuré, le « rosse » est une personne dont on subit les méchancetés, la sévérité injuste et la dureté.

Le fait que le titre du journal soit au féminin indique, peut-être, qu’il désigne la guerre elle-même… L’absence du numéro 1 de la collection de « La Rosse », qui devait vraisemblablement expliciter le titre, ne permet pas de l’affirmer…

La Rosse, journal de Poilus originaire de la région du Havre, n° 18, mai 1916.

Dans l’éditorial de l’édition du 20 août 1916 (n° 30), le directeur de publication exprimait son soutien patriotique aux poilus en ces mots : « La Rosse, aujourd’hui, arrive à son trentième numéro, et ce lui est une grande satisfaction de penser, que voilà bientôt deux ans qu’elle s’efforce à récréer, selon ses moyens, les braves soldats du 1er Génie, qui peinent journellement, souffrent leurs misères stoïquement, avec la même confiance que nous avons tous à l’arrière, de la délivrance prochaine de la chère Patrie envahie. Oui, chers Poilus, nous vous suivons tous dans vos efforts, et si un jour, le cafard vous effleure, songez que tout le monde, à l’arrière vous suit en vos luttes avec la ferme confiance que vous serez victorieux. »

La Rosse, journal de Poilus originaire de la région du Havre, n° 53, 1er juillet 1917.

Journal "La Rosse" n° 55 du 15 juillet 1917. Collection Jacques Saraben.

Journal "La Rosse" n° 74 du 6 janvier 1918. Collection Jacques Saraben.

Julien Saraben et Jacques, son fils

Plusieurs des numéros de « La Rosse » sont ainsi dédicacés : « À mon ami Léo Saraben », ou bien encore : « À mon cher Frangin Léo Saraben ». C’est grâce à Julien Saraben et à son fils, Jacques, que cette collection riche d’une centaine de titre nous est parvenue, pratiquement intacte…

Julien Saraben est né au Havre le 12 juillet 1892. Professeur de dessin à Périgueux dès 1925, il occupe le poste de conservateur du Musée du Périgord de 1937 à 1957.

Jacques Saraben est artiste peintre, comme son père (Julien Saraben) et sa mère (Gabrielle Varailhon-Saraben). Il excelle également dans la photographe. Il a été maître de conférences à l’Université de Bordeaux 3 et professeur à l’École des Beaux-Arts de Bordeaux.

La façon dont Jacques parle de son père, Julien Saraben : « mon père, mon frère, mon ami » est touchante. Il le fait avec beaucoup de respect… d’admiration mêlée de « dévotion ».

Il est possible de retrouver quelques-unes des interviews filmées de Jacques Saraben sur le site Albuga : lien.

Journal de poilus "Larosse" n° 75 de janvier 1918. Coll. Jacques Saraben.

Journal de poilus "Larosse" n° 75 de janvier 1918. Coll. Jacques Saraben.

On note qu’à partir de 1918, le titre du journal évolue et s’orthographie désormais en un seul mot : « Larosse », avec des sous-titres changeants : « Journal esthétique et anti-cafardiste », « Journal manuscrit humoristique pour mon Poilu ».

Plus que le fond, c’est la forme qui étonne dans « La Rosse »… La qualité des illustrations est remarquable.

Merci, Jacques Saraben, de nous avoir dévoilé ici une partie de vos archives familiales.

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