Les Baumettes « inhumaines » : pourquoi l’état des prisons n’a cessé de se dégrader
Par Jacky Tronel | jeudi 6 décembre 2012 | Catégorie : ACTUALITÉS, Dernières parutions | Pas de commentaire« A Marseille, le centre pénitentiaire des Baumettes est dans un tel état que le Contrôleur général des lieux de privation de liberté estime qu’il y a “violation grave des droits fondamentaux”.
Parallèlement, la France a battu cette année son record de surpopulation carcérale. Comment en est-on arrivé là ? Éléments de réponse avec Jacky Tronel, attaché de recherche à la Fondation Maison des Sciences de l’Homme et administrateur du blog Histoire pénitentiaire. »
Lu sur Le Plus du Nouvel Observateur et sur le NouvelObs.com :
Propos recueillis et édités par Hélène Decommer, rédactrice en chef adjointe du Plus du Nouvel Observateur, sous le titre : « Les Baumettes “inhumaines” : pourquoi l’état des prisons n’a cessé de se dégrader ».
« Le souci de la condition pénitentiaire est apparu au milieu du XIXe siècle, avec les philanthropes (Appert, Tocqueville, etc). En théorie, ce fut l’âge d’or des prisons françaises. Mais en pratique, les choses ont dégénéré au fil du temps. Si les bons sentiments ne manquaient pas, la route empruntée ne fut pas la bonne.
Le choix du système auburnien…
Il existait à l’époque deux écoles :
– Le système philadelphien, fondé sur le tout cellulaire, c’est-à-dire l’isolement de jour et de nuit.
– Le système auburnien, comprenant du travail en atelier et en groupe le jour dans un silence total et l’encellulement individuel du prisonnier le soir.
Les philanthropes ont suivi le modèle auburnien. Il y avait une chapelle dans chaque maison d’arrêt et l’ambition était que le silence, l’isolement et la conscience chrétienne conduisent à la rédemption. Par ailleurs, les responsables de l’administration pénitentiaire de l’époque estimaient que la promiscuité favorisait la pédérastie, d’où les cellules individuelles.
Partir sur la voie auburnienne était une bonne idée en théorie. Mais dans son application, les choses ont mal tourné, pour plusieurs raisons.
… et son délitement
Assez rapidement, le travail des prisonniers a donné lieu à leur exploitation. Il y a eu de nombreuses dérives dans ce domaine.
Puis les événements politiques et sociaux qui se sont succédés au fil du temps ont conduit à peupler toujours plus les prisons françaises : la Commune de Paris, la Première puis la Seconde Guerre mondiale, l’épuration… De neuf au milieu du XIXe siècle, l’état des établissements pénitentiaires s’est donc progressivement dégradé.
Il a ensuite fallu ajouter à la surpopulation carcérale le manque de moyens accordés pour l’activité des détenus : l’aspect éducatif a été de moins en moins présent, les prisonniers se sont de plus en plus retrouvés à se morfondre et tous sont loin d’avoir la possibilité de travailler aujourd’hui – alors qu’ils sont nombreux à le réclamer, pour pouvoir « cantiner » et/ou tout simplement s’occuper.
Enfin, une proportion non négligeable de détenus ne devrait pas se trouver en prison, mais en établissement psychiatrique. Ils sont maintenus avec des camisoles chimiques et traités comme les autres prisonniers, ce qui pose problème.
Dernier point, la violence en prison s’est accrue, par le biais de gangs reformés au sein même des établissements pénitentiaires et de l’amenuisement de l’autorité de l’administration.
Des expérimentations, mais un manque de moyens
On s’est donc de plus en plus éloignés du modèle auburnien, pour finir par ne plus s’y trouver du tout aujourd’hui. L’encellulement individuel a par exemple quasiment disparu, du fait de la surpopulation carcérale, au profit de cellules « accueillant » deux voire trois détenus.
Des expérimentations intéressantes sont parfois mises en place, comme à Mauzac en Dordogne. Dans les années 1980, l’architecte Christian Demonchy – qui, pour l’anecdote, avait auparavant travaillé pour le Club Med – a conçu un centre de détention composé de petits logements bâtis autour d’une pièce commune. L’initiative expérimentale fut probante, mais faute de moyens, elle n’a pas été étendue. »
En savoir plus…
« Recommandations du Contrôleur général des lieux de privation de liberté du 12 novembre 2012 prises en application de la procédure d’urgence (article 9 de la loi du 30 octobre 2007) et relatives au centre pénitentiaire des Baumettes, à Marseille, et réponse de la garde des Sceaux, ministre de la Justice, du 4 décembre 2012 » : lien.
Les photos qui illustrent cet article sont de Grégoire Korganow, pour le CGLPL (Contrôleur général des lieux de privation de liberté), M. Jean-Marie Delarue : lien.