La Poudrerie nationale de Bergerac d’une guerre à l’autre

Cheminées de la Poudrerie nationale de Bergerac. Le 13 septembre 1939, Raoul Dautry est nommé à la tête du tout nouveau ministère de l’Armement. Le 31 décembre, il se rend en Dordogne pour visiter la poudrerie nationale de Bergerac et son annexe de Mauzac. Au livre d’or de l’hôtel Le Londres, il confie son bel optimisme : « L’année prochaine sera l’année de la victoire. Tous à la Poudrerie devront travailler pour la gagner ».
La suite est connue…

La Poudrerie de Bergerac pendant la Grande Guerre

La décision ministérielle n° 47093/6, du 1er novembre 1915, charge l’ingénieur militaire Prangey de trouver, au sud de la Loire, un lieu où construire une fabrique de coton-poudre.
Le site de Bergerac est retenu. Dès la fin du mois de novembre, les crédits sont octroyés, la construction peut commencer. Deux mille ouvriers arrivent entre le 13 et le 20 décembre 1915. Les premiers essais de nitration ont lieu le 4 octobre 1916. Les essais de fabrication de poudre commencent le 15 mai 1917. En juillet, la production atteint 10 tonnes/jour. Début 1917, la direction des Poudres envisage la construction d’une unité d’oléum. À l’armistice, les travaux sont arrêtés, alors que la production est de 60 tonnes/jour. En août 1918, la construction d’une usine de chlore est lancée, avant d’être stoppée à son tour.

Service des Poudres de Bergerac, poudrerie nationale.Le domaine s’étend sur 230 hectares. L’usine de coton-poudre comprend douze hangars à coton de 100 mètres sur 16,
quatre terrasses à acides, les silos à nitrate, les séchoirs à coton, trois ateliers de nitration, les ateliers de stabilisation, deux ateliers de finissage, les ateliers d’emballage et les hangars de stockage de coton-poudre. L’usine de poudre B réunit trois groupes organisés chacun autour de deux presses à filer, avec les ateliers d’égrugeage, de déshydratation, de malaxage, d’essorage, de trempage, de découpage, de séchage, de mélange, d’emballage et de récupération des solvants, sans compter les distilleries et l’usine d’éther.

Femmes travaillant à la Poudrerie nationale de Bergerac.

L’énergie est fournie par l’usine hydroélectrique de Tuilières. Une centrale thermique est construite en secours. Une station de pompage d’une capacité de 9 400 m3/h. alimente un réseau comportant plusieurs réservoirs, une station de filtration et une station d’eau potable. La vapeur est produite par une chaufferie équipée de huit chaudières. Selon certaines sources, pour pallier l’insuffisance de vapeur, on aurait réquisitionné et fait stationner des locomotives près des séchoirs à poudre, bielles démontées et branchées sur le réseau de distribution. De plus, un important réseau ferroviaire de voies Decauville, sur lesquelles circulent de nombreux wagonnets à traction humaine, couvre le site.

Cantonnement des ouvriers de la Poudrerie de Bergerac.

Côté logement, cinq cantonnements totalisent 4 200 lits pour les ouvrières, des appartements pour 150 ménages, 6 000 lits pour les hommes, avec des cuisines pouvant fournir 8 000 repas, un hôpital de 700 lits, trois crèches, une garderie et une école primaire pour 400 enfants, un magasin de vente, une boulangerie, sans compter les villas pour l’encadrement. Côté personnel, les effectifs ne cessent de croître, atteignant 10 200 ouvriers en janvier 1917 et près de 25 000 en 1918. Parmi eux, 5 000 femmes, principalement des Bretonnes recrutées par la poudrerie de Pont-de-Buis (Finistère) ainsi que des jeunes âgés de 16 à 18 ans, des hommes du service auxiliaire, des mutilés et blessés de guerre, des ouvriers poudriers provenant d’autres usines, des réfugiés français et belges, dix détachements de tirailleurs algériens, des Sénégalais et des Annamites, quelques Chinois, des Grecs, des Serbes et des Portugais, plus quelques prisonniers de guerre allemands. Il semble même que l’on ait tenté, sans succès, d’employer une centaine de détenus de la prison Saint-Lazare (Paris).

Femmes travaillant à la Poudrerie nationale de Bergerac.

À l’armistice, production et travaux sont arrêtés, le personnel est démobilisé ou licencié et la poudrerie est mise en sommeil, après immersion des stocks dans la ballastière. Administrativement, Bergerac devient une annexe de la Poudrerie de Saint-Médard-en-Jalles (Gironde).

De la Grande Guerre à la Drôle de Guerre…

La situation internationale se dégradant, la poudrerie de Bergerac reprend du service.
Le 4 décembre 1936, puis le 16 février 1937, deux unités d’acide nitrique concentré sont commandés aux établissements Schneider, ainsi que deux ateliers de dénitration et concentration sulfurique, plus un atelier de nitration n° 4, avec 72 turbines Selwig. Le personnel provient des 3 700 hommes de la 95e compagnie d’ouvriers de renforcement, des 1500 hommes des compagnies de travailleurs militaires, auxquels se rajoutent les affectés spéciaux, les civils, les réfugiés alsaciens, la 2e légion indochinoise, les femmes, soit un total de 12 000 personnes.

Pendant la période de l’occupation allemande, la résistance est active. Charles Garaud, directeur de la poudrerie, est arrêté sur dénonciation le 10 octobre 1943.
Il meurt en déportation à Flossenbürg (Bavière), le 14 mars 1944.

Vue aérienne de la Poudrerie de Bergerac après les bombardements de mars 1944.

On enregistre de nombreux sabotages, des actions du maquis ainsi qu’un bombardement effectué dans la nuit du 18 au 19 mars 1944 par 17 Lancaster du 617 squadron de la RAF, commandé par le jeune colonel Leonard Cheshire, 27 ans.

Sources : « L’industrie des poudres et explosifs face aux grandes crises : la Poudrerie nationale de Bergerac, 1915-1960 » de Paul Rigail et Jacques Plazanet in Deux siècles d’histoire de l’armement en France – De Gribeauval à la force de frappe, sous la direction de Dominique Pestre, CNRS éditions, Paris, 2005 ; Eddy Florentin, Quand les Alliés bombardaient la France, 1940-1945, Perrin, Paris, 1997, p. 259-261.

Vue aérienne de la Poudrerie de Bergerac en 1965.

Vue aérienne de la Poudrerie nationale de Bergerac en 1965.
Crédit photos : Association A3P (Amis du patrimoine poudrier et pyrotechnique).

25 Commentaires de l'article “La Poudrerie nationale de Bergerac d’une guerre à l’autre”

  1. Bonnot Jean-Louis dit :

    Très bon documentaire.
    Il me semble, en qualité d’ancien délégué syndical CGT de l’entreprise, qu’il y a au Comité d’entreprise une série de 150 ou plus de plaques photos en verre, sur la vie à la poudrerie avant et après guerre. Cordialement.

  2. OLIVE Gisèle dit :

    Je recherche des renseignements sur DELPLACE Jean Baptiste qui aurait été mobilisé à la Poudrerie de Bergerac en 1917. Merci de me répondre. Cordialement. G. OLIVE

  3. Jacky Tronel dit :

    Je vous suggère de vous adresser à l’Association des Amis du Patrimoine Poudrier et Pyrotechnique : 38 rue Keller, 75011 Paris, association.a3p@free.fr qui saura vous guider dans votre recherche. Cordialement, JT

  4. mania paule dit :

    j’aimerais savoir comment avoir des renseignements sur la maternité de la poudrerie, ma mère étant née dans cet établissement car ma grand-mère y était ouvrière. Je fais des recherche pour mon arbre généalogique. L’année de naissance de ma mère est 1917, le 1/10. Merci.

  5. Jacky Tronel dit :

    Je ne dispose malheureusement pas d’éléments susceptibles de vous aider dans votre recherche, excepté une photo montrant les enfants de l’école de la Poudrerie de Bergerac, en 1917… l’année de naissance de votre mère. Je vous la fait suivre sur votre adresse de messagerie…

  6. lucas dit :

    Je suis jeune retraitée et je viens de découvrir en triant les reliques de mes parents décédés, hélas, que mon père a séjourné et travaillé contre son gré, il n’a pas eu le choix, à la poudrerie de Mauzac en Dordogne, de Septembre 39 à Juillet 40. Il a réussi à fuir, au risque de sa vie, pour rejoindre sa famille dans le Poitou. Je lui tire ma révérence ! Quel courage.

  7. Hubert ZANTE dit :

    Bravo pour ce beau travail.
    J’ai mis sur notre site (www.afpyro.org) un lien vers cette page à l’attention de nos adhérents de l’A3P (Association des Amis du Patrimoine Poudrier et Pyrotechnique), dont beaucoup ont eu l’occasion de travailler à la Poudrerie. Nous sommes toujours intéressés par toute image, document ou autre souvenir relatif aux Poudreries et autres établissements pyrotechniques.
    Cordialement,
    H. ZANTE, Président de l’A3P

  8. MOREILLON Serge dit :

    Je suis à la recherche de renseignements, photos sur un oncle qui était à la poudrerie de Bergerac le Commandant AUBLANC.
    Merci pour vos renseignements.

    Serge Moreillon
    tél: 04.50.41.09.60

  9. Jacky Tronel dit :

    AUBLANC est un nom très répandu en Dordogne. Personnellement, je ne connais pas de « Commandant AUBLANC » à la Poudrerie de Bergerac (mais il ne s’agit pas là de mon principal sujet de recherches…).
    Je ne pense pas que votre oncle soit l’un des trois personnages suivants :
    AUBLANC Émilien, maire communiste de Badefols-sur-Dordogne
    AUBLANC René (dit Auguste), cultivateur à Rouffignac, entré dans la Résistance à partir de février 1944
    AUBLANC André, surveillant auxiliaire au centre pénitentiaire de Mauzac au sortir de la Seconde guerre mondiale (licencié en 1946 pour « collusion avec des détenus »).
    Ce message suscitera peut-être d’autres commentaires, plus pertinents, qui vous aideront dans votre recherche.
    Cordialement, JT

  10. Le Breton Sylviane dit :

    Recherche de renseignement concernant ma grand-mère qui, après la poudrerie de PONT DE BUIS (Finistère) a travaillé à la poudrerie de BERGERAC.
    Elle serait décédée en octobre 1918 en Dordogne, mais je ne connais pas le lieu…
    Voici son nom : PELLETER Josèphe, née en janvier 1893, dans le Finistère (mère célibataire).
    Merci.

  11. Limore Yagil dit :

    La période de la Seconde guerre mondiale, la mise en activité et la production selon les exigences allemandes, le rôle de Pierre laval, le plan de Jean Bichelonne, les relations avec les autorités allemandes etc, manquent dans l’histoire de la poudrerie qui pourtant en novembre 1942 fournissait pleinement les Allemands.
    Avez vous des informations sur ces aspects ?
    Merci
    Limore Yagil
    Historienne

  12. Jacky Tronel dit :

    Personnellement, je n’ai pas vraiment travaillé sur ce sujet…
    Cependant, si vous ne la connaissiez pas, je me permets de vous signaler l’existence de la série 1 G au Service Historique de la Défense, Centre des archives de l’armement (site de Châtellerault), conservant le fonds des services centraux des poudres et explosifs. La Poudrerie de Bergerac y est abondamment citée.
    Le répertoire numérique des archives du service des poudres sous l’occupation allemande est consultable en ligne : lien
    Très cordialement,
    JT

  13. PUIUTTA Françoise dit :

    Bonjour,
    Je travaille aux Archives de la Dordogne et je suis chargée de mener une recherche sur un espagnol qui aurait travaillé à la Poudrerie de Bergerac en 1940. J’ai consulté les liasses du 42 W et aussi vu une cote en série Z, sans résultat. Aussi je me demandais si je devais orienter la personnes vers association des amis du Patrimoine Poudrier que vous citez plus haut. Les fonds d’archives concernant le personnel de la poudrerie sont pauvres. Merci d’avance de votre réponse.
    Françoise PUIUTTA

  14. Jacky Tronel dit :

    Bonjour,
    En réponse, je vous propose les deux pistes suivantes : celle du Service Historique de la Défense, à Châtellerault, qui conserve les fonds d’archives de l’armement et du personnel civil de la Défense provenant entre autres de la direction des poudres, de ses poudreries, centres dʹétudes et dʹessais relatives aux fabrications (poudres, missiles). Il s’y trouvent plusieurs cartons concernant la poudrerie de Bergerac… Sinon, vous pouvez prendre contact avec l’association des Amis du Patrimoine Poudrier et Pyrotechnique (A3P) dont voici le lien : http://www.afpyro.org/fr/A3P/L-association.html
    Cordialement, JT

  15. Bassot christian dit :

    Bonsoir,
    Est-il possible, par intérêt pour le patrimoine industriel, de faire des photos de l’ancienne poudrerie avant qu’elle ne soit complètement démantelée?
    Cordialement
    Christian Bassot

  16. PALLUD Antoine dit :

    Bonjour,
    Sur les plans de la poudrerie (y travaillant actuellement dans le cadre du démantèlement) on y voit l’emplacement du « tombeau de Mlle MERMOD ».
    Après recherche sur internet, aucun résultat si ce n’est ce site.
    Ce n’est que par curiosité, mais auriez-vous des infos sur cette Mlle Mermod ?
    Cdt

  17. Bonjour,
    je voulais laisser un message à votre attention et à celle de Hubert Zante (vous avez travaillé en Iran si je me souviens bien, non ?). Je suis le fils de Jean-Claude Nonie qui a travaillé à Parchin en Iran.
    D’autre part, je vais bientôt publier un roman intitulé « Le Murmure des Attentes » chez Lucane éditions qui traite, entre autres, de l’histoire des Indochinois venus contre leur gré à la poudrerie de Bergerac. Je vous laisse mon site qui sera bientôt mis à jour et mon adresse courriel : philippe.nonie@gmail.com – Mon site : http://www.philippe-nonie.com/
    Bonne soirée.
    Bien cordialement.
    Philippe NONIE

  18. GUILBERT Gérard dit :

    Bonjour
    j’ai le frère de ma grand mère, dont le nom est CUVILLIER Pierre Alexandre (45 ans) qui a été muté en temps que militaire 2ème classe du Régiment d’infanterie de Quimper dans cette poudrerie en 1915, lors de la grande guerre.
    Je n’arrive pas à avoir de renseignements sur lui je ne sais pas où il est mort et où il a pu habiter après la guerre 14 18.
    Avez vous des renseignements ce ce type?
    Avec mes remerciements
    Cordialement

  19. Jacky Tronel dit :

    Bonjour,
    En réponse, je vous renvoie aux Archives de Châtellerault (Centre des archives de l’armement), et à l’association des Amis du Patrimoine Poudrier et Pyrotechnique (A3P), citées plus haut.
    Avez-vous consulté l’état-civil de la mairie du lieu de naissance ? Il se peut que vous y trouviez des informations utiles…
    Cordialement, JT

  20. Rollin dit :

    Bonjour, je viens de voir cette page très intéressante. Je travaille moi-même à la poudrerie de Bergerac. Pourriez-vous me mettre en contact avec « Mania Paule » qui a posté un message sur votre site au sujet de la maternité de la poudrerie, j’ai un grand-père né à la poudrerie en 1918. Je voudrai savoir si Mania Paule a trouvé ce qu’elle recherchait aux archives de Chateauroux. Merci.

  21. Jacky Tronel dit :

    Bonsoir. Je vous envoie son adresse de messagerie sur la vôtre… Bien cordialement, JT

  22. Janick Mermod dit :

    Mon grand oncle Alfred Mermod, a été enterré sur son terrain, ensuite acquis par la Poudrerie. Sa tombe est toujours là, sous le grand chêne au bord de la Dordogne, à côté du pont. Nous y sommes allés en juillet 2015 et souhaitons d’ailleurs contacter les actuels propriétaires des lieux. Mais je n’ai jamais vu ou entendu parler de tombe de Mlle Mermod. Alfred à eu deux filles, toutes deux enterrées à Eymet… Je serais heureuse que vous preniez contact avec moi. J’habite à Nice mais suis souvent en Dordogne.
    Meilleures salutations. Janick Mermod pour Antoine Pallud.

  23. Jacky Tronel dit :

    Je vais vous mettre en relation avec Antoine PALLUD en vous communiquant son adresse de messagerie…
    Bien à vous, JT

  24. Marie dit :

    Existe il un livre retraçant l’histoire du lieu ?
    En vous remerciant,
    Marie

  25. Jacky Tronel dit :

    Vient d’être publiée « Le Centenaire de la Poudrerie de Bergerac – Novembre 1915-2015 », une brochure de 96 pages réalisée par le Conseil de Quartier Est ou Cocagne de Bergerac. Voici les coordonnées du président : M. Georges Barberolle, 2 rue Albert Garrigat, 24100 Bergerac, 05 53 61 86 83. Cette publication, « grand public », à l’iconographie généreuse, couvre toute la période allant de la création de la Poudrerie de Bergerac à aujourd’hui.
    Bien cordialement,
    JT

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