« Le Silence des rails », un roman de Franck Balandier sur la déportation des triangles roses

Le Silence des rails de Franck Balandier, Flammarion, février 2014

Par deux fois nous avons croisé Franck Balandier sur ce blog. Une première fois suite à la publication d’un article sur « Les nouvelles cellules de la prison de la Santé à la fin du XIXe », au détour d’un commentaire… Une autre fois à l’occasion de la présentation de son livre « Des poètes derrière les barreaux : F. Villon, J. Genet, A. Sarrazin… », publié chez L’Harmattan en février 2012.
En début d’année, Franck Balandier me faisait parvenir son nouvel opus : « Le Silence des rails », paru chez Flammarion en février. Ce livre n’est ni une étude, ni un documentaire, ni même un témoignage, c’est une fiction qui s’inscrit dans un contexte historique.

Le pitch du roman

Étienne Lotaal, personnage de fiction, est l’un de ces triangles roses qui furent déportés par les nazis au prétexte de leur homosexualité. Ce n’est pas en Allemagne mais en Alsace annexée que l’histoire se déroule, au KL-Natzweiler, au lieu-dit « le Struthof », seul camp de concentration situé sur le territoire français.

Si le roman de Franck Balandier est dérangeant, au-delà de la question de l’homosexualité qu’il aborde ici de façon franche et directe, c’est qu’il nous révèle l’horreur d’un camp de concentration où de pseudo-médecins expérimentent, autopsient, « vivisectionnent », exterminent, le plus naturellement du monde…

Franck Balandier, auteur du roman « Le Silence des rails »

Photo Richard Schroeder, Flammarion

Le style d’écriture de Franck Ballandier est tendu à l’extrême, épuré, efficace tant il va à l’essentiel. Les phrases sont courtes, percutantes… suites de mots que l’auteur nous jette à la figure, sans jamais tomber dans le pathos. Cependant, au fil des pages, l’émotion est sous-jacente. Elle nous fait entrer en empathie avec Étienne, personnage central du roman, avec Ernst, soldat allemand chargé de la surveillance d’Étienne, avec Ingrid, la petite fille au ballon, fille du commandant Kramer… ainsi que, dans une moindre mesure, avec Mademoiselle Schmidt, l’infirmière.

Ce roman fait œuvre utile en ce qu’il nous rappelle ce que subirent les triangles roses, minorité longtemps passée sous silence, qui a payé un lourd tribu de souffrances aux côtés d’autres triangles, de couleur marron (Tsiganes) ou violette (témoins de Jéhovah)…

Extraits (p. 41-42, 147-149)

L’entrée du camp est constitué de quelques rondins de bois assemblés. Sur la droite, une tour de garde peinte en noir. Franchie la première porte, on remarque aussitôt le chemin de ronde cerné de barbelés et les miradors tout autour avec les gardes à l’intérieur, armés de mitraillettes. Le camp est construit en terrasses, à flanc de montagne, au milieu de la forêt, sur un dénivelé de trois cents mètres environ. De chaque côté du terrain, un escalier permet d’accéder aux paliers inférieurs. Deux blocs d’habitations par palier. On nous regroupe au premier, à droite. Par petits groupes, nous passons à la douche, on nous rase le crâne, puis on nous remet une sorte de costume rayé sur la veste duquel est cousu, en fonction de notre catégorie, un signe distinctif. Pour moi, triangle rose, pointe vers le bas. Après, on me fait asseoir. Je réalise que c’est la première fois que cela m’arrive depuis que j’ai quitté Paris. Un homme vêtu d’un blouse blanche s’approche de moi. Il relève la manche droite de ma veste. Sur mon avant-bras, il tatoue à l’encre bleue un numéro d’immatriculation. Je suis le numéro 19852. C’est marqué là, au bout de moi.

[…] Messieurs les gardiens, vous qui surveillez la neige et les fleurs poussées en fraude, malgré vos mitraillettes, merci encore. Nous avons les couleurs de votre imaginaire. Nos pavillons sont de complaisance. Nous naviguons dans nos tenues rayées selon un code maritime où les règles de courtoisie n’ont à rendre compte que de nos morts prochaines.

Je l’avoue, les couleurs sont jolies sur nos costumes rayés, pour nous identifier, en accord avec cette folie : rose, pour les « folles » dont je suis, violet pour les témoins de Jéhovah, brun pour les Tziganes, rouge pour les politiques, noir pour les asociaux, bleu pour les apatrides, vert pour les droits communs.

Le rose me va si bien. Ma légion d’honneur. Ma décoration. Dans vos potagers de cendres, Oberführer Kramer, cher commandant, je joue avec le sublime du peintre, le mélange de nous, son désespoir.

Camp de concentration de Natzwiller-Struthof. Plaques mémorielles. Photo Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons.

Camp de concentration de Natzwiller-Struthof. Plaques mémorielles. Photo Claude Truong-Ngoc / Wikimedia Commons.

Les déportés du KL-Natzweiler

Les déportés du Kl-Natzweiler, arrivés de toute l’Europe, proviennent de tous les horizons. En grande majorité, ce sont des déportés politiques, dont les « Nacht und Nebel », mais aussi des Juifs, Tziganes, homosexuels… Tous découvrent un univers où ils ne sont plus que des numéros et des sous-hommes.

Près de 52 000 personnes d’une trentaine de nationalités différentes ont été déportées au KL-Natzweiler ou dans ses camps annexes : les plus nombreux sont les Polonais, suivis des Soviétiques et des Français (dont un quart d’Alsaciens-Mosellans), puis les Belges, les Norvégiens, les Luxembourgeois, mais aussi des Allemands, Grecs, Yougoslaves, Tchèques, Autrichiens, Lituaniens, Néerlandais, Italiens et Slovènes…

Les sévices, les maladies, l’épuisement et la mort

Les sévices, les maladies, l’épuisement et la mort représentaient le quotidien des déportés. Ils souffraient de blessures dues aux coups que leur administraient les Kapos et les SS, ainsi que des morsures des chiens dressés pour les attaquer. Ils pouvaient également être punis et condamnés à des coups de fouet sur le chevalet de bastonnade ou à une peine d’enfermement dans le bunker situé dans le bas du camp.

Le Silence des rails de Franck Balandier, Flammarion, février 2014

Squelettiques, épuisés, blessés, malades, sans soins, qu’ils soient ou non admis à l’infirmerie, beaucoup mourraient. À Natzweiler, le taux de mortalité était de 40% ; dans les camps annexes, il pouvait atteindre 80%. 

Les déportés ayant tenté une évasion ou simplement soupçonnés de tentative d’évasion encouraient la peine de mort : la pendaison ou le peloton d’exécution.

La Gestapo de Strasbourg utilisait aussi le camp comme lieu d’exécution. Ainsi, en 1943, treize jeunes gens originaires de Ballersdorf dans le Haut-Rhin furent fusillés à la carrière pour avoir refusé leur incorporation dans la Wehrmacht et tenté de quitter la zone annexée. En septembre 1944, peu avant l’évacuation du camp, des membres du réseau Alliance et des maquisards des Vosges furent amenés au camp pour y être exécutés.

Tous finissent dans le four du bloc crématoire.

Lien vers le site de l’ancien camp de concentration de Natzweiler : lien

Lire sur ce blog :
« Des poètes derrière les barreaux :
F. Villon, J. Genet, A. Sarrazin… »
: lien

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Auteur : Balandier, Franck
Éditeur : Flammarion
Collection : Fiction française
Parution : 05/02/2014
Format : 11.6×18.6×1.8 cm
Prix : 12,00 €
EAN : 9782081330535

1 Commentaire de l'article “« Le Silence des rails », un roman de Franck Balandier sur la déportation des triangles roses”

  1. Franck Balandier est un auteur qui ne s’apparente à aucun autre. Un style épuré, incisif. Intellectuel mais juste ce qu’il faut avec de beaux mots qui, hélas, ne sont plus très présents pour pas mal d’auteurs. Un phrasé poétique teinté d’une tendresse certaine, mais le doigt pointé quelque peu accusateur sur un des sujets qui demeure encore et pour pas mal de temps encore comme une espèce de « maladie » incompréhensible pour pas mal de nous tous. L’indicible récit de l’horreur subit dans les camps SS où les homosexuels et les juifs étaient les pires engeances de l’humanité. « Le silence des rails »… un livre à lire, offrir et conseiller largement autour de vous, de nous tous.

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