Projet de construction d’une nouvelle prison militaire, rue du Cherche-Midi
Par Jacky Tronel | dimanche 18 avril 2010 | Catégorie : Dernières parutions, DES PRISONS… | Pas de commentaireAprès la Révolution, à la fin du XVIIIe, le ministère de la Guerre installe une manutention des vivres de l’armée juste en face de l’hôtel des Conseils de guerre, dans un immeuble ayant appartenu à la communauté des Filles du Bon Pasteur. En 1832, la manutention quitte la rue du Cherche-Midi pour prendre possession de bâtiments neufs situés quai de Billy. Le maréchal Soult, ministre de la Guerre, projette alors de faire construire une maison d’arrêt militaire à l’emplacement de l’ancienne manutention, au 38 de la rue du Cherche-Midi.
En voici les plans, complétés d’extraits du mémoire qui les accompagne. Ce document, daté du 12 décembre 1833, rend également compte de la grande question soulevée par la réforme pénitentiaire. Deux modèles américains s’affrontent alors : le système d’Auburn opposé à celui de Philadelphie. Finalement, la maison militaire d’arrêt et de correction de la rue du Cherche-Midi sera construite quelques années plus tard (1847-1851) et sur d’autres plans, jugés moins dispendieux. Elle sera cellulaire et adoptera le modèle d’Auburn.
Texte de présentation du projet :
« La Prison de l’Abbaye, la seule qui existe pour la garnison de Paris, n’a point été construite en vue de cet usage, et n’a pu être depuis convenablement appropriée à cette destination. Située au centre d’un quartier populeux, dont les maisons l’enceignent pour ainsi dire de toutes parts, elle n’offre aux détenus que des locaux fort resserrés, des cours étroites et mal aérées. D’un autre côté, pour isoler les prisonniers des communications avec le dehors, on s’est vu obligé de boucher, ou de fermer par des abat-jour, les baies donnant sur les rues voisines, de sorte qu’il en résulte, pour l’établissement, privation simultanée d’air et de lumière. Cet inconvénient majeur, l’exiguïté des ressources que présente la prison, eu égard au nombre des militaires incarcérés, le vice de sa situation, signalés depuis longues années, ont été plus vivement sentis par l’Inspecteur général en 1832, et, voulant coordonner les besoins du service correctionnel pour la troupe avec la construction d’une Manutention sur le quai de Billy, cet officier général a demandé, dans ses instructions écrites, qu’on s’occupât d’utiliser, pour l’assiette future d’une prison (on ne peut mieux placé vis à vis de l’hôtel des Conseils de Guerre), le terrain actuellement affecté à l’administration des vivres. Le comité, partageant cette manière de voir, a prescrit, par son avis du 19 avril dernier, de donner suite à cette idée, et de rédiger un projet d’ensemble pour cet objet… »
« L’ensemble de la nouvelle prison présente sept corps de logis différents […]. Le premier ayant vue sur la voie publique, est spécialement consacré au personnel et au matériel de l’administration ; le second, qui s’y rattache, et qui est isolé du reste de l’établissement, est affecté à l’infirmerie […]. Ils n’ont que deux étages, ainsi que les bâtiments destinés à l’habitation des prisonniers […]. Au milieu s’élève un édifice couvert par un dôme ; et plus spécialement destiné à la célébration du culte. On a réuni néanmoins dans les parties inférieures les cuisines et les parloirs, afin de grouper, sur un même point central, tout ce qui peut être à l’usage commun […]. Quatre cours différentes divisent l’espace intérieur ; elles peuvent être rendues indépendantes au besoin et permettraient, si on le voulait, de classer les détenus suivant la nature et la gravité des délits et des peines infligées. Quant aux dispositions de détails et aux distributions intérieures, on a cherché autant que possible à satisfaire aux conditions suivantes : sûreté, facilité de surveillance et de communications, convenances, économie. »
Il est prévu des chambrées de 8 à 12 hommes chacune, ainsi que six ateliers de travail. « Un seul gardien, placé au centre, inspecte à la fois tous ces débouchés, ainsi que les quatre parloirs dont les cloisons vitrées laissent voir tout ce qui se fait au-dedans, sans que pour cela les entretiens particuliers puissent en souffrir […]. Peut-être jugera-t-on qu’on aurait pu se dispenser d’établir une église dans la prison. Mais on doit faire observer à cet égard que l’ordonnance du 3 décembre 1832 sur les pénitenciers militaires a prescrit cette mesure, et réglé dans les articles 160, 161,162 et 163 du chapitre IX tout ce qui se rapporte à l’instruction religieuse. Indépendamment de l’effet que cette instruction bien dirigée peut produire en ramenant à des idées meilleures, l’aspect de la coupole qui, surmontant cet édifice en dominant tous les bâtiments contigus, s’offre constamment aux regards des prisonniers dans les cours, les ateliers et les chambrées, la vue du symbole religieux qui brille à son extrémité ne peuvent qu’inspirer de salutaires pensées et contribuer à maintenir l’ordre dans l’établissement.
L’autel serait placé au centre, et les détenus, arrivant par les quatre ponts de service du 1er étage, se rangeraient tout autour de la chapelle disposée circulairement. »
© SHD-DAT, 1 VH 1361.
Apostille du chef du Génie
« Lorsque le chef du Génie de la place des Bâtiments de l’administration de la Guerre reçut l’ordre de présenter un projet de prison à construire rue du Cherche-Midi, sur l’emplacement de la Manutention des vivres, il adressa un rapport en date du 27 avril 1833 dans lequel il établissait la nécessité de démolir entièrement ce bâtiment. Le ministre de la Guerre, par décision du 19 juin, a laissé toute latitude à cet égard, le comité des Fortifications n’ayant posé aucune base au sujet du projet des prisons, il a dû par conséquent ne rien prescrire au capitaine du Génie auteur du mémoire ci-dessus et du projet.
Deux systèmes sont en usage aux États-unis d’Amérique, et tout annonce que celui qu’on suivra en France à l’avenir, participera de l’un ou de l’autre. Celui de Philadelphie, où les détenus sont enfermés dans des cellules d’où ils ne sortent jamais et celui d’Auburn où l’isolement n’est adopté que pendant la nuit ; les détenus se réunissent dans le jour pour travailler dans un silence absolu et pour prendre leurs repas. Le projet dont il s’agit n’est pas un pénitencier ; mais pourquoi ne pas assujettir les prévenus au travail, en leur laissant le choix de l’occupation qu’ils préfèrent ? Pourquoi ne pas leur donner la facilité de passer leur temps sans ennui ? Ce n’est pas l’intention du ministre de la Guerre qui, déjà, a fait établir à Metz des ateliers de travail dans la prison des prévenus militaires et qui se propose, dit-on, d’appliquer ce système à d’autres lieux. »
« Si le système d’isolement absolu était adopté, la chapelle même deviendrait inutile, car les détenus ne doivent se réunir sous aucun prétexte. Le prisonnier, une fois jeté dans sa cellule, y reste jusqu’à ce qu’il soit jugé ; les promenoirs, les cours deviennent aussi inutiles. Si le système d’Auburn était adopté, il faudrait ajouter des cellules au projet présenté. L’établissement d’une école semble également nécessaire, puisque l’instruction morale et religieuse est un des grands moyens employés pour l’amélioration des criminels. Si le ministre de la Guerre juge à propos de demander un autre projet, il est à désirer que les bases en soient posées. Il faut savoir si le principe d’isolement de nuit et du silence absolu pendant le jour dans les ateliers de travail et au réfectoire doit être admis. Sans être appelé à décider la question de l’isolement absolu de Philadelphie, ou celui d’Auburn, le chef du Génie croit devoir émettre ici l’opinion que ce dernier lui semble préférable. Les prévenus doivent rentrer dans la société, il faut donc leur conserver des habitudes sociables. Il pense que l’isolement de nuit est indispensable, mais que la réunion pendant le jour a de grands avantages. Le prévenu renfermé seul pendant qu’il travaille ne conserve pas l’habitude de l’obéissance si nécessaire à un militaire. Il se tait parce qu’il n’a personne à qui il puisse communiquer ses idées. Il travaille pour échapper à l’ennui. Quant au système d’isolement absolu sans travail, il peut être adopté momentanément comme punition, mais employé à la longue, il ne corrige pas, il tue. »
« L’état estimatif de ce que coûterait la construction du projet présenté pour trois à quatre cents détenus monte à la somme très considérable de 920 mille francs ou 2.300 francs au moins par détenu. Cette dépense énorme est la suite du système adopté. La prison de la rue de la Roquette à Paris coûtera, dit-on, bien davantage. »
« Le chef du Génie pense que l’auteur du projet a tiré un très bon parti du terrain resserré qui lui a été assigné […]. Cependant, malgré l’intelligence avec laquelle ce projet a été rédigé, il désire qu’il soit modifié de manière à sa rapprocher du projet de Mr Powers, sous-directeur d’Auburn, tel qu’il a été présenté dans l’ouvrage de MM. de Beaumont et de Tocqueville, parce qu’il lui semble meilleur et que dans tous les cas le système cellulaire doit être adopté pour une prison destinée à des prévenus comme pour un pénitencier. Il rejette l’isolement absolu adopté à Cherry-Hill près Philadelphie, pour les raisons données plus haut et à cause de l’énormité de la dépense qu’il nécessite. »
Ce mémoire, rédigé par un officier du Génie, ingénieur en chef, est daté du 12 décembre 1833. Il a été visé par le Baron Jules-Antoine Paulin, directeur des Fortifications. Les plans qui l’accompagnent ont été dessinés par le capitaine du Génie Sallenave.
L’ouvrage auquel fait référence l’auteur du mémoire a pour titre : Du Système pénitentiaire aux Etats-Unis, et de son application en France par MM. Gustave de Beaumont et Alexis de Tocqueville, Paris, 1833.