Inauguration du Site-Mémorial du Camp des Milles, Aix-en-Provence, le 10 septembre 2012
Par Jacky Tronel | lundi 10 septembre 2012 | Catégorie : Dernières parutions, DES CAMPS… | Pas de commentaireLe Site-Mémorial du Camp des Milles sera inauguré aujourd’hui par Jean-Marc Ayrault, Premier ministre, assisté de Vincent Peillon, ministre de l’Éducation Nationale, Manuel Valls, ministre de l’Intérieur, Aurélie Filippetti, ministre de la Culture et de la Communication, Geneviève Fioraso, ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Bernard Cazeneuve, ministre délégué auprès du ministre des Affaires Etrangères, chargé des affaires européennes, Marie Arlette Carlotti, ministre déléguée auprès de la ministre des Affaires Sociales et de la Santé chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Kader Arif, ministre délégué auprès du ministre de la Défense chargé des Anciens Combattants, en présence d’Alain Chouraqui et Serge Klarsfeld, respectivement président et vice-président de la « Fondation du camp des Milles – Mémoire et Éducation ».
Le texte et les photos qui illustrent cet article sont tirés du dossier de présentation du Site-Mémorial du Camp des Milles, téléchargeable sur le site officiel [lien]…
Les internés rassemblés dans la cour de l’ancienne tuilerie au moment du repas, photo Site-Mémorial du Camp des Milles.
Objectifs du Site-Mémorial du Camp des Milles
Ce site est l’un des rares lieux témoins préservés en Europe qui raconte l’histoire tragique des internements et des déportations durant la Seconde Guerre mondiale. L’ambition de ce lieu lieu de mémoire est « d’apporter des repères pluridisciplinaires et des clés de compréhension scientifiques susceptibles d’aider à être vigilant et à réagir à temps face aux crispations identitaires et aux extrémismes. Un lieu résolument tourné vers l’enseignement de la fraternité et du respect de l’autre, refusant l’engrenage des discriminations, de l’antisémitisme, du racisme et de la xénophobie qui menacent le vivre ensemble et la paix civile. »
Septembre 1939 à juin 1940 : un camp pour « sujets ennemis »
L’histoire du camp débute sous la IIIe République, au début de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le gouvernement prend la décision d’interner les ressortissants du Reich, fussent-ils d’authentiques antifascistes ayant fui de longue date le nazisme qui sévissait dans leur pays d’origine pour venir se réfugier en France. Considérés paradoxalement et tragiquement comme des ”sujets ennemis”, les internés sont victimes d’un mélange de xénophobie, d’absurdité et de désordre administratifs ambiants et vivent dans des conditions très précaires. Dans le Sud-Est, ces étrangers sont internés dans la Tuilerie des Milles, alors désaffectée. Ce bâtiment industriel devient un camp d’internement sous commandement militaire français.
Juillet 1940 à juillet 1942 : un camp pour “indésirables”
En juin 1940 s’ouvre une seconde période avec la défaite française et la signature de l’armistice. C’est là que se situe l’épisode du « Train des Milles », popularisé par le film de Sébastien Grall. À partir de juillet, sous le régime de Vichy, le camp est rapidement surpeuplé (3 500 internés à la fois en juin 1940). Au cours de cette période sont transférés aux Milles les étrangers des camps du Sud-Ouest, et en particulier des anciens des Brigades internationales d’Espagne ainsi que des Juifs expulsés du Palatinat, du Wurtemberg et du pays de Bade.
À partir de novembre 1940, le camp, passé sous l’autorité du Ministère de l’Intérieur, devient le seul camp de transit en France pour une émigration Outre-Mer, transit régulier ou illégal avec l’aide de particuliers, d’organisations ou de filières locales et internationales. Au fil du temps, les conditions d’internement se dégradent : vermine, maladies, promiscuité, nourriture insuffisante…
Août et septembre 1942 : un camp de déportation des Juifs
Une troisième période correspond aux mois d’août et septembre 1942 qui voient la déportation vers Auschwitz via Drancy ou Rivesaltes de plus de 2 000 Juifs, hommes, femmes et enfants. Vichy a accepté de livrer 10 000 Juifs de la zone dite “libre” à l’Allemagne. Au début du mois de juillet 1942, Laval propose d’inclure les enfants âgés de moins de seize ans dans les déportations.
Le 3 août, le camp est bouclé. Femmes et enfants juifs de la région sont orientés vers les Milles pour rejoindre les autres internés avant d’être déportés. Ne sont pas épargnés les Juifs réfugiés politiques ou étrangers ayant servi dans l’armée française. Et une centaine d’enfants est ainsi déportée à partir de l’âge d’un an. Au total, cinq convois sont constitués. En réaction, des hommes et femmes courageux aident les internés et les déportés.
Ces événements surviennent avant même l’occupation allemande de la zone Sud (11 novembre 1942). Au-delà du mois de septembre 1942, le camp, demeurant un centre de transit, vivote : ses derniers occupants, très peu nombreux, quittent ses murs de briques en décembre 1942.
Artistes et intellectuels au Camp des Milles
Une caractéristique essentielle du Camp des Milles réside dans l’ampleur et la diversité de la production artistique réalisée par les internés, malgré les privations et le manque de moyens. Cette production est surtout abondante durant la première période du camp, entre 1939 et 1940. Mais on la retrouve avec une intensité variable tout au long de l’existence du camp, jusqu’à l’été 1942. Ce foisonnement s’explique incontestablement par la présence de nombreux artistes et intellectuels, dont certains bénéficient déjà d’une renommée internationale tandis que d’autres ne seront reconnus qu’après la guerre.
« Die Katakombe », four à tuiles devenu refuge de la vie culturelle au camp, du nom d’un cabaret contestataire de Berlin avant le nazisme.
Toutes les disciplines sont concernées :
La peinture et le dessin avec notamment Max Ernst, Hans Bellmer, Robert Liebknecht, Gustav Ehrlich dit “Gus”, Eric Isenburger, Ferdinand Springer, Werner Laves, Leo Marschütz, Franz Meyer, Alfred Otto Wolfgang Schulze dit “Wols”, Max Lingner et Karl Bodek ; La littérature avec des écrivains, poètes, traducteurs ou critiques comme Alfred Kantorowicz, Golo Mann, Lion Feuchtwanger, Franz Hessel, Friedrich Wolf ; La musique avec le pianiste et compositeur Erich Itor Kahn, le chef d’orchestre Adolf Siebert, les chanteurs Ernst Mosbacher, Joseph Schmidt, Léo et Siegfried Kurzer… ; Le théâtre avec des comédiens, chansonniers, auteurs dramatiques et metteurs en scène comme Friedrich Schramm et Max Schlesinger ; La sculpture avec Peter Lipman-Wulf…
À leurs côtés, sont aussi présents des architectes (Konrad Wachsmann…), des professeurs d’Université, des prix Nobel avec Otto Meyerhof, prix Nobel de médecine en 1922, Thadeus Reichstein, prix Nobel en 1950 pour son invention de la cortisone, des médecins, avocats ou journalistes mais aussi des députés ou hommes politiques allemands, autrichiens, italiens…
Peintures murales dans le réfectoire des gardiens du camp d’internement des Milles, photo Dominique Pipet, septembre 2008.
Parmi ces personnalités, beaucoup s’attachent à poursuivre leur activité, influencés par les circonstances extraordinaires et tragiques qui président à leur internement comme par le cadre même de la tuilerie. Ils donnent libre cours à leur créativité, parfois avec humour ou ironie, pour préserver leur dignité, tromper l’ennui, entretenir leur moral comme celui de leurs camarades ; parfois aussi pour s’attacher les faveurs d’un membre de l’administration. Des cours ou conférences sont donnés, des pièces de théâtre et des opéras sont joués. Les autorités se montrent d’ailleurs plutôt bienveillantes. Des commandes officielles sont aussi parfois passées, comme la réalisation d’imposantes peintures murales pour le réfectoire des gardiens en 1941 (photo).
Pour aller plus loin…
Sur ce blog : Camp des Milles : « Parti sans laisser d’adresse », lien
Sur le blog d’Alain Paire : Le camp des Milles : internements et déportations, 1939-1942, lien
Visite du Site-Mémorial des Milles : premières impressions, lien
Et pour conclure, une courte vidéo du galiériste Alain Paire : « Parti sans laisser d’adresse », lien