« Accident mortel au camp d’internement du Polo de Beyris »

Accident mortel au camp d'internement de Polo Beyris, le 28 novembre 1944, à Bayonne

La note n° 265 du Service des RG d’Hendaye du 30 novembre 1944, adressée au chef des Renseignements Généraux à Bordeaux, au directeur départemental de Police, au commissaire principal et au préfet à Pau, ainsi qu’au sous-préfet à Bayonne, a pour objet « l’accident mortel » qui, le 28 novembre 1944, a coûté la vie à Arnaud DARRICAU, marié, père de 3 enfants, détenu au camp du Polo de Beyris, à Bayonne
Retour sur l’histoire de ce camp d’internement.

Rapport des RG sur l’accident mortel du camp d’internement de Beyris

« Le 28 novembre 1944, un détenu du Camp d’internement du Polo de BEYRIS, BAYONNE, a été mortellement blessé par un coup de feu tiré par une sentinelle de garde.
L’accident se serait produit dans les circonstances suivantes :
Un détenu (homme) se serait approché du camp des détenues (femmes) pour essayer, croit-on, de faire passer une lettre à une d’elles. Ayant été aperçu par la sentinelle, celle-ci le somma d’avoir à s’éloigner.
Un instant après, le même détenu serait revenu vers le camp des femmes, malgré les sommations de la sentinelle, il aurait essayé de s’approcher de la section des femmes à quatre reprises différentes.
À la quatrième fois, ayant encore été sommé d’avoir à se retirer, le détenu aurait lancé une parole insultante à la sentinelle (en…).
Sous l’insulte la sentinelle aurait fait feu sur le détenu le blessant grièvement à la poitrine.

Transporté d’urgence à l’Hôpital de Bayonne, il y succombait peu après.
Il s’agit de DARRICAU, Arnaud, né à Mouguerre
[Basses-Pyrénées], le 29/11/1911, marié, père de 3 enfants. Il avait été arrêté à Villefranque [Basses-Pyrénées] le 28 septembre 1944. Sa femme est également internée au Camp du Polo de BEYRIS.
L’enquête concernant cette affaire a été effectuée par la section judiciaire de Bayonne. »

Qui était Arnaud Darricau ? Que lui reprochait-on, ainsi qu’à sa femme ?… Méritait-il une mort aussi stupide ? Ces questions restent à ce jour sans réponses.

Les 4 vies du camp de Polo-Beyris

Le Camp du Polo de Beyris a eu quatre vies. Cette « tragédie » appartient à la troisième période de son existence. En dépit du peu de documents disponibles, nous allons tenter de retracer l’histoire de ce camp d’internement qui fut : 1. Centre d’hébergement des républicains espagnols ; 2. Frontstalag 222, camp de prisonniers coloniaux français ; 3. Camp de l’Épuration pour « collaborateurs » ou pseudo-collaborateurs ; 4. Dépôt de prisonniers de guerre allemands.

Création d’un centre d’hébergement pour réfugiés espagnols

Dans les années 30, la ville de Bayonne se dote d’un terrain de polo, lieu de rendez-vous de l’aristocratie française et étrangère en villégiature sur la Côte Basque. Le Polo de Beyris s’étend alors sur 8,5 hectares, en limite des communes de Bayonne et d’Anglet.

Au début de l’année 1939, en raison de l’arrivée massive des réfugiés espagnols, le préfet réquisitionne les installations du Polo de Beyris. Des dizaines de familles de républicains sont alors entassées dans les écuries et les vestiaires du club de polo. Le 30 septembre 1939, 247 femmes et enfants de combattants républicains sont évacués et renvoyés de force en Espagne. Les hommes valides sont transférés dans divers camps d’internement puis sont regroupés en compagnies de travailleurs étrangers destinées à soutenir l’effort de guerre.

Le Camp du Polo de Beyris : Frontstalag 222

Prisonniers coloniaux du Stalag 222 de Beyris (Bayonne).

L’offensive allemande de mai-juin 1940 se solde par l’écrasante défaite que l’on sait. Apparaissent alors en zone occupée les Fronstalags, camps ouverts essentiellement en France et en Pologne, destinés aux soldats prisonniers issus des colonies françaises. En avril 1941, on en dénombre 22 en zone occupée qui concernent pas moins de 69 000 prisonniers « indigènes », parmi lesquels 50 000 Nord-Africains, 16 000 Sénégalais (incluant des Soudanais, Togolais et Voltaïques) et 3 000 Malgaches et Indochinois.

Prisonniers coloniaux du Stalag 222 de Beyris (Bayonne), effectuant des travaux de terrassement pour l’armée allemande.

L’Allemagne nazie renvoyait les prisonniers de guerre noirs et maghrébins de l’Armée française dans la zone occupée française, le plus rapidement possible par peur de maladies tropicales ou d’atteinte à la « pureté du sang aryen ».

Les prisonniers qui dépendent du Frontstalag 222 (Camp du Polo de Beyris) sont soumis au travail forcé (Mur de l’Atlantique, dépôts de munitions, terrassements, travaux forestiers) et répartis en différents kommandos allant d’Hendaye jusque dans les Landes. Les conditions d’internement sont très dures : froid, nourriture insuffisante, manque de soins…

40 de ces prisonniers ont été enterrés au cimetière Louillot d’Anglet, 102 au cimetière Saint-Léon de Bayonne. Les causes de décès sont en majorité dues à la maladie (tuberculose surtout), mais aussi aux tentatives d’évasion ou accidents de travail. Dans le cimetière de quelques villages des Landes, des stèles ou plaques commémorent des prisonniers coloniaux qui dépendaient du Frontstalag 222. Mais à Bayonne, Anglet ou au quartier Beyris, rien ne rappelle les souffrances endurées par ces prisonniers « indigènes » oubliés.

Les gardiens de ces camps sont des sentinelles allemandes, souvent anciens combattants de 14-18, et relativement cléments à l’égard des prisonniers. A partir de janvier 1943, devant les besoins du front de l’Est, la Wehrmacht mobilise tous ses moyens et le gouvernement français répond favorablement à la demande allemande de faire assurer la garde dans certains frontstalags par des officiers français. « Ce transfert crée une situation inédite et suscite des interrogations puisque les anciens officiers français des troupes indigènes deviennent subitement leurs geôliers. Ceci accroîtra la démoralisation des prisonniers ainsi que le sentiment d’avoir été trahis au nom d’une raison d’Etat » selon l’historienne Armelle Mabon.

Le 22 août 1944 le Frontstalag 222 de Beyris est libéré et vidé de tous ses occupants.

Camp de détenus politiques du Polo-Beyris

Le 18 septembre 1944, le camp est transformé en centre de détention des « politiques français », la plupart accusés de collaboration. Jusqu’au 20 avril 1945, 765 civils y sont enfermés. C’est à la fois un lieu d’internement et un centre de triage pour les détenus en instance de transfert devant les cours de justice de l’Épuration, ou en attente d’internement à Gurs (pour 259 d’entre eux).

Dans un courrier du 18 octobre 1946, le préfet des Basses-Pyrénées évoque la question de la liquidation des trois camps d’internement de son département : le Camp du Polo de Beyris (arrondissement de Bayonne), le Camp d’Idron (arrondissement de Pau) et le Camp de Gurs (arrondissement d’Oloron). Concernant le Camp du Polo de Beyris, le préfet rappelle au ministre de l’Intérieur que la Ville de Bayonne est propriétaire des terrains sur lesquels les baraquements ont été édifiés : « Ces bâtiments ont été construits pendant l’occupation par les Allemands et sont actuellement la propriété de l’Administration de la Guerre. C’est une simple location qui lie la Ville de Bayonne à l’Administration de la Guerre. » À dater du 23 août 1944 et jusqu’au mois de mai 1945, le Camp du Polo de Beyris « a été utilisé comme camp de détenus politiques. Les détenus politiques ayant été transférés à ce moment-là au Camp de Gurs (B.P.), il est transformé depuis en camp de prisonniers de guerre allemands. »

Camp de prisonniers de guerre allemands : Dépôt 189 du Polo-Beyris

Prisonniers allemands détenus au camp de Beyris (Bayonne) à la fin de l'année 1944.

Prisonniers allemands détenus au camp de Beyris (Bayonne) à la fin de l’année 1944.
On notera l’extrême jeunesse des derniers défenseurs du Mur de l’Atlantique, photo Aubert.

À partir du 15 janvier 1945, la partie nord du camp, composée de 15 grands hangars, est réservée aux 310 prisonniers de guerre allemands en provenance de Gurs. Et à compter du 1er mai 1945, le camp entier du Polo est utilisé pour des prisonniers allemands (Dépôt 189), répartis sur différents chantiers (déminage de la Côte Basque et Landaise) et ce, jusqu’en 1947.

Création d’un collectif pour la mémoire du camp oublié du Polo Beyris

Les membres du collectif du camp du Polo de Beyris

À l’initiative de Jean-Claude Malé, secrétaire du Musée de la Résistance et de la Déportation des Pyrénées-Atlantiques, une vingtaine d’associations se sont réunies fin octobre 2011 au sein du Collectif pour la mémoire du camp de prisonniers de Beyris 1939-1945. Parmi elles, la MVC Polo Beyris, le Souvenir français, la LDH, le CDDHPB, l’Amicale du camp de Gurs ou encore les anciens combattants de Bayonne.

Un groupe de travail, de sept personnes, issu de ce collectif, tente aujourd’hui d’approfondir les recherches. Tout témoignage (écrit, oral, photo…) est le bienvenu. Pour contacter le collectif, trois possibilités : Par téléphone (05 59 23 10 23), courriel (c_campbeyris@orange.fr) ou courrier (Collectif mémoire camp Beyris – Maison de la vie citoyenne de Polo Beyris – 28, avenue de l’Ursuya – 64100 Bayonne). Vous pouvez également réagir à cet article en laissant un commentaire, et je transmettrai.

Sources

Archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, cotes 1031 W 181 et 77 W 5.
Le camp de Polo Beyris, dossier transmis par Claire Frossard du Collectif Mémoire Camp Beyris.
Cahier n°1 de l’AMCB, réalisé par André Plouzeau, consacré au Frontstalag 222 de Beyris, 1995.
Le Frontstalag 222 du Polo-Beyris à Bayonne 1941-1944, André Pintat in Revue d’Histoire de Bayonne, du Pays-Basque et du Bas-Adour Bayonne, n° 154, pp 403-410, 1999.
Prisonniers de guerre indigènes, visages oubliés de la France occupée, Armelle Mabon, La Découverte, 2010.

Photos : Blog Wehrmacht 64 et Site de Maxime Le Poulichet et Jean Paul Louvet (lien)
Les membres du collectif du camp de Beyris : photo Jean-Daniel Chopin, journal Sud-Ouest (lien).

2 Commentaires de l'article “« Accident mortel au camp d’internement du Polo de Beyris »”

  1. Jacques Dupé dit :

    Bonjour,

    Je suis à la recherche d’une liste de prisonniers de guerre allemands entre 1945 et 1950 dans les landes, et en particulier à Saint-Martin-de-Seignanx. Durant cette période un prisonnier a été recueilli à la ferme de mes grands-parents (Famille Graciet, maison Hicaubé). Je suis en cours d’écriture sur la vie de mes grands-parents paysans, et je bute sur cette histoire. Mon père, âgé de plus de cent ans, a connu cet homme, mais ne se souvient plus ni du nom ni des dates exactes.

    Bonne journée

  2. Jacky Tronel dit :

    Bonjour,
    Je ne peux vous aider dans cette recherche.
    Connaissez-vous le blog https://www.retours-vers-les-basses-pyrenees.fr ?
    Je vous suggère d’interroger son auteur, Philippe Durut via le formulaire de contact.
    JT

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